Formation à la Jineolojî au village des femmes de Jinwar

Conférence de presse : 350 avocat·e·s demandent à rendre visite aux prisonniers d’Imralı

Sep 21, 2022A la une, Actualités, Europe

Le mercredi 14 septembre, une conférence de presse s’est tenue à Bruxelles. 350 avocat·e·s ont demandé à pouvoir visiter  Abdullah Öcalan, Ömer Hayri Konar, Hamili Yıldırım et Veysi Aktaş, enfermés sur l’île-prison d’Imrali. L’occasion pour ces juristes de faire le point sur les multiples violations de ses lois nationales, mais aussi des lois européennes et internationales commises par l’État turc vis-à-vis du respect des droits des quatre prisonniers.

Cet article en est un compte-rendu, rédigé pour Serhildan.

Une conférence de presse concernant le droit à Abdullah Öcalan, Ömer Hayri Konar, Hamili Yıldırım et Veysi Aktaş à consulter leurs avocat·e·s s’est tenue à Bruxelles ce mercredi 14 septembre 2022. Pour rappel, Abdullah Öcalan, Ömer Hayri Konar, Hamili Yıldırım et Veysi Aktaş sont placés en isolement au sein de la prison d’Imralı en Turquie depuis de nombreuses années – 1999 pour Öcalan et 2009 pour les trois autres détenus. Ömer Hayri Konar, Hamili Yıldırım et Veysi Aktaş n’ont plus pu s’entretenir avec leur avocat depuis 2015, tandis qu’Abdullah Öcalan n’a pas pu consulter son avocat depuis le 7 août 2019.

En réaction, 350 avocat·e·s provenant de 22 pays différents se sont adressé·e·s au ministère de la Justice turque afin de soumettre une demande de visite aux prisonniers politiques de la prison d’Imralı et de dénoncer les différentes violations juridiques nationales et internationales produites en son sein. En plus du ministre de la Justice de Turquie, la lettre a été communiquée au Comité des Nations-Unies contre la Torture, au Conseil des barreaux européens, au Conseil du Barreau National de Turquie et à l’International Bar Association’s Human Rights Institute (IBAHRI).

Les intervenant·e·s de la conférence de presse du 14 septembre étaient Maître Hélène Debaty, présidente du Syndicat des Avocats pour la Démocratie (SAD), Maître Stéphane Boonnen, administrateur du Barreau des avocats francophones et germanophones de Belgique, Maître Selma Benkhelifa, avocate au Barreau de Bruxelles et au cabinet Lawyers Progress Network, Maître Maurice Krings, ancien Bâtonnier du Barreau de Bruxelles, ainsi que Maître Mahmut Sakar, avocat au Barreau de MAF-DAD et avocat d’Abdullah Öcalan. 

Ömer Hayri Konar, Hamili Yıldırım et Veysi Aktaş n’ont plus pu s’entretenir avec leur avocat depuis 2015, tandis qu’Abdullah Öcalan

n’a pas pu consulter son avocat depuis le 7 août 2019.

Les différent·e·s intervenant·e·s ont souligné l’illégalité de l’isolement des détenus et le caractère illégitime de tout processus judiciaire en l’absence d’avocat·e·s de la défense : « vous pouvez signer toutes les conventions internationales que vous voulez, si vous ne permettez pas à l’avocat d’exercer son rôle, le procès que vous organisez en tant que nation n’a aucune légitimité » déclare Maître Boonnen. Depuis 2021, les restrictions concernant l’accès à un avocat sont basées sur des punitions disciplinaires qui se réfèrent à la période 2005-2009. Cependant, « des restrictions basées sur de telles raisons n’ont aucune légitimité judiciaire, puisque le cadre légal de la constitution turque ne le permet pas » explique Maître Sakar. Les avocat·e·s ont dénoncé à maintes reprises ce fait, mais « en 22 ans, aucune de nos requêtes n’ont été acceptées par les autorités judiciaires. Basé sur notre pratique, je peux dire qu’en ce qui concerne Mr. Öcalan, la législation nationale n’est pas appliquée. » En outre, devant la Cour européenne des droits de l’Homme, la Turquie avait justifié l’isolement total d’Abdullah Öcalan en invoquant des raisons de sécurité qui iraient dans l’intérêt de Mr. Öcalan lui-même. En effet, selon les allégations de l’État turc, sa mise en isolation serait une manière de le protéger de menaces extérieures.

Maître Sakar a rappelé que les avocat·e·s du comité des avocat·e·s de Mr. Öcalan sont victimes de menaces et d’arrestations arbitraires dans le cadre de leur fonction. En effet, 46 avocat·e·s dudit comité ont subi en 2011 une opération policière qui s’est soldé par l’emprisonnement pendant deux ans de plusieurs d’entre eux·elles. Nombreuses de ces personnes ont notamment été menacées par les services secrets turcs. Malgré ces risques, 775 avocat·e·s ont demandé en 2017 au ministère de la Justice de la Turquie à représenter Mr. Öcalan.

Un autre sujet fondamental, soit le respect des décisions de justice, a été évoqué par Maître Selma Benkhelifa : « en tant qu’avocats, le mieux qu’on puisse faire, c’est gagner. Mais si l’Etat contre lequel on a gagné ne respecte pas la décision, on ne sait rien faire de plus ». L’État de droit est en effet un État qui accepte de se plier aux décisions de justice. « En l’occurrence, on voit que la Turquie ne s’y plie pas » souligne-t-elle. En mars 2014, la Cour européenne des droits de l’Homme avait considéré que l’isolement d’Abdullah Öcalan sur l’île d’Imralı était une violation de l’article 3 relatif aux traitements inhumains et dégradants et à la torture. Après la condamnation de la Turquie par la Cour, les avocat·e·s ont pu rendre visite à Mr. Öcalan, pour finalement faire face, de nouveau, à des contraintes. « Il faut donc retourner devant la Cour européenne des droits de l’Homme, alors que c’est quelque chose que nous avons déjà gagné. »

« En 22 ans, aucune de nos requêtes n’ont été acceptées par les autorités judiciaires. Basé sur notre pratique, je peux dire qu’en ce qui concerne Mr. Öcalan, la législation nationale n’est pas appliquée. »

Maître Mahmut Sakar, avocat d’Abdullah Öcalan

Enfin, la Cour avait évoqué en 2014 le « droit à l’espoir », qui se réfère au droit pour tout être humain à espérer, notamment sa libération. De ce fait, même si un individu est condamné à perpétuité, la possibilité d’une libération conditionnelle doit toujours être présente, en donnant la possibilité de mettre en place un procès qui lui permette d’invoquer sa libération et de présenter des arguments la concernant. L’absence de toute possibilité de libération est de ce faut une violation de l’article 3 cité précédemment, relatif aux traitements inhumains et dégradants et à la torture. « Toute personne condamnée peut retourner devant un juge et faire valoir des raisons – qu’elles soient médicales, humanitaires ou plus générales – pour demander sa libération. Il faut que la Turquie se plie à cette décision. Tous les états du Conseil de l’Europe ont signé qu’ils respecteraient les décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme, c’est ce que nous demandons aujourd’hui à la Turquie de faire. » Pour rappel, la Turquie a adhéré au Conseil de l’Europe en 1950.

En ce qui concerne les démarches futures, Maître Sakar a déclaré qu’une demande collective de la part d’avocat·e·s sera organisée afin que le Comité pour la prévention de la torture (CPT) rende visite aux prisonniers. Le CPT a visité à huit reprises la prison d’Imrali depuis l’enfermement d’Abdullah Öcalan, mais aucune de leurs recommandations n’ont été accomplies par les autorités turques. Cette démarche permettrait néanmoins d’obtenir des nouvelles de ces derniers et d’attirer l’attention sur ces problématiques à un niveau international.