11 ans après la Révolution du Rojava : une perspective internationaliste

Juil 12, 2023A la une, Confédéralisme démocratique, Expériences et analyses, Internationalisme

A l’occasion des 11 ans de la révolution au Rojava, nous voulions donner la parole à celles et ceux là même qui ont permis cet avancée révolutionnaire inédite.

Nous publions donc une analyse de la situation internationale parue dans le cinquième numéro du magazine Lêgerîn et éditée ici par nos soins. Les photos sont tirées de plusieurs reportages du photojournaliste Loez au Rojava.

L’impasse de la Modernité capitaliste

Guerre, expulsion, exode massif et génocide. Pauvreté, misère, faim et esclavage. Oppression, exploitation, viols et féminicides. Épuisement de la nature, pillage impitoyable, contamination de l’environnement. Destruction totale des fondements de la vie. Le visage sanguinolent d’un système qui méprise l’humanité, hostile à la vie elle-même, se dresse devant nous.

Dans le monde en réseau du 21e siècle, dans lequel tout le monde devient témoin en direct de chaque crime, bataille et massacre, dans lequel le aucun événement et mouvement ne passent inaperçus et dans lequel l’information elle-même est peut-être devenue l’arme la plus puissante, tous les masques sont tombés depuis longtemps. Le besoin ultime d’exploitation, de profit maximum et de croissance illimitée, qui se cache au cœur de l’essence de l’ordre mondial existant, a conduit notre société humaine au bord de l’abîme et menace aujourd’hui d’entraîner dans sa chute la nature et la vie elle-même.

Il est évident que toutes les solutions qui ne dépassent pas la logique et les catégories de la domination sont d’emblée vouées à l’échec.

Face à cette situation catastrophique, il est temps que même les plus têtu·e·s comprennent que tous les espoirs réformistes d’un « capitalisme humain » doivent être vains et que seule la rupture radicale avec le système existant peut créer une issue à la misère. Il est évident que toutes les solutions qui ne dépassent pas la logique et les catégories de la domination sont d’emblée vouées à l’échec. Afin d’éradiquer le problème à la racine, il faut aujourd’hui plus que jamais un changement révolutionnaire fondamental, un remède à la maladie, plutôt que le traitement de symptômes superficiels. Il est clair que ce changement ne pourra jamais être mis en œuvre au sein du système existant, seulement contre les intérêts des classes dominantes et par une lutte constante et consciente depuis la base, la construction révolutionnaire de sa propre alternative.

Le réveil de la Modernité démocratique

Chaque jour, les masses prennent conscience que la révolution n’est pas, de nos jours, une question de désir ou d’humeur, mais une nécessité inéluctable et la condition de base pour vivre dans la dignité et la liberté. Les mouvements sociaux, les manifestations et les soulèvements qui n’ont cessé d’éclater dans le monde ces dernières années, parfois de manière violente et soudaine, sont une expression claire de la recherche d’une alternative et de la voie vers un monde meilleur.

 

Qu’il s’agisse d’une action contre la destruction de l’environnement et une politique climatique qui ne sert que les intérêts des monopoles du capital, ou d’une réaction de colère dans les rues face à la violence permanente contre les femmes. Que ce soit sous la forme d’une grève, d’un blocage ou d’une guerre de rue ouverte ; d’une auto-organisation communautaire par le bas, d’une solidarité indépendante dans le quartier ou encore de guérillas cachées dans les jungles des villes, sur les sommets des montagnes et dans les profondeurs des forêts – le nouveau monde est vivant et se bat. Aussi isolées que soient encore beaucoup de luttes individuelles, elles font toutes partie du même réveil global et sont l’expression directe de ce que nous appelons la Modernité démocratique.

Plus de 30 ans après la chute du socialisme réel et la déclaration finale de la victoire du système capitaliste mondial, le mensonge de l’absence d’alternatives à l’exploitation et de la fin de l’histoire proclamé avec arrogance par les dirigeants est remis en question.

Plus de 30 ans après la chute du socialisme réel et la déclaration finale de la victoire du système capitaliste mondial, le mensonge de l’absence d’alternatives à l’exploitation et de la fin de l’histoire proclamé avec arrogance par les dirigeants est remis en question. Sous la façade dorée et brillante d’un ordre hostile à la vie, la question de l’alternative se pose. Le socialisme scientifique-démocratique, en tant qu’expression moderne de la résistance millénaire ininterrompue de la société historique, en tant que mouvement d’humanisation, porteur d’espoir pour toutes celles et ceux qui gémissent et pleurent encore sous le joug de l’exploitation capitaliste, n’a jamais perdu sa signification et son actualité. Il détermine aujourd’hui à nouveau l’agenda des opprimés.

Le socialisme comme idéologie

Rêber Apo [Abdullah Öcalan] savait déjà analyser correctement, au début des années 1990, qu’avec la chute du socialisme réel, c’était uniquement la variante bureaucratisée et étatisée du socialisme qui tombait, mais qu’en aucun cas le socialisme en tant que tel n’avait été vaincu. « Remettre en question le socialisme, c’est douter de la nature humaine elle-même » déclare t-il alors. Il écrit aussi que le socialisme devra assumer des tâches beaucoup plus importantes au XXIe siècle. Afin de pouvoir répondre aux problèmes les plus brûlants pour l’humanité – par la libération des femmes, des solutions à la catastrophe écologique, la destruction de l’impérialisme et la libération des sociétés de la domination étatique – un mouvement à l’échelle mondiale est nécessaire. Le socialisme doit donc se développer en un véritable mouvement de l’humanité.

« Remettre en question le socialisme, c’est douter de la nature humaine elle-même »  Abdullah Öcalan

Même si le léninisme n’a pas pu apporter de solution durable au 20ème siècle, c’est dans une large mesure sous l’étoile directrice de ce paradigme que les travailleurs & travailleuses et les peuples ont réussi à remplir leur mission historique. Cependant, pour faire face aux nouvelles responsabilités et tâches historiques du 21e siècle, un nouveau paradigme et une critique courageuse des erreurs commises comme des lacunes théoriques sont nécessaires. Au lieu d’abandonner le socialisme en soi et de capituler devant le prétendu manque d’alternatives du système, Rêber Apo a entrepris de créer un paradigme socialiste propre au 21ème siècle, qui non seulement apporte des solutions concrètes à des problèmes concrets, mais aussi dépasse toutes les catégories de la pensée dominante et soumet la civilisation étatique vieille de 5000 ans à une critique radicale. Armé de ces nouvelles armes idéologiques et conscient de sa propre responsabilité historique, le Mouvement de libération du Kurdistan, sous la direction révolutionnaire du Parti des travailleurs du Kurdistan, a porté le fier drapeau du socialisme dans le nouveau millénaire et a fait sien l’héritage révolutionnaire de l’histoire de l’internationalisme et de la lutte commune de tou·te·s les opprimé·e·s.

Le drapeau rouge flotte au Kurdistan

Le drapeau rouge qui flottait inébranlablement sur les barricades de Paris, même sous la grêle des balles, qui flottait sur le mât du croiseur blindé Aurora lorsque le coup d’envoi de la révolution d’octobre a secoué Saint-Pétersbourg, qui, dans la tempête de fer, l’acier et le feu, a libéré des continents entiers du fascisme et conduit des centaines de milliers de guérilleros à travers les jungles, les forêts et les steppes de la Tricontinentale, vole aujourd’hui sur les sommets des montagnes libres du Kurdistan et sur les toits des zones révolutionnaires du nord et de l’est de la Syrie. Ainsi, nous pouvons dire maintenant en toute clarté : le sacrifice de tou·te·s celles et ceux qui ont coloré ce drapeau de leur sang n’a pas été vain, car la roue de l’histoire continue de tourner.

Il leur faut occuper non seulement la terre, mais aussi l’esprit et le cœur des gens. La sociabilité traditionnelle doit céder la place à l’inculture capitaliste afin d’assurer une occupation durable et rentable de la région.

Au Kurdistan et au Moyen-Orient, où la guerre mondiale est en cours, l’affrontement mondial entre la révolution et la contre-révolution, entre la société et l’État, se déroule sous la forme d’une lutte ouverte et armée jusqu’à la mort. Pour l’impérialisme, il n’y a probablement aucune région du monde qui soit d’une telle importance stratégique que le Moyen-Orient. Il est un foyer de communautés traditionnelles et axées sur les valeurs, dont le caractère social et culturel s’oppose à l’individualisme bourgeois, à l’insignifiance moderne et à l’appauvrissement matérialiste du sens de toute relation interpersonnelle et reste pour lui riche en ressources et en main-d’œuvre potentiellement exploitable. L’intérêt des monopoles tourne autour de cette interface cruciale entre les continents. Il leur faut occuper non seulement la terre, mais aussi l’esprit et le cœur des gens. La sociabilité traditionnelle doit céder la place à l’inculture capitaliste afin d’assurer une occupation durable et rentable de la région. Alexandre le Grand et Napoléon savaient déjà que celui qui peut mettre la région sous son emprise contrôle le monde. Ainsi, le Moyen-Orient, et le Kurdistan qui en est le cœur, sont aujourd’hui le théâtre des guerres de partition impérialistes les plus féroces.

La fin de l’histoire n’est qu’un mensonge de mauvais goût, car l’alternative, l’utopie d’une vie sans exploitation ni oppression, en harmonie avec la société et la nature, est déjà bien vivante aujourd’hui dans le processus révolutionnaire.

Mais alors que les puissances hégémoniques et les régimes régionaux se battent pour savoir qui peut s’emparer du leadership de la Civilisation dominante, les peuples du Kurdistan et du Moyen-Orient ont réussi à imposer leur propre alternative au-delà de la dictature et de la domination étrangère impérialiste. Ils ont réussi à forger leur propre pouvoir de manière autodéterminée dans les crevasses et les canyons déchirés par les contradictions entre les puissants. La révolution du Rojava et du nord-est de la Syrie, la lutte héroïque des guérillas dans les montagnes du Kurdistan sont déjà devenues une lueur d’espoir qui éclaire la voie pour sortir des ténèbres de la modernité capitaliste les opprimés, les femmes, les jeunes et les travailleur·euse·s. La fin de l’histoire n’est qu’un mensonge de mauvais goût, car l’alternative, l’utopie d’une vie sans exploitation ni oppression, en harmonie avec la société et la nature, est déjà bien vivante aujourd’hui dans le processus révolutionnaire.

L’internationalisme comme pratique

L’espoir d’un monde différent et la croyance en la capacité de la Révolution grandissent avec chaque victoire des peuples du Moyen-Orient. Les forces révolutionnaires du Kurdistan apportent la preuve pratique que, même au 21ème siècle, la révolution n’est pas une impossibilité, un rêve enfantin ou une utopie illusoire, mais quelque chose d’immédiatement réalisable.

Depuis la résistance héroïque de Kobanê, un mouvement mondial de solidarité et de résistance s’est développé, qui s’est tenu aux côtés du peuple en lutte du Kurdistan. Cela non seulement dans les victoires mais aussi dans les moments les plus difficiles de la confrontation. Ce mouvement a permis aidé une nouvelle et jeune conscience internationaliste à reprendre vie. Dans le monde entier, nous avons partagé la joie et la douleur, suivi chaque développement sur les champs de bataille, craint pour nos camarades sur les fronts et dans les positions de résistance, et célébré chaque victoire ensemble. La révolution du Kurdistan s’est toujours considérée comme une partie inséparable du processus révolutionnaire mondial, mais avec l’essor du mouvement de résistance mondial ces dernières années, l’humanité progressiste s’est également intégrée à cette lutte et a commencé à la reconnaître comme sienne.

 

L’internationalisme, en tant que conscience de l’unité de la lutte mondiale pour la libération, la connaissance par les opprimé·e·s de l’ennemi commun et du caractère international du système d’exploitation, a connu un nouvel essor avec la croissance du nouveau mouvement qui se rassemble autour de la révolution du Kurdistan. Transcendant toutes les frontières idéologiques et les guerres de tranchées théoriques, qui sont souvent restées comme le seul héritage regrettable du 20ème siècle au mouvement révolutionnaire mondial, la lutte armée et la construction d’une société révolutionnaire au Kurdistan et dans les zones libérées du Moyen-Orient, ont rasseblé la gauche radicale et toutes les forces démocratiques progressistes et révolutionnaires du monde entier, en un front uni de résistance.

L’internationalisme, en tant que conscience de l’unité de la lutte mondiale pour la libération, la connaissance par les opprimé·e·s de l’ennemi commun et du caractère international du système d’exploitation, a connu un nouvel essor avec la croissance du nouveau mouvement qui se rassemble autour de la révolution du Kurdistan

Ce front ne dispose pas de structures organisationnelles formelles, ni de statuts ou de programme, et il se peut que cette forme d’unité dans la lutte ne soit qu’un instantané dans les moments de confrontation les plus aigus, et pourtant : lorsque des millions de personnes dans le monde descendent dans la rue avec les mêmes slogans sur les lèvres, comme lors de la défense d’Afrin ou même de Gire Spi et Serekaniye, animées par le même espoir, pleines de rage et de haine pour l’ennemi commun, et trouvent une expression commune de résistance avec créativité et détermination, alors le front devient une réalité. Il est temps de reconnaître ce qui est déjà en train d’émerger dans la pratique commune dans les rues et à partir de cette prise de conscience, de développer notre mouvement mondial.

Un ennemi organisé et transational

Les dirigeants, eux, disposent d’innombrables plates-formes, institutions et organisations ainsi que de moyens les plus divers de coordination contre-révolutionnaires pour contenir et repousser l’assaut constant des peuples. Alors que nous sommes isolé·e·s par les frontières des États-nations, divisé·e·s en « ethnies », en dénominations et en religions, rongé par les luttes de pouvoir et de position entre celles-ci, nous menons chacun·e de notre côté une bataille désespérée contre des moulins à vent. Les dirigeants eux sont bien conscients de leurs intérêts communs et de l’identité de leur situation, quel que soit le pays, et nous mènent une guerre globale, coordonnée et hautement organisée. Il peut exister des désaccords tactiques et des luttes concurrentielles entre eux, mais l’intérêt stratégique commun de maintenir un système qui leur assure le contrôle de la plus-value et des moyens de production les unit tous dans un front contre-révolutionnaire mondial.

La guerre contre le mouvement pour la liberté est internationale et, en tant que telle, elle doit être menée à l’échelle mondiale.

Partout où l’intérêt du capital et la maximisation des profits sont menacés, le système frappe de toutes ses forces comme un seul poing serré. La conspiration internationale contre le leader du Mouvement de libération du Kurdistan, Rêber Apo [Abdullah Öcalan] et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) en est une manifestation. De la Russie aux États-Unis, en passant par la Turquie, la Syrie, les États de l’Union européenne et les puissances réactionnaires du Moyen-Orient et d’Afrique, l’ennemi commun a également réuni les partenaires les plus contradictoires, prenant tout part au concept, planifié méticuleusement, d’anéantissement de la révolution au Kurdistan et au Moyen-Orient. Si ce concept a culminé avec l’enlèvement criminel et d’emprisonnement de Rêber Apo en 1999, il trouve sa continuation aujourd’hui dans les guerres d’agression coordonnées et soutenues internationalement par le fascisme turc et ses sbires.

Ce serait une erreur stratégique de considérer les attaques des envahisseurs fascistes sur Afrin, Girespi et Serekaniye au Rojava, les opérations d’occupation de l’armée turque et de ses collaborateurs au Kurdistan du Sud, de Xakurke à Heftanin, jusqu’à cette année contre les zones de guérilla libérées à Gare, Zap, Metina et Avasin, uniquement comme l’œuvre du régime d’Erdogan. Les attaques turques ne sont pas seulement soutenues diplomatiquement, économiquement et militairement par l’impérialisme, mais elles ont en fait lieu sous la direction et la pression directes des différentes puissances hégémoniques capitalistes, en premier lieu les États-Unis et la plus grande alliance contre-révolutionnaire existant aujourd’hui, l’OTAN.

La guerre contre le mouvement pour la liberté est internationale et, en tant que telle, elle doit être menée à l’échelle mondiale. Alors que nos ennemis ont très bien reconnu le caractère global et l’énorme rayonnement de la révolution du Kurdistan, notre camp manque souvent de la clairvoyance nécessaire et de capacité à évaluer les opportunités, les possibilités et les dangers de la période actuelle. Non seulement au Kurdistan et au Moyen-Orient, mais dans toutes les sociétés du monde entier, il existe un fossé qui divise le monde en deux fronts irréconciliables. Le système mondial capitaliste, en tant que dernier représentant du système de civilisation vieux de 5000 ans, est dans un état de chaos constant depuis l’effondrement du réal socialisme au début des années 1990.

Une crise de la Modernité capitaliste qui ébranle le Moyen-Orient

Avec la perte du contre-pôle hégémonique des États-Unis, l’ordre établi s’est déséquilibré. Le socialisme réel, même dans la seconde moitié du siècle dernier et malgré tous les espoirs des opprimé·e·s, avait plus ou moins perdu tout caractère révolutionnaire.Tandis que l’impérialisme exterminait les peuples en lutte par millions à l’aide d’armes chimiques, de tapis de bombes et de napalm, il s’était entendu avec le système capitaliste dominant sous le concept complètement illusoire d’une prétendue « coexistence pacifique ». Personnifié par l’Union soviétique de l’époque et sa clique dirigeante, le socialisme réel était devenu depuis longtemps un pilier de soutien de la Modernité capitaliste. Après la fin de la deuxième grande guerre de partage du monde, il a mené une politique étrangère qui ne visait plus seulement à soutenir les opprimé·e·s et les peuples en lutte, mais aussi à servir ses propres revendications économiques et géopolitiques. Confrontés à la nouvelle réalité d’un ordre mondial multipolaire qui se dessine rapidement après la chute du mur de Berlin, les États-Unis, désormais seule puissance hégémonique de la civilisation dominante, se sont trouvés dans la nécessité de donner un nouveau dessin au système mondial. Au Moyen-Orient, ce plan trouve sa contrepartie dans « projet du Grand Moyen-Orient », qui vise une transformation fondamentale de la région, le renversement des anciens régimes despotiques qui font obstacle à l’ouverture des marchés au capital international et aux flux financiers mondiaux, et la liquidation de toutes les forces sociales résistantes.

Plus de 30 ans après la disparition du capitalisme d’État russe et de ses systèmes dépendants, nous pouvons constater l’échec impitoyable du projet états-unien. Non seulement celui-ci n’a pas réussi à établir un ordre stable, mais il n’a fait qu’aggraver le chaos dans la région. Ce qui s’oppose à ce plan n’est pas la résistance des régimes en place, ni l’islam politique, comme certains pourraient le suggérer, mais plutôt l’éclosion de la révolution et des forces démocratiques du Moyen-Orient. Ce sont bien les jeunes, les femmes, les peuples et les groupes religieux opprimés, ainsi que les travailleur·euse·s, qui sont entré·e·s sur la scène de l’histoire. Avec le début du Printemps des peuples en 2011, le Moyen-Orient a été secoué par ce qui a probablement été le plus grand soulèvement suprarégional de son histoire, et les masses qui se sont réveillées ont non seulement fait trembler les dictateurs despotiques et leur coterie dans leurs palais, mais aussi l’impérialisme lui-même. Cela particulièrement quand, contrairement aux pays d’Afrique du Nord – où le mouvement populaire a été étouffé dans le sang par une intervention extérieure ou par les forces islamofascistes -, les peuples du Rojava et du nord-est de la Syrie ont réussi à lutter pour une alternative fondamentale et radicale à tout ce qui existait.

Plus de 30 ans après la disparition du capitalisme d’État russe et de ses systèmes dépendants, nous pouvons constater l’échec impitoyable du projet états-unien

Mais siles signals d’alarme ont retenti et donné lieu à l’élaboration d’une stratégie impérialistes d’ampleur, ni le Front Al-Nusra ni les gangs meurtriers de l’État islamique n’ont pu briser la volonté unie des peuples. Sous la direction de l’avant-garde du processus révolutionnaire régional, le Parti des travailleurs du Kurdistan, la vague révolutionnaire s’est répandue dans d’autres régions, comme à Shengal où le peuple yazidi a également pris en main son destin. Chaque attaque a renforcé la révolution, a apporté de nouvelles expériences et a également permis de diffuser dans toutes les directions les idées qui sous-tendent la lutte de libération, le paradigme de la modernité démocratique.

La révolution comme sujet

La révolution au Moyen-Orient est désormais un facteur indépendant dans la région, une force qui ne peut être facilement ignorée ou même détruite. C’est principalement grâce à la lutte déterminée des forces révolutionnaires-démocratiques du Kurdistan et de la région que les calculs des impérialistes n’ont pu aboutir. La révolution est la variable inconnue, l’incalculable qui fait éclater leurs manigances. Lorsque nous examinons les développements politico-militaires actuels, il est essentiel de toujours partir du point de vue de nos propres forces et de ne pas attribuer la dynamique et la direction du mouvement du processus politique exclusivement aux plans des superpuissances et de leurs collaborateurs régionaux. La révolution est un sujet agissant et non un pion aux mains d’intérêts étrangers. Les peuples en lutte de la région sont en train d’écrire leur propre histoire.

La révolution est la variable inconnue, l’incalculable qui fait éclater leurs manigances

Si nous examinons les faits, nous voyons clairement que ni la Fédération de Russie, ni les États-Unis, ni aucune autre puissance n’a réussi à mettre en place son propre projet au cours des dix dernières années de la guerre civile en Syrie. Les peuples du nord-est de la Syrie, en revanche, construisent leur propre avenir de manière autodéterminée depuis maintenant onze ans. Sans demander la permission de quiconque, ni même de l’aide, ils ont créé leur propre système politique, une économie capable de répondre à leurs propres besoins et des forces pour défendre leurs acquis : une armée populaire sans équivalent dans l’histoire du Moyen-Orient. Les peuples ont gagné en force, sont sortis d’un état d’incapacité et de soumission et ont appris à se battre. La lutte des guérillas dans les montagnes du Kurdistan, au Sud et au Nord-Kurdistan, dans les villes et les métropoles de Turquie, est la preuve vivante qu’il est tout à fait possible pour les opprimé·e·s de remporter des victoires militaires contre une armée de l’OTAN équipée jusqu’aux dents de systèmes d’armes électroniques sophistiqués et des dernières technologies de reconnaissance. La victoire historique de Garê en février 2021 a mis à nu l’impuissance des occupants et des impérialistes et a démontré au monde entier que la guérilla n’est pas un modèle obsolète au XXIe siècle. Au contraire, elle continue d’être l’arme universelle des peuples dans leur lutte contre l’exploitation, l’oppression et la domination étrangère.

La critique est internationale

Au-delà du Moyen-Orient, le système de la Modernité capitaliste est soumis à une pression croissante à travers le monde. Les protestations de masse et les soulèvements sociaux qui ont secoué la planète depuis la crise économique mondiale de 2008 et le Printemps des peuples de 2011 trouvent aujourd’hui leur prolongement direct dans les mouvements de masse contre la gestion de la crise capitaliste, la corruption, les abus de pouvoir, les violences policières, le racisme, la destruction de l’environnement, le sexisme et les féminicides. Ces soulèvements qui ont éclaté sur tous les continents, du Chili à l’Irak, des Etats-Unis au Liban et à l’Europe, et qui ont immédiatement provoqué des vagues de révolte dans le monde entier, sont l’expression du mécontentement général face aux conditions existantes. Même s’il manque généralement une critique fondamentale du système, un projet concret et l’organisation nécessaire, elles montrent néanmoins très clairement la volonté de l’humanité de se libérer du joug millénaire de la civilisation de classe. La jeunesse, en particulier, apparaît dans ces processus, tout comme les femmes, comme les sujets révolutionnaires décisifs de notre époque, donnant dynamisme, force et persistance aux luttes.

À partir du continent sud-américain, mais aussi en Asie et dans d’autres parties du monde, des protestations massives contre les agressions, la violence et les meurtres de femmes, ainsi que contre le contrôle et l’exploitation du corps féminin par les hommes, l’État et le capital, se sont emparées des sociétés. Dans de nombreux cas, elles ont développé une critique globale et très fondamentale du système patriarcal et de la civilisation construite sur celui-ci. Une conscience de plus en plus profonde du lien entre la domination masculine, la division de classe et l’oppression étatique émerge des luttes et représente un danger mortel pour le système dominant. Aujourd’hui déjà, des millions de femmes en lutte dans le monde entier se reconnaissent dans l’approche holistique de l’idéologie de la libération des femmes et puisent force et espoir dans la lutte révolutionnaire au Kurdistan et au Moyen-Orient. Le paradigme de Rêber APO ne traite la question des femmes ni comme une contradiction secondaire ni comme une question d’approche individuelle, mais analyse et définit le patriarcat comme la base décisive et la constante de 5000 ans de civilisation de classe. Ainsi, la libération des femmes, en tant que condition fondamentale de la libération nationale, de l’émancipation des classes ouvrières et du dépassement de la scission entre la société et la nature, se place au centre de la lutte pour la libération de l’humanité. L’identité commune des femmes, le destin partagé dans le monde entier, tout comme l’identité de la jeunesse, unit aujourd’hui les luttes au-delà de toutes les frontières nationales et devient ainsi un élément de base d’une nouvelle conscience internationaliste.

La libération des femmes, en tant que condition fondamentale de la libération nationale, de l’émancipation des classes ouvrières et du dépassement de la scission entre la société et la nature, se place au centre de la lutte pour la libération de l’humanité.