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En mémoire d’Elefteria Hambi

Mai 27, 2024Expériences et analyses, Femmes

Elefteria Hambi, Lobo, Eva Maria Steiger était une militante anarchiste allemande. Elle avait rejoint les Unités de défense des femmes du Rojava, les YPJ, en 2018. Elle avait au sein de celles-ci participé notamment à la bataille de Deir-ez-Zor contre l’État islamique. Du Rojava, elle a rejoint la guérilla kurde et les Forces de défense du peuple, les HPG, à Garê au Bashur (Kurdistan du sud, nord irakien). Elle est tombée martyre le 25 novembre 2019 dans un bombardement turc.

Son nom, Elefteria Hambi, venait de celui d’Elefteria Fortulaki, une femme et militante grecque, mère de deux enfants qui s’est immolée en 2006 pour dénoncer le massacre des Kurdes. Hambi, vient de la forêt de Hambach, à l’ouest de l’Allemagne, où une ZAD et des manifestations régulières permettent depuis plusieurs années de stopper la destruction de cette forêt au profit d’une mine de lignite.

Ce texte, écrit par une proche qui l’a connue au Rojava, lui rend hommage. À elle, mais aussi à toutes les autres tombées martyres.

Rojbash, rojbash ! Bonjour !”

C’est comme ça que tout commence. Un réveil après une première nuit compliquée et te voilà la première qui me souhaite un bon matin. Les autres sont déjà parties faire du sport mais pour nous, tu sais, la fatigue. Nous commencerons demain.
Ce matin il fait chaud et les couleurs rassurantes du lever du jour s’installent dans mes yeux. Toi, tu es là.
On dit souvent que le début d’un film ou d’un livre constitue l’un des moments les plus important. Elefteria te voilà donc dans les premières lignes de ce qui est mon histoire, notre histoire, de camaraderie et de révolution.

Tu es au Rojava depuis déjà quelque temps. Le territoire tu le connais, la formation tu l’as déjà faite, la langue tu commences peu à peu à la maitriser. C’est donc autour d’un énième chay [thé] que l’on apprend à se connaitre, que l’on parle de nos passés et de nos souhaits pour le futur.

On discute, on échange sur nos expériences. Tu me trouves négative, défaitiste, bloquée et sans grandes perspectives. Je te trouve illuminée, irréaliste. Ça aussi, tu connais. Toi aussi, tu es venue au Rojava car tu avais soif de compréhension, d’inspiration et d’expérimentation, soif de lutte, de résistance et de liberté. Tu as souvent été là pour me dire que mes réflexions pouvaient et devaient aller plus loin. Que nous ne pouvions plus rester superficielles, mais que nous devions analyser les gens, l’Histoire, les mondes et les mots. Que nous devions être créatives.

Tu sais que le fascisme détruit notre monde. La lutte antifasciste te colle à la peau. Voilà pourquoi tu es ici. Tu veux participer et donner de l’effort à la lutte car tu as compris le sens de l’internationalisme et de sa nécessité. Tu es prête à donner ta vie sur les fronts du Rojava car l’anéantissement du fascisme en un lieu résonne au-delà des frontières ; comme des ricochets qui mènent des milliers d’autres personnes à se soulever. En tant qu’anarchiste, tu connais et analyses bien les liens entre les idéologies et structures de pouvoir. Tu en fais tes ennemis. Donc tu te bats. Aussi bien auprès de tes camarades pour pouvoir rejoindre le front, que lorsque tu te trouves enfin sur celui-ci.
Et malgré le brouillard que créé la guerre, je ne t’ai jamais entendu dire un mot déplacé, mauvais, mal intentionné. Dans la guerre tu restes belle, éthique.

Tu es un feu, une tornade, un éclair, une arme de guerre, un corps enragé, une vengeance, une idéologie, une sorcière, une soeur, une sage et une révolutionnaire.

Tu es tout ce qui fait peur au monstre, car tu représentes la vie.

Tu connais déjà très bien la nature et la forêt. Tu sais déjà comment humain et nature ne font qu’un. Elle est ton élément, la montagne ton lieu de résidence et de résistance. D’accomplissement. Tu me racontes des anecdotes sur Hambacher forst et toutes ses résistances. Là-bas tu t’appelles Lobo, loup. Les cabanes sur la cime des arbres sont vos maisons, les voies de cordes et de tyroliennes sont vos rues. Vous protégez cette forêt des machines de la mort, et elle vous protège en retour. Je te promets de me rendre à Hambach, même si je sais que je ne t’y verrai pas, comme le camarade Şahin Qereçok. Lui dont tu m’as tant parlé et avec qui tu es venue ici. Lui aussi venant de la forêt de Hambach. Lui aussi mort sur les terres du Kurdistan.

Une anarchiste qui rejoint les montagnes du Kurdistan, la question n’est pas être d’accord ou non, mais plutôt de comprendre. Est-ce par un désir fort de vengeance ? Un besoin vital de lutter ? Une grande intelligence ? Ou bien par amour pour la vie ?

Sur un papier accroché à un arbre, à l’arrivée du printemps, tu as écris une promesse à la vie, et tes yeux nous l’ont fait savoir, “Soz didim – Je promets”.

De la forêt, tu as traversé les plaines pour rejoindre la montagne. De Hambach, tu as pris les chemins qui crapahutent sur les montagnes du Kurdistan, à Garê. De Lobo, tu deviens Elefteria. Ton nom dit tout, Elefteria Hambi. Le passé et le présent, le passé est présent.

Elefteria, ton nom veut dire Liberté.
Et par la détermination de tes yeux, couleurs du ciel et de la mer,
je comprends tout le chemin pour y parvenir.

Elefteria,
mon but, aujourd’hui plus que jamais,
est de te toucher.