Au Kurdistan turc, les survivants du tremblement de terre privés d’eau

Sep 17, 2023Ecologie, Expériences et analyses

Canalisations et infrastructures détruites, pollution des rivières, eau contaminée, abandon de l’état, corruption… Depuis le tremblement de terre dévastateur ayant frappé le Sud-est de la Turquie et le Nord-ouest de la Syrie le 6 février dernier, tuant au moins 50 000 personnes, l’eau est devenue, plus que jamais, une ressource rare.

Dans cette région déjà meurtrie par des années de conflits politiques, les rescapés à majorité kurdes et syriens sont livrés à eux-mêmes et tentent de survivre dans des conditions insalubres où les risques sanitaires demeurent très élevés.

Dans la province de Semsûr (Adıyaman), dévastée par le séisme, la question de l’accès à l’eau est cruciale. Ahmethoca s’est transformé en décharge à ciel ouvert, l’État y déverse ses déchets générés par le séisme. Déchets pour la plupart à base d’amiante qui empoisonnent les rivières ainsi que les villageois.

Plus loin dans le village de Binevler, les habitants attendent désespérément l’eau, distribuée au compte goutte par des entreprises privées une seule fois dans la semaine. Dans les nombreux campements installés dans ce qui reste du centre de Semsûr (Adıyaman), les femmes seules veillent à la gestion de la ressource en eau pour toute la famille et s’inquiètent de voir apparaitre des maladies. C’est le quotidien de ces minorités, déjà persécutées par le gouvernement et qui craignent les sécheresses à venir.

Un reportage photo d’Angeline Desdevises.

Binevler est un petit village situé près de Semsûr (Adıyaman), au sud de la Turquie. Les villageois n’ont plus d’eau depuis le tremblement de terre survenu le 6 février 2023.

 

Des compagnies privées apportent de l’eau aux habitants qu’une seule fois par semaine. Un camion-citerne se rend en fin de journée dans ce village pour remplir une cuve qui est censée tenir plus de sept jours.
 

Chaque famille fait des réserves et remplit plusieurs bidons, malheureusement il n’y a pas assez d’eau pour tout le monde. Selon un habitant, “l’État laisse sciemment mourir les gens vivant dans cette région de la Turquie. Ce n’est pas nouveau, c’est parce que nous sommes Kurdes, Syriens ou Alévis”.

 

L’une des doyennes du village se sent démunie et exprime son désarroi : “là où il n’y a plus d’eau, votre vie s’arrête. Sans eau les gens perdent espoir« .

 

L’eau est arrivée avec une heure de retard. Les habitants, assoiffés, faisaient la queue depuis un long moment en plein soleil. Une villageoise traduit son épuisement et sa colère face à la situation.

 

Une femme remplit ses bidons d’eau. La situation est ainsi depuis six mois.

 

Une habitante revient avec une brouette remplie de bouteilles d’eau. Ce sont essentiellement les femmes qui se chargent de la gestion de la ressource en eau pour toute la famille.

 

Hulya, mère kurde de plusieurs enfants étend le linge de toute la famille qu’elle lave à la main tout en veillant à économiser l’eau.

 

A Semsûr (Adıyaman), dans le campement de Narlikuyu, se trouve une seule citerne d’eau potable pour tous les occupants. L’été approchant, les grosses chaleurs se font déjà ressentir et l’eau manque de plus en plus.

 

Ahmethoca est un petit village alévi situé à 20 minutes de Semsûr (Adıyaman). Il a presque été entièrement détruit. Beaucoup de gens y ont laissé la vie, d’autres ont décidé de fuir dans les villes les plus proches pour espérer un accès à un logement et à l’eau.

 

La famille Çokyaşar a perdu 5 frères et sœurs dans le séisme. De nombreux corps sont toujours ensevelis sous les décombres car l’État n’est pas intervenu.

 

Ici se trouvait la maison de la famille Çokyaşar. Avant le tremblement, ils avaient accès à l’eau courante et à l’électricité.

 

Les premières aides reçues ont été apportées par des bénévoles venant de Diyarbakir ou encore Şırnak . Depuis peu la famille possède une douche qu’ils peuvent uniquement utiliser avec des bidons d’eau.

 

Hasan est désemparé : « Le gouvernement AKP nous persécute depuis 20 ans. Maintenant, nous devons tout acheter par nos propres moyens alors que nous n’avons plus rien. Nous creusons même nos propres sépultures« .

 

Depuis le séisme, le gouvernement déverse illégalement les ordures venant de Semsûr et des alentours dans le village d’Ahmethoca. D’après un habitant, le village « est devenu une décharge à ciel ouvert. Les gens tombent gravement malades. Plus la fumée monte et plus les gens meurent« .

 

Pour les habitants d’Ahmethoca, c’est la double peine. Ils subissent d’abord le tremblement de terre, puis la pollution de leur rivière et de l’air qu’ils respirent.

 

Le berger du village est très inquiet pour l’avenir de son troupeau. A cause des déchets qui y sont envoyés, les eaux sont polluées et ses chèvres s’empoisonnent quotidiennement.

 

Les villageois sont contraints de réaliser les travaux eux-mêmes. Ici, deux d’entre eux construisent de nouvelles canalisations.