Attaques turques contre le Rojava (MAJ régulières)
La Turquie a lancé une nouvelle série d’attaques sur le Rojava dans la nuit du 23 au 24 décembre. Elles sont menées via des bombardements aériens par des avions de chasse et des drones. Comme lors des attaques du 4 au 10 octobre dernier, elles ciblent particulièrement les infrastructures civiles : stations de production de gaz, puits de pétrole, usines et sites de production économiques essentielles.
Dans cet article, nous essaierons de publier les bilans quotidiens, venant de sources d’informations sur le terrain comme Firat News ou le Rojava Information Center, ainsi que toute mise à jour qui nous parvient.
Bilan et analyse des attaques
Le 23 décembre, suite à une défaite militaire et politique infligée par la guérilla kurde au Bashur (Sud du Kurdistan – Irak), l’Etat turc a lancé une vague de bombardements sur l’Administration autonome au Rojava, via des avions de guerre et des drones, au cours d’une nouvelle phase d’intensification de la guerre, qui a duré du 23 au 26 décembre.
L’armée turque a ciblé en très grande majorité des infrastructures civiles, afin de déstabiliser économiquement la région, répandre la terreur dans la population et s’attaquer à ce que ces infrastructures représentent : les réussites de la révolution.
De nombreux lieux ont été la cible des bombardements turcs, qu’on dénombre à plus de 50 :
– infrastructures médicales : la clinique de santé, en activité, de Mishtenur a Kobanê a été partiellement détruite, le centre de dyalise et de production d’oxygène médical de Qamishlo a été partiellement détruit
– infrastructures énergétiques : une station-service, plusieurs sites de stockage de pétrole, les champs pétroliers de Saida et d’Odeh, la centrale électrique de Sabia ont été endommagés
– sites de production : de nombreuses usines et ateliers ont été frappés et détruits (l’imprimerie spécialisée dans les livres scolaires Sîmav, une cimenterie, un garage et plusieurs sites de production du bâtiment)
– sites agricoles : une usine de transformation de lentilles, une usine de coton, des silos de grains, une usine de production d’huile d’olive, un élevage de poulets et une ferme ont été ciblés
– plusieurs maisons civiles ont été la cible de frappes ainsi qu’une cafétéria.
– une dizaine de check-points des Asayish ont été détruits dans des frappes dans plusieurs régions (Kobanê, Amudê, Qamishlo…)
Ces attaques ont en tout fait 10 martyrs :
– Ferhan Xelef, Bêrîvan Mihemed, Hisên Ehmed et Ryad Hemo ont été tué-es lors du bombardement de l’imprimerie Sîmav où ils travaillaient. Ciwan Eli, blessé lors de ce bombardement, a ensuite perdu la vie alors qu’il était traité à l’hôpital.
– Rênas Hisên est tombé martyr dans le bombardement de l’usine d’aliments pour aliments de Cizrê.
– Ferhan Temê a été tué lors du bombardement de l’usine du district d’Eleya à Qamishlo.
– Aya Seawî est tombée martyre lors du bombardement de la cafétéria du village d’Um El Fursan, près de Qamishlo.
– Farid El Faris, blessé lors du bombardement de Qamishlo, est décédé de ses blessures.
– Mansour Karimian, artiste et producteur de séries est aussi tombé martyr lors des bombardements de Qamishlo.
On dénombre au minimum plus d’une trentaine de blessé.e.s.
– A cause des bombardements, dans les cantons de Cizrê, Firat et Afrin-Sehba, 712 écoles ont suspendu l’enseignement et plus de 90 000 élèves ont été privé.e.s d’éducation. L’imprimerie Sîmav, qui a été bombardée et détruite, fournissait des livres pour 800 000 élèves dans plus des 4 400 écoles de la région.
– Les frappes sur les centrales électriques, stations et infrastructures pétrolières ont coupé l’électricité dans plus de 9 villes et 2 500 villages.
– A Qamishlo, les frappes sur la structure hospitalière ont détruit le système qui permettait de fournir de l’oxygène aux hôpitaux publics de la région et de produire plus de 300 bonbonnes d’oxygènes par jour.
Ces attaques ont impacté la situation sanitaire et humanitaire de l’Administration autonome que ce soit au niveau des soins, de l’alimentation ou de l’énergie. Une précédente phase intensive de bombardements, début octobre, avait déjà énormément fragilisé les infrastructures. Entre le 4 et le 10 octobre, plusieurs centaines de frappes aériennes avaient visé de très nombreux cantons et régions : Qamishlo, Dêrîk, Hesekê, Eyvn Îsa, Kobanê, Manbij et Sehba-Efrin. La très grande majorité des cibles étaient là encore civiles : habitations, villages, infrastructures d’énérgies et agricoles, lieux de formation comme une acamédie des Ayasish. A la suite de ces attaques, plus de 47 citoyen.ne.s, dont 2 enfants et 29 membres des Asayish, sont tombé.e.s. 59 personnes y avaient été blessé.e.s. En tout, les dégats matériels avaient été estimés à plus d’1 milliard 270 millions de dollars.
Ces attaques ont pu être en partie arrêtées par l’effort combiné de l’immense courage de la population sur place qui s’est mobilisé pour la défense de ses infrastructures en les protégeant de leurs corps, de la solidarité internationale qui s’est manifestée à de très nombreux endroits en Europe ainsi que par la riposte militaire des Forces démocratiques syriennes qui ont attaqué ces derniers jours des bases militaires turques dans la nord de la Syrie, à Manbij notamment.
Celle-ci comprend des assassinats et bombardements ciblés. On pense ainsi très récemment au bombardement au Rojava le 30 décembre de plusieurs villages dans le district d’Ein Isa du canton de l’Euphrate et dans le district de Shera a Efrin, à celui le 29 décembre du village de Gelale, ou bien le 28 décembre qui a eu lieu dans la région de Kora Simoqya à Shengal (Nord de l’Irak, Kurdistan du Sud) et qui a tué 5 ouvriers qui foraient de l’eau. Ces attaques sont meurtrières, ponctuelles et ciblées.
Ces attaques visent ainsi des infrastructures, la population, des zones stratégiques ou des personnes spécifiques. Cela se traduit autant par des attaques de drones que des incendies de récoltes. Ainsi, en 2023, en dehors des 2 vagues de bombardements intensifs, la Turquie a mené 90 frappes de drone, causant plusieurs dizaines de victimes.
Elle mène aussi de nombreux assassinats ciblés, comme celui dernièrement de Ronî Welat, commandant des Forces démocratiques syriennes et figure clé des échanges diplomatiques et de dialogue entre l’AANES et les chefs tribaux de Deir ez-Zor. Le MIT (services secrets turcs) ont revendiqué son assassinat, le 5 décembre, au moyen d’un dispositif explosif. Un drone turc avait aussi assassiné le 20 juin dernier la co-présidente du Conseil du canton de Qamishlo, Yusra Muhammad Darwish, ainsi que Leyman Shiweish, sa vice co-présidente et leur chauffeur, Furat Toma.
Ainsi, l’arrêt des bombardements “spectaculaires” comme on a pu le voir durant les séquences 4-10 octobre et 23-26 décembre ne signent donc pas une trêve temporaire, juste une modification des modalités de la guerre.
Cette guerre se définit notamment par 3 grandes caractéristiques : c’est une guerre de basse intensité, couplée et hybride.
Une guerre de basse intensité : tout en évitant l’attention médiatique et diplomatique qu’attire une campagne d’invasion ou de bombardements, la Turquie mène des frappes de drone régulières, des bombardements d’artillerie quotidiens le long des frontières des zones occupées ou encore des opérations de propagande médiatiques.
Une guerre couplée : en parallèle de l’utilisation de ses forces armées conventionnelles, l’Etat turc a recours à des proxys, des forces armées non-étatiques agissant par procuration. Celles-ci sont regroupées au sein de l’Armée nationale syrienne (ASN) et jouent le rôle de mercennaires de la Turquie dans les zones occupées où elles pillent, éxecutent, violent la population civile restée sur place et attaquent les zones sous contrôle des Forces démocratiques syriennes.
Une guerre hybride : au niveau militaire, la Turquie utilise autant les armes régulières que non-conventionnelles (comme des armes chimiques). Mais cela englobe aussi de très nombreuses dimensions qui deviennent autant de champs de bataille : politique, économique, diplomatique, médiatique.
Au niveau économique, l’État turc fait tout ce qui est en son pouvoir pour affamer, appauvrir, rendre dépendant économiquement ces zones et empêcher l’autonomie économique des régions libérées. Il vise ainsi tout ce qui permet à l’Administration autonome d’assurer son autonomie alimentaire et énergétique. Depuis 2018, à Afrin, les supplétifs de l’État turc déracinent les oliviers (principale source de revenu de la population) pour les revendre ensuite en Turquie ou produisent à leur compte l’huile et le savon (une partie du fameux “savon d’Alep”) qui faisaient la richesse du territoire. L’État turc mène aussi une guerre de l’eau contre ces régions. Traversé par les grands fleuves du Tigre et de l’Euphrate, la Turquie a mené depuis les années 1960 une vaste politique d’aménagement et de construction pour s’en assurer le contrôle. Ces très nombreux barrages lui permettent ainsi de contrôler le débit pour les différents bassins versants qui s’étendent en Syrie, Irak et Iran. Cela lui permet par exemple de réduire énormément le débit du fleuve pour rendre tout projet agricole dans l’Administration autonome du Nord et de l’Est de la Syrie extrême difficile. Cela lui permet aussi de faire pression sur les autres États pour pouvoir mener sa politique à bien, par exemple lui permettant d’intervenir militairement contre les régions libérées et contre le mouvement de libération du Kurdistan.
Enfin, l’État turc se sert des outils diplomatiques et politiques à la fois pour continuer sa guerre militaire sans être inquiété mais aussi en les utilisant comme des outils au sein de la guerre. Dans le contexte de tensions croissantes entre l’OTAN et la Russie en Europe de l’Est, la Suède a ainsi fait une demande pour rejoindre le bloc atlantiste. La Turquie, 2nde force militaire de l’OTAN, s’y est opposée pour y imposer ses conditions. La Suède accueille une partie de la diaspora kurde et de nombreux.euses exilé.e.s politiques ou militant.e.s du mouvement de libération. L’État turc a ainsi instrumentalisé la situation géopolitique pour faire avancer ses pions dans sa guerre contre le mouvement de libération et les régions libérées. Ainsi, alors même que l’armée turque bombardait des civils, des habitations et des lieux de travail, l’État turc conditionnait et donnait son approbation de l’adhésion de la Suède à l’OTAN en négociant à la fois le silence de la communauté internationale de même qu’une répression plus dure de la Suède vis-à-vis de la diaspora kurde, au nom de l'”anti-terrorisme”, via par exemple des extraditions vers la Turquie. Cet exemple récent nous montre à la fois comment la politique extérieure de la Turquie est pensée en partie comme une continuité de la guerre militaire mais aussi constitue une partie de la guerre générale menée contre le Mouvement de libération du Kurdistan partout dans le monde. Il nous rappelle aussi que l’OTAN et les puissances impérialistes seront toujours des ennemis des mouvements révolutionnaires en général et du Mouvement de libération du Kurdistan en particulier, malgré des discours et appuis circonstanciels quand cela sert leurs intérêts politiques internationaux ou intérieurs.
-la brochure de RiseUp4Rojava et du Secours Rouge International “Reconnaitre une guerre quand on voit une. A propos de la guerre de basse intensité du fascisme turc contre les régions libérées du Kurdistan” – https://serhildan.org/wp-content/uploads/2022/07/Reconnaitre-une-guerre-quand-on-en-voit-une-Secours-rouge-2020.pdf
-l’article publié par Ballast et notre site, rédigé par Camille Marie, géographe, et Loez, journaliste : “Guerre de l’eau et des mémoires au Kurdistan Nord” – https://serhildan.org/guerre-de-leau-et-des-memoires-au-kurdistan-nord/
26 décembre
25 décembre
Pour le PYD, l’État turc occupant a été vaincu politiquement et militairement. Il s’est donc transformé en un État terroriste et a attaqué de manière barbare la région du Rojava en prenant pour cible les infrastructures sous les yeux du monde entier
“Il s’agit d’une attaque génocidaire, une attaque contre les peuples kurde, arabe, assyrien, assyrien, turkmène, circassien et arménien. Elle est contre toutes les religions, contre la vie et l’avenir communs. Elle viole toutes les lois humanitaires et de la guerre.
Le silence [de la Coalition internationale (dont la France fait partie)] face à ces attaques signifie que vous êtes responsable des conséquences de ces attaques. C’est pourquoi nous vous appelons à mettre fin à votre silence sur le meurtre de nos enfants et à faire preuve de l’attitude nécessaire.”
24 décembre
Les montagnes du Bashur (Kurdistan du Sud – Nord de l’Irak) sont le théâtre depuis depuis plus d’un an et demi d’affrontements entre l’armée turque et les zones de résistance de la guérilla dans le cadre de l’Opération Claw-Lock lancée le 17 avril 2022 par l’Etat turc. Cette opération vise pour l’Etat turc à “sécuriser” et “neutraliser” la zone, soit à écraser la guérilla du mouvement de libération du Kurdistan qui représente une menace directe pour le fascisme turc. Sur le terrain, cette opération s’est traduite par des bombardements, une occupation militaire et colonial ainsi que l’utilisation d’armes chimiques, contraire au droit international, comme le 18 octobre 2022 dans la région de Zap où 18 combattant-es étaient tombé.e.s martyr.e.s à cause de leur utilisation.
Le 22 décembre dernier, la guérilla du HPG (Forces de Défense du Peuple) a mené une opération contre deux positions militaires turques à Xakurkê et Métina dans le cadre de l'”opération révolutionnaire du martyr Ahmed Rubar” du nom d’un combattant tombé martyr le 22 mai 2022. Dans des conditions météorologiques dures dues à l’hiver, ces opérations ont été victorieuses. La guérilla kurde a réussi à prendre ces positions, occasionnant de nombreuses pertes dans les rangs de l’armée turque (36 soldats selon les informations de la guérilla). Dans les montagnes et en hiver, la guérilla a ainsi réussi à mettre en déroute la Turquie, 2e armée de l’OTAN. Cela représente un affront pour l’Etat turc et une défaite dans le cadre de l’opération Claw-Lock et de leur stratégie. Cette réalité, l’Etat turc veut la cacher à tout prix.
Il minimise ainsi le nombre de victimes de leur côté en annonçant 6 morts et plusieurs blessés tandis que les HPG ont déjà communiqué les noms de 16 de ces combattants, et tente de garder ces pertes secrètes le plus longtemps possible. Ou tout du moins, le temps d’organiser des représailles et de communiquer dessus pour ne pas perdre la face.
C’est donc dans ce contexte que l’État turc a lancé hier soir une série de bombardements sur de nombreux sites de l’AANES (Rojava), par des avions, des drones et de l’artillerie.