A la mémoire des trois internationalistes tombés à Bakhmout
Le 19 avril dernier, 3 internationalistes, Dmitry Petrov, Cooper Andrews et Finbar Cafferkey tombaient en Ukraine, en luttant contre l’impérialisme russe. Tous les trois faisaient partie du Comité de Résistance.
Ce texte inédit écrit par le Comité Rojava du Jura est un hommage à ces 3 internationalistes, revenant sur leur personnalité révolutionnaire et les combats qu’ils ont menés tout au long de leur vie.
Le 19 avril dernier, 3 internationalistes, Dmitry Petrov, Cooper Andrews et Finbar Cafferkey tombaient en Ukraine, en luttant contre l’impérialisme russe. Tous les trois faisaient partie du Comité de Résistance, une unité antifasciste qui écrit dans son manifeste: « Notre tâche : unir les efforts des combattants contre l’autoritarisme en vue d’une lutte efficace pour nos idéaux et nos valeurs. Nous aspirons à influencer l’avenir de l’Ukraine et de toute la région, à protéger les libertés existantes et à contribuer à leur extension.”
Dmitry et Finbar avaient participé à la défense de la révolution du Rojava. Cooper, Finbar et Dmitry ont tous les trois passés des dizaines d’années à lutter sur divers fronts. Ils étaient convaincus que la révolution sociale était un rêve tangible. Ils ont pris la décision consciente de risquer leur vie, sachant que cette lutte nécessiterait beaucoup de sacrifices. Pour toutes les personnes qui partagent leurs rêves, qui luttent contre l’oppression à travers le monde, il est important d’étudier leurs parcours, de comprendre leurs perspectives et de s’en inspirer.
Emmett Doyle leur fait honneur avec la chanson “In Bakhmnut town” enregistrée quelques jours après leur mort dont voici un extrait des paroles:
“Oh, venez, vous qui aimez la liberté, et je vais vous raconter une histoire
Des camarades qui sont venus en Ukraine, en tant que volontaires étrangers
De Russie, d’Amérique, d’Irlande et d’ailleurs…
Et côte à côte, ils se sont battus et sont morts dans les rues de la ville de Bakhmout.
Dmitry Petrov, Ilya Leshy, « Seva », « Lev », Fil Kuznetsov
Dmitry Petrov, Ilya Leshy, « Seva », « Lev », Fil Kuznetsov, est un anarchiste russe, cofondateur de l’Organisation de Combat Anarcho-Communiste (BOAK) qui mène des actions de sabotage contre les infrastructures militaires en Russie. BOAK écrit : « Dima [Dmitry] a participé à tous les processus de création de BOAK (Organisation de Combat Anarcho-Communiste) – son travail théorique, sa formation pratique, l’organisation de l’entraînement et des actions de combat. Mais son principal mérite – et nous pensons que cela ne surprendra pas les personnes qui l’ont connu – était sa capacité à établir des liens avec d’autres personnes, avec des camarades dans son pays et à l’étranger… Il était toujours ouvert aux nouvelles personnes. Il croyait toujours en ce qu’il y avait de meilleur en elles et eux – il s’est trompé plus d’une fois, mais il a continué à croire et à chercher. »
Dans une lettre publiée après sa mort, Dmitry écrit:
« BOAK est notre idée, née d’une croyance en la lutte organisée. Nous avons réussi à la mener au-delà des frontières étatiques. J’ai fait de mon mieux pour contribuer à la défaite de la dictature et à la révolution sociale. Et je suis fier de mes camarades, qui ont mené et mènent encore la lutte en Russie et à l’étranger. En tant qu’anarchiste, révolutionnaire et Russe, j’ai jugé nécessaire de participer à la résistance armée du peuple ukrainien face a l’occupation de Poutine. »
Il explique ainsi sa participation à la guerre en Ukraine:
« Il ne s’agit pas d’une décision ou d’un geste purement individuel. Il s’agit de la poursuite de notre stratégie collective visant à construire des structures durables et à mener une guérilla contre les régimes tyranniques de notre région. »
Militant révolutionnaire de long date, Dmitry a joué un rôle clef dans le développement du mouvement anarchiste en Russie. Il a participé à l’attaque d’une station de police près de Moscou, un événement important qui a marqué le début d’une nouvelle génération d’actions de rébellion anarchistes. Connu en tant que militant écologiste investi dans la défense de la forêt de Khimki, Dmitry était de tous les combats et a pendant plusieurs années combiné un engagement public à un engagement clandestin. Historien passionné, il avait une analyse très fine de la société russe et beaucoup d’amour pour son peuple. Il a étudié en profondeur le processus révolutionnaire au Rojava et s’y est rendu alors que la guerre contre Daech y faisait rage en 2017. Il servi de lien entre le mouvement anarchiste russe et la révolution sociale au Rojava, notamment grâce au projet Hevale : révolution in Kurdistan.
La répression intense du mouvement anarchiste en Russie l’a forcé a l’exil en 2018 et il a décidé de s’établir en Ukraine où il a directement commencé à s’organiser. Quand le mouvement de révolte a éclaté au Bélarus, il a traversé illégalement la frontière pour rejoindre les manifestations. Selon les anarchistes du Bélarus :
« Pendant son séjour à Minsk, il a participé à des dizaines de manifestations, a aidé à organiser un bloc anarchiste lors des manifestations et a même réussi à blesser des policiers avec leurs propres grenades assourdissantes. La nuit, alors que de nombreux Biélorusses se reposaient, Leshy [Dmitry] et d’autres camarades sont descendu-es dans les rues de Minsk et ont détruit les caméras de surveillance qui jouaient un rôle important dans l’infrastructure de répression… »
Dmitry a écrit de nombreux textes d’analyses, dont un article intitulé La mission de l’anarchisme dans le monde moderne, traduit et publié par CrimethInc. Il y écrit « Le monde moderne se caractérise par l’endormissement de la raison et la suppression des sentiments profonds, remplacés par des désirs momentanés et contrôlés depuis l’extérieur. Cet état répugne à la nature humaine ; il provoque l’insatisfaction, suivie d’une aspiration à quelque chose de différent.” et conclut par : “La lutte révolutionnaire organisée est la voie par laquelle nous atteindrons l’objectif décrit dans ce texte. La victoire est possible, et c’est pourquoi nous devons la remporter.”
La vie de Dmitry est un témoignage de comment il est possible de continuer la lutte organisée même dans les conditions les plus difficiles.
Finbar Cafferkey, Çiya Demhat
Finbar ou heval Çiya Demhat est décrit comme “un homme peu bavard dont chacune des paroles valaient la peine d’être écoutées”. Quand la guerre a commencé, il a rejoint les volontaires anti-autoritaires en Ukraine en livrant de l’aide humanitaire ainsi que des véhicules sur les lignes de front. Ne supportant plus de voir mourir les personnes qu’il essayait d’aider, il a finalement décidé de s’engager sur le front. Son ami Davide Grasso écrit dans un post facebook: “Çiya a fait face à des contradictions pour changer le monde. Au lieu de laisser aux néolibéraux ou à l’extrême droite le soin de lutter contre l’invasion de Poutine, lui et ses camarades ont travaillé à l’élaboration d’une alternative libertaire. Pour cela, ils ont tout sacrifié.”
Avant cela, Finbar a participé à la libération de Raqqa de l’emprise de Daech au sein des YPG. Il explique les raisons qui l’ont poussé à partir au Rojava dans un interview intitulé “Une fierté teintée de tristesse : Une interview du front » dont voici un extrait:
“Etre citoyen de l’UE, me rendait complice des horreurs perpétrées par l’État islamique sur le territoire qu’il contrôle, et cela ne me plaisait pas. Lorsque j’ai fait des recherches sur les efforts déployés au Rojava pour lutter contre le sectarisme et la misogynie et promouvoir une forme de démocratie d’une profondeur bien supérieure à celle que nous connaissons en Europe, j’ai vu que le combat ne se limitait pas à la situation d’urgence actuelle.
Après cela, il ne restait plus qu’à décider comment je pouvais aider. J’y ai longuement réfléchi.”
Finbar a également entre autres lutté contre la construction d’un gazoduc en Irlande avec la campagne Shell to Sea. Dans cette vidéo, on le voit chanter devant la prison ou un(e) autre des militant(e)s de Shell to Sea était détenu(e). Il s’était également rendu sur l’île de Kos en Grèce pour prêter assistance aux personnes migrantes.
Il avait aussi composé une chanson en hommage à cette lutte, ‘The lovely Glengad Strand’, dont les paroles sont reproduites ici :
The Council evicted out the camp
They said ye’ll mark the ground
But their hypocrisy was plain to see
for the vultures then gathered round
it’s one law for the multinationals, and another for the rest of the land
And the dogs they started tearing up
the lovely Glengad Strand*
well the piplers captain was told not to come
and then he was told once more
he was warned you will face trouble
if you e’er come near our shores
but the Shell suits whispered don’t be worrying
the guards fists will make it grand
and so the Solitaire* steamed from Killeybegs*
towards the lovely Glengad Strand
there the Dutchman looked out from his bridge
and his heart it filled with woe
there were trawlers, ribs and kayaks
and a hunger strike on the shore
the Shell bucks* called we are waiting
to winch your pipe to land
but no answering signal did go in
to the lovely Glengad strand
the captain said boys I’ve seen enough
this craic* here it is no joke
we’ll take the sledge to the crane tonight
and we’ll let on that she has broke
well the tears they swept down the shellboys cheeks
they cried a weala wallia*
and a roar down from the hillside came
a « hurray le Shell chun Sáile »*
now that battle we did win it well
but our long war it still goes on
it’s been forced on us by gangsters
who know the value of nothing
sing loud the name of Shell to Sea
our staunch and stalwart band
for when needs be again we’ll join to defend
the lovely Glengad Strand
*Glengad strand – la partie de la côté sur laquelle Shell voulait construire le gazoduc
*Solitaire – le nom du bateau qui était utilisé pour la construction du gazoduc
*Killeybegs – le port d’amarrage du Solitaire
*Shell bucks – les hommes de Shell
*craic – argot utilisé en Irlande pour dire ‘marrant’, ‘qu’est-ce qu’il se passe’ ou ‘nouvelles’
*weala wallia – terme de complainte en irlandais signifiant ‘malheur’ ou ‘douleur’
*hurray le Shell chun Sáile – « hurrah pour Shell to Sea » en irlandais
Cooper Andrews, Harris
Cooper Andrews ou Harris est un militant autonomiste noir des États-Unis. Selon les mots de sa maman: « Il avait un rare don d’empathie et restait debout tard dans la nuit pour écouter celles et ceux qui avaient besoin d’une oreille bienveillante ». Elle a créé une fondation dont le but est de collecter de l’argent pour les causes qui étaient chères a Cooper.
Concernant les raisons de son engagement en Ukraine, il explique: « Une victoire de Poutine ici ne plongera pas seulement cette région dans une période sombre d’autoritarisme dont il n’y aura pas d’échappatoire, mais elle représentera également une victoire pour ceux qui cherchent à refaire le monde à l’image de l’ancien, c’est-à-dire pour ceux qui cherchent à recréer la sauvagerie de l’autoritarisme produit par ces autocrates, des fascistes sous une variété de noms. Entre nos mains, il y a un monde à gagner et un combat qui exige de grands sacrifices, mais l’alternative n’est pas envisageable. Pour nous et tous ceux qui font face à l’ombre de l’agression poutiniste, il n’y a que la victoire ou la mort. Amour et lutte. »
Cooper s’était engagé dans les Marines afin d’acquérir une formation à l’autodéfense et de se préparer à devenir un volontaire internationaliste. En novembre 2022, il a rejoint la Légion étrangère en Ukraine et devait rentrer chez lui en mars, mais il a décidé de continuer à se battre avec ses camarades du Comité de Résistance.
Cooper militait depuis sa jeunesse contre les violence policières et contre le fascisme, notamment par son engagement dans le centre social The Rhizome House . Il était également actif dans le Mutual Aid Disaster Relief, un réseau de secours en cas de catastrophe basé sur les principes de solidarité, d’entraide et d’action directe autonome.
Cooper, Finbar et Dmitry sont des exemples de militants infatigables, consistants, capables de surmonter les difficultés et les contradictions inhérentes à la lutte. En s’inspirant d’eux et poursuivants leurs combats nous continuons de les faire vivre.
Şehîd namirin,
Les martyrs ne meurent jamais.
Le Comité Rojava du Jura.