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À propos d’Abdullah Öcalan

Nov 7, 2023Confédéralisme démocratique

Le 10 octobre 2023, la campagne mondiale “Liberté pour Öcalan, une solution politique à la question kurde” s’est lancée avec pour objectif la libération du leader kurde, condition indispensable pour une résolution politique de la question kurde. Abdullah Öcalan avait été du quitter la Syrie, préssurée par la Turquie, le 9 octobre 1998. Après que la plupart des pays européens lui aient refusé l’asile, il a été arrêté le 15 février 1999 à Nairobi au Kenya par une opération conjointe du MIT turc, de la CIA et du Mossad. Il est depuis incarcéré sur l’île-prison d’Imrali et soumis à une politique d’isolement total. Les dernières nouvelles de lui remontent à fin mars 2021, lors d’un bref appel téléphonique avec son frère. Il n’a pas pu rencontrer ses avocats depuis fin mai 2019.

Serhildan publie une version abrégée de la brochure « La liberté l’emportera, une courte biographie politique d’Abdullah Öcalan » rédigée par l’Initiative internationale « Liberté pour Abdullah Öcalan – Paix au Kurdistan ». La brochure complète est à retrouver ici.

Biographie

Abdullah Öcalan est né le 4 avril 1948, dans le village d’Amara, à Xelfetî (Halfeti), dans la province de Riha (Urfa). Il est diplômé du lycée professionnel du cadastre d’Ankara en 1968. En 1970, alors qu’il travaille comme fonctionnaire, il s’inscrit à la faculté de droit de l’université d’Istanbul. Au cours de ces années, il rencontre le Devrimci Doğu Kültür Ocağı (Foyers culturels révolutionnaires de l’Est – DDKO) et les jeunes leaders de la génération 1968 sur la question kurde. Il quitte ensuite la faculté de droit pour s’inscrire à la faculté de sciences politiques de l’université d’Ankara. Là, il mène une grève étudiante pour protester contre le meurtre, en mars 1972, du leader révolutionnaire turc Mahir Çayan – dont les idées l’ont grandement influencé et qu’il commémore encore aujourd’hui – et de neuf de ses camarades à Kızıldere. Le 7 avril 1972, Abdullah Öcalan est emprisonné pendant sept mois pour son rôle dans les manifestations.

Après sa sortie de prison, n’ayant pas réussi à mettre le problème kurde à l’ordre du jour des révolutionnaires turcs, il commence à travailler à la création d’un groupe distinct autour de l’idée que « le Kurdistan est une colonie ». La première réunion historiquement importante de ce groupe a lieu en 1973, à Ankara.

En 1977, Öcalan et ses amis se rendent au Kurdistan pour faire connaître le nouveau groupe et ses idées. À l’été 1978, Abdullah Öcalan écrit « La voie de la révolution du Kurdistan » – œuvre également connue sous le nom de « Manifeste » – qui est publiée dans le premier numéro de la revue Serxwebûn (Indépendance). Peu de temps après, il rédige le « Programme du Parti » dédié à la mémoire de Haki Karer (militant originaire de la région de la mer Noire assassiné à Dîlok en mai 1977), avant de déclarer la fondation du Partiya Karkerên Kurdîstanê (Parti des Travailleurs du Kurdistan, PKK) à l’issue d’un congrès dans le village de Fis, à Amed, les 26 au 27 novembre 1978.

À la suite de cette déclaration, des massacres sont perpétrés par le régime turc à Maraş et Meletî (Malatya) et des attaques à Semsûr (Adıyaman) et Xarpêt, avant que ne soit déclarée la loi martiale qui conduit à la détention de nombreuses personnes [1]. En 1979, pressentant le coup d’État militaire qui a effectivement lieu l’année suivante, Abdullah Öcalan et plusieurs de ses amis passent en Syrie, depuis la ville de Pirsus (Suruç), frontalière de la ville de Kobanê.

De 1979 à 1998, Öcalan organise et dirige l’éducation politique de la base du PKK qu’il considère comme plus importante que la formation militaire. Parallèlement, il dirige le mouvement dans son ensemble, s’occupant des relations extérieures et des réunions diplomatiques, tout en faisant de son mieux pour rester en contact avec les Kurdes et leurs alliés au Liban, en Syrie et, de plus en plus, dans le monde. Faisant des allers-retours entre la Syrie et le Liban, où il coopère avec l’Organisation de libération de la Palestine et rencontre des cadres nouveaux et anciens pour la lutte à venir, Abdullah Öcalan commence à préparer une guerre populaire révolutionnaire contre la junte mise en place après le coup d’État du 12 septembre 1980.

Suite au coup d’État militaire, des milliers de personnes sont emprisonnées et gravement torturées, alors qu’une vague de répression sévère se déchaine contre la société. Des informations faisant état de disparitions forcées et d’exécutions sont divulguées malgré une censure intense. En conséquence, durant cette période, les écrits d’Öcalan se concentrent sur la construction d’une organisation armée contre le fascisme, la lutte contre les propriétaires terriens et l’aristocratie kurdes qui ont collaboré avec l’État, et la transformation des militants kurdes, avec leurs personnalités opprimées et colonisées, en combattants de la liberté. Öcalan tente également à plusieurs reprises de former une coalition avec les organisations révolutionnaires turques qui avaient réussi à s’introduire dans d’autres pays de la région. Cependant, des conflits internes à la gauche turque, entre autres, empêchent l’émergence d’une telle coalition.

Le 15 août 1984, le PKK mène sa première offensive armée contre deux postes militaires, l’un à Dih (Eruh) et l’autre à Şemzînan (Şemdinli). Par la suite, le PKK commence à croitre de façon exponentielle. Alors que l’organisation continue de progresser, gagnant en popularité parmi les Kurdes et étendant son influence régionale, de nouveaux problèmes apparaissent entre 1987 et 1990. Une série de documents intitulés « Analyses » rassemble les interprétations d’Öcalan sur les problèmes existants [2]. 

La lutte armée du PKK contre l’État turc se poursuit après la fin du coup d’État militaire. Au regard de la répression à laquelle les Kurdes sont confrontés dans la région, de l’interdiction de leur langue et de leurs organisations et du déni de leur existence, la transition vers la démocratie en 1984 est un non-événement. En effet, non seulement le PKK mais toute la gauche en Turquie définissent la période post-coup d’État militaire comme l’institutionnalisation du fascisme et du néolibéralisme en Turquie.

De 1990 à 1992, la lutte armée menée par le PKK, qualifiée par Öcalan de « guerre pour la défense de l’existence », bénéficie d’un soutien populaire massif. Au cours de cette période, Öcalan est convaincu que les solutions politiques à la question kurde proposées par le PKK et ses stratégies doivent être révisées.

Dans ses écrits, Öcalan commence à conceptualiser une forme radicale de démocratie qui pourrait libérer les Kurdes, les femmes et d’autres groupes opprimés. Öcalan se concentre à ce stade principalement sur deux aspects de la lutte : d’abord, comment se centrer sur la liberté des femmes et transformer le PKK en une organisation qui puisse offrir la liberté à ses militantes et au peuple ; deuxièmement, comment traiter les lacunes du modèle socialiste réel soviétique sans abandonner les idéaux d’une révolution socialiste. Il commence également à développer ses idées concernant l’histoire, sur lesquelles il reviendra plus tard plus en détail dans ses écrits de prison. Öcalan dira plus tard que la seconde moitié des années 1990 est celle où il s’est libéré de la pensée dogmatique.

Durant cette même période, il tente d’ouvrir un espace de dialogue entre le PKK et l’État turc. Tous ces efforts sont sabotés par des évènements que le Mouvement kurde et Öcalan soupçonnent fortement d’être l’œuvre d’unités de l’OTAN/Gladio [3]. Parmi ces événements, on peut citer le massacre de trente-trois soldats turcs non armés par un groupe de guérilléros du PKK, la mort suspecte d’Özal et les attaques, attentats à la bombe et tentatives d’assassinat visant Abdullah Öcalan.

Les attaques contre Öcalan et ses idées par des forces visant à empêcher la paix et la démocratie au Kurdistan culminent avec l’exil du leader kurde hors du Moyen-Orient et son enlèvement. Les pressions diplomatiques et militaires des États-Unis sur l’État syrien et la menace ouverte de guerre de la Turquie contre Damas obligent Abdullah Öcalan à quitter la Syrie le 9 octobre 1998.

Enlèvement et détention

Après avoir quitté la Syrie, Öcalan se met à la recherche d’un nouvel endroit où il pourrait continuer la lutte politique. Pendant cette période, la CIA et le Mossad le poursuivent sans relâche et, à la suite des pressions intenses exercées par l’OTAN et la Turquie, ses demandes d’asile sont rejetées par différents gouvernements. Après une odyssée à travers plusieurs pays européens, Öcalan part pour l’Afrique du Sud, mais il n’y arrivera jamais. Le 15 février 1999, dans un complot impliquant plusieurs services secrets, dont la CIA, le Mossad et les agences de renseignement turques et grecque , il est enlevé à sa sortie de l’ambassade de Grèce au Kenya, à Nairobi, et remis à la Turquie. L’enlèvement provoque des protestations et des soulèvements dans les quatre parties du Kurdistan et dans le monde.

Un procès et la peine de mort

Le 29 juin 1999, Abdullah Öcalan est condamné à mort après un court procès-spectacle sur l’île d’Imrali en Turquie, un procès qui sera plus tard jugé non équitable par la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH).

Entre temps, les protestations kurdes atteignent leur apogée et la Turquie déclare que dans le cadre des négociations pour son accession au statut d’État membre de l’UE, qu’elle envisage d’abolir la peine de mort. Elle est effectivement abolie en 2002 et, en conséquence, la peine d’Öcalan est commuée en « réclusion à perpétuité aggravée », sans aucune possibilité de libération anticipée, c’est-à-dire un emprisonnement jusqu’à la mort. La CEDH condamnera cette peine inhumaine en 2013, mais sa décision ne sera jamais exécutée.

Conditions carcérales sur l’île d’Imrali

Les conditions de détention d’Abdullah Öcalan sont obscures dans la mesure où il est soumis à un isolement total. L’île d’Imrali où il est emprisonné est une zone militaire située dans la mer de Marmara. Öcalan a passé les dix premières années de sa peine en tant que seul prisonnier de l’île, surveillé par plus d’un millier de soldats. En 2009, une nouvelle prison est construite pour lui et trois autres prisonniers sont transférés sur l’île. Toutes les cellules de cette nouvelle prison sont conçues pour l’isolement. Chacune est pourvue d’une petite cour séparée dont les murs sont si hauts qu’on s’y sent comme au fond d’un puits.

Öcalan est le seul prisonnier en Turquie à être privé de relations épistolaires et téléphoniques. Au cours des dix dernières années, les autorités n’ont autorisé que cinq rencontres avec ses avocats et cinq visites familiales, celles-ci n’ayant été accordées qu’après des mouvements prolongés de grèves de la faim, avec la participation de milliers de prisonniers politiques kurdes dans toute la Turquie.

Malgré ces conditions, Öcalan a produit un important corpus d’écrits en prison [4]. Ses écrits décrivent la nouvelle stratégie que le PKK et d’autres acteurs du mouvement de libération kurde devraient adopter pour transformer le Kurdistan, la Turquie et la région au sens large sans modifier les frontières politiques existantes. Il évalue et critique également les lacunes et les échecs du PKK afin d’améliorer son impact social et d’accroître sa capacité politique.

Approfondissant et développant sa thèse sur l’histoire, les écrits ultérieurs d’Öcalan définissent son paradigme alternatif. Il plaide pour une compréhension de l’histoire comme un antagonisme entre la formation de l’État et la formation de la société. Puisque la révolution est pour l’émancipation de la société, elle devrait également être contre l’État, en s’organisant de manière à rendre l’État inopérant. Alors que le capitalisme, le patriarcat et l’État-nation construisent la Modernité capitaliste, il soutient que la résistance du peuple contre ces systèmes devrait s’appuyer sur l’histoire de la Modernité démocratique, dont les luttes révolutionnaires mondiales sont les héritières.

Enfin, dans ses écrits, Öcalan revisite et développe ses idées sur la liberté et la révolution des femmes, ce qu’il appelle son « projet inachevé ». Plaçant la liberté et la révolution des femmes au cœur de toutes les révolutions démocratiques, il souligne que l’organisation autonome et la production idéologique des femmes transformeront la société en un état d’égalité, de paix et de liberté [5]. 

Les idées qu’Öcalan a formulées en prison ont grandement influencé et inspiré trois projets révolutionnaires. Le projet de la Syrie du Nord-Est, plus communément appelé la révolution du Rojava, mené sous l’égide des Kurdes, avec la participation des autres peuples de la région, dont les Arabes et les Assyriens, est une révolution où le rôle des femmes et des jeunes est déterminant, une lueur d’espoir pour la région. Le Halkların Demokratik Partisi (Parti démocratique des Peuples, HDP [aujourd’hui HEDEP]), fondé en 2012 et rassemblant le mouvement kurde et d’autres mouvements de liberté en Turquie, notamment les mouvements socialistes, féministes, écologiques et LGBTQI+, les alévis, les Arméniens et d’autres mouvements d’opposition, est également façonné par les idées d’Öcalan. Aux dernières élections législatives, il a obtenu le soutien de 12 % de l’électorat en Turquie. Autre exemple, le conseil autonome du peuple kurde yézidi, formé au lendemain du génocide perpétré par l’État islamique à Shengal, est orienté vers l’autodéfense et l’autonomie gouvernementale, de sorte que les yézidis puissent continuer à vivre et s’épanouir sur leurs terres. Pour sa part, le mouvement des femmes kurdes, doté de l’analyse d’Öcalan, a non seulement créé un précédent en matière d’auto-organisation et d’autodéfense dans les conditions actuelles, mais a également montré comment traduire cela en mécanismes politiques qui permettent aux femmes d’exercer leur rôle pour une transformation durable au Moyen-Orient. Tous ces acteurs politiques visent à construire des régions autonomes fondées sur la démocratie radicale au Moyen-Orient et à s’unir dans une structure confédérale sur la base d’une constitution écologique, féministe et décoloniale.

Lutte pour la paix

En prison, Öcalan a développé et enrichi la stratégie adoptée par le mouvement kurde au cours de la seconde moitié des années 1990 pour parvenir à la paix avec l’État turc. Il a participé à plusieurs processus de négociations avec le gouvernement turc, notamment lors du soi-disant « processus d’Oslo » en 2009, du « processus d’Imrali » qui a abouti au retrait de la guérilla du territoire turc en 2013 ou encore à travers la déclaration de Dolmabahçe en 2015. Cependant, toutes ces tentatives se sont révélées infructueuses, le gouvernement turc rompant systématiquement les accords en mettant en place des politiques toujours plus répressives. 

Manifestations et campagnes

Depuis le départ d’Abdullah Öcalan de la Syrie en 1998 et son arrestation ultérieure en 1999, il y a eu d’innombrables protestations au Kurdistan, en Turquie et au niveau international pour dénoncer son enlèvement, la peine de mort, la détention au secret sur l’île d’Imrali, les atteintes ciblées à sa santé, l’isolement total, et pour réclamer sa libération et demander qu’il puisse jouer un rôle politique. À plusieurs reprises, l’isolement n’a pu être rompu que par des grèves de la faim prolongées et généralisées.

Öcalan a exprimé sa gratitude et déclaré sa camaraderie avec tous les mouvements et personnes dans le monde qui pratiquent et luttent pour la liberté. À ce jour, lui et ses codétenus restent totalement isolés, sans aucune possibilité de communication avec l’extérieur.

Pendant ce temps, le soutien à ses idées et le chœur des voix appelant à sa liberté grandissent chaque jour.

Notes

[1] Le plus grand massacre a eu lieu à Maraş où plus de cent membres de la communauté religieuse alévie, orientée vers la gauche, ont été assassinés par des ultra-nationalistes lors d’un pogrom qui a duré du 19 au 26 décembre 1978.

[2] « L’approche révolutionnaire de la religion », « La question de la femme et de la famille », « La liquidation du liquidationnisme », « Le fascisme du 12 septembre et La résistance du PKK ; Trahison et collaboration au Kurdistan » et « écrits choisis, vol. 1–4 ».

[3] Gladio est le nom de code d’un des réseaux clandestins « stay-behind » organisés par l’Union occidentale, puis par l’OTAN pendant la guerre froide. Tous les États membres de l’OTAN ont mis en place des cellules liées à des groupes et des personnalités politiques anticommunistes et d’extrême droite. En Turquie, ces unités sont devenues extrêmement influentes en tant que forces de contre-guérilla. La contre-guérilla vise diverses organisations de gauche, notamment le PKK en Turquie et en Europe.

[4] Ces livres ont été écrits en tant que mémoires soumis à différentes juridictions, principalement la Cour européenne des droits de l’homme.

[5] Civilisation : L’ère des dieux masqués et des rois déguisés, vol.I ; Capitalisme : L’ère des dieux sans masque et des rois nus, vol.II ; Sociologie de la Liberté, vol. III ; la crise civilisationnelle au Moyen-Orient et la solution de la civilisation démocratique, vol. IV ; Le Manifeste de la révolution du Kurdistan : La question kurde et la solution de la nation démocratique, vol. V. Tous ces livres sont disponibles sur ocalanbooks.com.