Au Royaume Uni : répression contre le mouvement de libération du Kurdistan

Avr 6, 2024Actualités

Les Irlandais.es le savent, le Royaume-Uni n’a jamais été un soutien à l’autodétermination des peuples. Le mouvement de libération du Kurdistan ne fait pas exceptions aux yeux de ses dirigeant.es, qui criminalisent celles et ceux qui le soutiennent. C’est ainsi que début janvier, Arazw Abdullah et Mark Campbell ont été jugés pour avoir brandi un drapeau du PKK dans une manifestation en 2022. Tom Anderson, membre du collectif Shoal , s’est penché sur les raisons et les mécanismes de cette criminalisation dans un article paru sur le site du Kurdish center for Studies.

Le 30 janvier, Arazw Abdullah (connu sous le nom de Beritan Ranya) et Mark Campbell ont été reconnus coupables d’un délit de terrorisme par le tribunal de Westminster à Londres. Ils comparaissaient pour avoir brandi un drapeau du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Le PKK est une organisation illégale interdite au Royaume-Uni depuis 2001. Toutefois, ses partisan.nes soulignent que le PKK n’a jamais mené la moindre attaque contre le Royaume-Uni. La criminalisation continue du Mouvement de libération du Kurdistan mené par l’État britannique en contrepartie du maintiens des relations diplomatiques et commerciales étroites avec la Turquie et la vente d’armes à l’armée turque.

Beritan et Mark ont tous deux appelé à la dépénalisation du PKK au Royaume-Uni.

Les deux manifestants ont été reconnus coupables d’avoir enfreint l’article 13 de la loi britannique sur le terrorisme. Elle et il ont tous deux reçu une condamnation assortie d’un sursis d’un an. Cela signifie que s’ils sont à nouveau reconnus coupables dans un délai d’un an, elle et il seront à nouveau condamnés et pourraient se voir infliger une peine plus sévère. Elle et il ont également été condamnés à payer plus de 900€ chacun en frais de justice.

La loi britannique sur le terrorisme n’interdit pas les drapeaux en tant que tels, mais elle criminalise les agissements qui témoignent d’un soutien à des groupes classés comme « organisations terroristes » au Royaume-Uni.

Beritan et Mark ne sont pas les premières personnes à être condamnées pour avoir déployé le drapeau du PKK. En 2018, trois manifestant.es ont été arrêtés lors d’une manifestation contre l’invasion turque d’Afrin. Elles ont été condamnés, mais elles ont fait appel de leur condamnation jusqu’à la Cour suprême du Royaume-Uni. Cependant, en 2022, la plus haute juridiction du Royaume-Uni a rejeté leur appel. 

La répression britannique du drapeau du PKK a fait des émules dans d’autres pays européens. En 2019, la parlementaire kurde Cansu Özdemir, qui fait partie du parti de gauche Die Linke, a été jugée par un tribunal allemand après avoir tweeté « levez l’interdiction du PKK » et publié une photo du drapeau. Cansu a été condamnée à payer une amende. Elle a toutefois refusé de payer et a fait appel.

Une arrestation politique ciblée

Les condamnations de Beritan et Mark ne sont que les derniers développements d’une longue histoire de répression et de criminalisation du Mouvement de libération du Kurdistan au Royaume-Uni au cours de la dernière décennie. Cette répression s’est notamment traduite par l’interpellation et l’interrogatoire par la police de sympathisant.es du mouvement aux frontières du Royaume-Uni, l’emprisonnement d’une femme kurde qui avait enregistré une vidéo déclarant son intention de rejoindre le PKK, des perquisitions au domicile de soutiens du mouvement et au centre communautaire kurde de Londres, et la poursuite d’internationalistes revenant du Rojava.

En 2019, Aidan James, volontaire des Unités de protection du peuple (YPG), a été reconnu coupable d’un délit de terrorisme après qu’un tribunal a constaté qu’il avait reçu une formation dans le camp de Maxmûr au Bashur. Plus récemment, un autre volontaire des YPG, Dan Burke, a été poursuivi pour terrorisme et placé en détention provisoire pendant plus d’un an. Il a été libéré en 2020 après l’échec des poursuites engagées contre lui. Les YPG ne sont pas interdites au Royaume-Uni ; les procureurs doivent prouver que les volontaires des YPG ont des liens avec le PKK.

La répression du Mouvement de libération du Kurdistan par l’État britannique a toujours été influencée par des facteurs extérieurs. Il s’agit notamment de la position du Royaume-Uni à l’égard du mouvement et des relations de l’État avec la Turquie. Souvent, les affaires juridiques liées à la lutte kurde semblent être engagées puis abandonnées sans explication, ce qui suggère que les poursuites sont dictées par des préoccupations interétatiques plutôt que par la simple légalité. Par exemple, les poursuites engagées en 2019 contre deux membres de la famille de Dan Newey, un volontaire des YPG, ont été abandonnées de manière inattendue. Sam et Paul Newey étaient accusés d’avoir apporté leur soutien à Dan. Le Crown Prosecution Service (CPS) a refusé d’expliquer pourquoi il avait changé d’avis.

Le 26 novembre 2023, la police britannique a tenté d’empêcher un événement commémorant l’anniversaire de la fondation du PKK au centre communautaire kurde de Harringay. La descente de police a eu lieu quelques jours seulement après le voyage du ministre britannique de la défense, Grant Shapps, en Turquie pour conclure un nouvel accord de coopération militaire.

Dans un article sur cette descente, l’écrivain et cinéaste John Lubbock a résumé la motivation du Royaume-Uni comme suit : « Le gouvernement britannique ne pense pas vraiment que les Kurdes sympathisants du PKK constituent une menace pour la sécurité. Il ne se soucie pas non plus beaucoup du conflit entre le PKK et la Turquie. Ce qui l’intéresse, c’est la Turquie en tant que partenaire commercial et allié clé. Pour renforcer cette relation, il est probable que les autorités renforceront l’application des lois interdisant le PKK et son soutien explicite. La criminalisation dépend, au moins dans une certaine mesure, de la façon dont les Kurdes britanniques veulent repousser ces limites. »

Des preuves policières peu convaincantes

Au cours des deux jours de procès devant la Westminster Magistrate’s Court, les 17 et 18 janvier 2024, l’équipe de défense a appelé à témoigner l’universitaire Joost Jungerden, spécialiste des études kurdes, qui a soutenu que le drapeau que Beritan et Mark avaient arboré était en fait le drapeau du Front national de libération du Kurdistan (ERNK) et que ce drapeau était un symbole unificateur du mouvement pour les droits des Kurdes dans son ensemble, plutôt que le simple drapeau du PKK.

La défense a également fait valoir que les motivations de Beritan, Mark et des autres manifestant.es qui portaient le drapeau étaient d’appeler à la radiation du PKK de la liste des organisations interdites. Ils ont fait valoir que leurs clients exerçaient ainsi leurs droits en vertu de la loi sur les droits humains.

Le drapeau que portait Beritan était un drapeau du PKK superposé à une photo du cofondateur du parti, Abdullah Öcalan. L’avocat de la défense a fait valoir que le fait de porter ce drapeau représentait un soutien aux idées politiques d’Öcalan et à sa libération de la prison turque.

Lors du contre-interrogatoire, le témoin expert de l’accusation a confirmé que le port d’une image d’Öcalan n’était pas interdit au Royaume-Uni.

L’équipe de l’accusation a appelé à la barre le sergent-détective Hearing, qui s’est autoproclamé expert en drapeaux d’organisations interdites. Hearing a témoigné que le drapeau porté par Mark et Beritan était lié au PKK, mais il n’a cité que Google et le site web Wikipedia comme sources de ses informations. Par la suite, lors du contre-interrogatoire de la défense, Hearing a confondu le drapeau de l’Union des communautés du Kurdistan (KCK) avec celui de l’ERNK.

Mark m’a dit qu’il pensait que l’équipe de la défense avait nettement remporté ses plaidoiries au tribunal. Cependant, le juge, dans son verdict écrit, a rejeté l’idée que la manifestation aurait été comprise comme un appel à la désinscription du PKK ; au lieu de cela, il a écrit : « Je suis sûr que l’activité de chaque accusé n’aurait pas été comprise par un observateur objectif, informé et raisonnable comme équivalant à un simple plaidoyer en faveur de la désinscription, par opposition à un soutien au PKK » .

Réduire au silence les voix kurdes

Mme Beritan a expliqué pourquoi elle s’était jointe à la manifestation. Elle m’a dit : « J’ai 42 ans. Je me souviens avoir grandi dans la peur des frappes aériennes, des bombardements chimiques, du génocide, de l’Anfal [génocide], des canons, des bombes et des armes sur moi et mon peuple. En outre, il y a beaucoup de pauvreté et un manque de services de base dans mon pays, le Kurdistan. Notre pays est riche en pétrole et en minéraux précieux, mais nous, les Kurdes, ne pouvons pas assurer une vie décente à nos enfants et à nous-mêmes à cause du vol et du pillage par les pays occupants avec le soutien d’autres pays puissants » .

Elle poursuit :

« Malgré tout cela, nous sommes bombardés quotidiennement par des avions et des drones turcs dans nos villes, et nos écoles, l’électricité, l’eau et les lieux publics sont détruits. Des femmes, des enfants, des personnes âgées et des innocents sont tués. Notre environnement est détruit et brûlé. Nos forêts sont abattues et leurs arbres sont emmenés en Turquie. De nombreux Kurdes innocents sont torturés dans les prisons turques pendant 20 à 30 ans, simplement parce qu’ils sont kurdes. Par exemple, Abdullah Öcalan est emprisonné à l’isolement sur l’île d’İmralı depuis 25 ans, sans aucun droit légal. »

Beritan souligne le ridicule de la police britannique qui l’a arrêtée pour avoir arboré un drapeau alors qu’elle protestait contre la brutalité infligée au peuple kurde. Elle poursuit : « Le peuple kurde en Turquie et en Iran n’a pas le droit d’étudier, de parler et d’apprendre dans sa langue maternelle. Ils sont quotidiennement emprisonnés, torturés et même exécutés. Lorsque je suis descendue dans la rue pour protester contre ces crimes, la police britannique m’a arrêtée et m’a traduite en justice. Suis-je coupable ?! » .

Une police antiterroriste oppressive

De nombreux sympathisants britanniques considèrent que les condamnations de Beritan et de Mark sont politiques. Selon Kat Hobbs, du Network for Police Monitoring, « Il s’agit là d’un nouvel exemple de répression de la solidarité internationale. Personne dans ce pays n’est plus en sécurité en supprimant des organisations qui n’ont jamais opéré ici et qui, dans le cas du PKK, sont interdites au Royaume-Uni uniquement pour apaiser le gouvernement turc sévèrement répressif et maintenir des alliances politiques. Au lieu de cela, la communauté kurde se sent moins en sécurité et ses droits sont mis en péril par une police antiterroriste oppressive. Il est honteux de choisir d’arrêter quelqu’un pour avoir scandé « Femmes, vie, liberté ». »

J’ai demandé à la coprésidente de l’Assemblée du peuple kurde en Grande-Bretagne pourquoi il était important de retirer le PKK de la liste des organisations interdites : « Le délistage du PKK est une demande légitime du peuple. Le PKK recherche des solutions légitimes et la paix dans une région affligée par la guerre. Dans le monde entier, nous pouvons constater que les guerres se produisent principalement en raison de l’incapacité des peuples à exercer leur droit à l’autodétermination. Si les gens avaient le droit à l’autodétermination, la majorité de ces guerres ne se produiraient pas. Et c’est pour cela que le PKK se bat : le droit à l’autodétermination et les droits fondamentaux des femmes. Je ne vois là aucun acte de terrorisme » .

La justification juridique de la criminalisation du PKK a été contestée à de nombreux niveaux. Un recours du PKK devant la Cour européenne de justice est en cours, ainsi qu’une procédure judiciaire en Allemagne pour contester la proscription. En 2020, la plus haute juridiction belge a estimé que le PKK n’était pas une organisation terroriste et que la guerre entre le PKK et la Turquie était un « conflit armé non international » . Au mépris de cette décision, l’État belge continue d’inscrire l’organisation sur sa liste de groupes terroristes interdits.

À l’heure actuelle, la proscription du PKK permet le harcèlement, l’intimidation, l’arrestation et l’emprisonnement des membres du Mouvement pour la liberté du peuple kurde et de leurs soutiens. Le modèle de répression qui se produit au Royaume-Uni est reproduit dans de nombreux pays européens. Mais comme l’a souligné Mark, il sera impossible « de parvenir à une solution pacifique tant que l’une des parties sera criminalisée » .