Force collective et solidarité : volontaires en première ligne des secours
L’État turc a montré son incurie complète dans la gestion des opérations de secours aux villes touchées par le séisme au Bakur. Le mouvement kurde n’atteint rien des autorités. Face à leur abandon, toutes ses composantes, politiques, syndicales, associatives, se sont mobilisées pour organiser l’assistance aux populations victimes du tremblement de terre. Exemple avec le centre de coordination de crise du HDP et les volontaires à Mereş, là où la terre a grondé, et Semsûr (Adiyaman).
Cet article est issu de la traduction de trois articles de Mezopotamya ajansi : ici, là (Ahmet Kanbal et Ömer Akin) et là (Adnan Bilen). Il faut saluer le travail courageux et sans relâche des médias kurdes indépendants pour couvrir la situation. C’est grâce à leurs journalistes que nous parviennent les nouvelles des zones sinistrées, et des agissements des autorités turques dans celles-ci. Elles et il en paient le prix fort : menaces, arrestations…
Après les séismes de magnitude 7,7 et 7,6 qui a touché 10 villes, et dont l’épicentre est situé sous la ville de Bazarcix (Pazarcık), le Parti démocratique des peuples (HDP) a créé son propre centre de coordination de crise et mobilisé toutes ses ressources. Actuellement, ce centre coordonne le travail de 3200 volontaires dans les villes touchées par les tremblements. 500 camions d’aides diverses ont été envoyés, 500 tentes, 370 tonnes de bois, 3 420 poêles, 22 tentes de campagne, 1 station de réseau mobile et 860 véhicules d’aide à Semsûr (Adiyaman), Meletî, Mereş, Dîlok (Gaziantep), Hatay, Amed et Riha (Urfa). Des volontaires venus de nombreuses villes du Kurdistan et de Turquie ont pris en main les diverses tâches : la coordination, la distribution et le tri de l’aide.
Des centaines de bénévoles ont ainsi afflué dans le district d’Elbistan de Mereş, où le tremblement de terre a causé d’importantes destructions. Travaillant sans interruption sur le terrain, 24 heures sur 24, malgré la neige, l’hiver et le froid glacial, elles et ils ont ainsi montré la puissance du collectif, et sont devenus un exemple de solidarité. Ce sont elles et eux qui ont le plus contribué à soulager les souffrances des victimes du tremblement de terre.
Réseau solidaire et force collective
Le centre de coordination établi par le HDP et des ONGs distribue des produits de première nécessité aux endroits localisés par les volontaires. Ceux-ci apportent l’aide non seulement dans les centres de district mais aussi dans les villages les plus reculés. Elles et ils travaillent dur toute la journée, avec pour seule possibilité de se reposer un coin de béton libre si ils en trouvent un. Se précipitant vers les entrepôts quand retenti le cri “le camion est arrivé », elles et ils doivent effectuer les mêmes opérations encore et encore, presque toutes les heures. Les volontaires sont passés de rue en rue s’enquérir des besoins des gens pour y répondre, exemples vivants de la façon dont un pouvoir collectif peut tisser un réseau de solidarité. Des volontaires travaillant dans un entrepôt où la nourriture est livrée ont fait une courte pause et ont partagé leurs impressions.
Ce réseau de volontariat doit servir d’exemple
Fatma Çelik, co-porte-parole du HDP pour la région de la mer Noire, est également une travailleuse de la santé qui a été licenciée par un décret d’état d’urgence (ihraç). Mme Çelik a d’abord aidé au stockage des aides dans les premiers jours du tremblement de terre. Puis elle a travaillé bénévolement dans la pharmacie et l’infirmerie ouvertes dans la Cemevi (ndlr : lieu de culte des Alévis) avec un groupe de médecins et de travailleurs de la santé. Elle a raconté : “Je suis venue ici depuis Samsun. Il y a une situation très grave ici. Notre peuple est confronté à des problèmes d’hygiène, d’eau et bien d’autres. Mais nous nous sommes organisés. Nous avons travaillé à la distribution et à la livraison de la nourriture reçue. Nous avons également participé à la résolution de problèmes liés à la santé. Je suis infirmière. Je suis venue ici en me disant que je pourrais au moins donner un médicament, un pansement, un traitement… Il y a un magnifique travail collectif en cours. Ce réseau de volontaires doit être un exemple. »
Nous sommes là où personne ne va
Erol Tunç, membre du HDP est lui aussi arrivé des régions de la mer Noire. “Nous sommes venus à Elbistan depuis Tokat. Nous avons planifié l’aide envoyée par notre peuple pour qu’elle parvienne aux victimes du tremblement de terre. En particulier dans les villages où l’aide n’était pas parvenue, nous avons atteint des endroits où personne n’était allé avec des amis volontaires. Nous essayons de répondre à tous les besoins alimentaires de notre peuple. Nous sommes venus ici avec comme question : “comment pouvons-nous guérir les blessures des gens ». L’aide fournie par notre peuple est très, très importante. Donc maintenant, nous dirigeons les camions qui viennent ici vers d’autres endroits. Les entrepôts ici sont pleins. Ce drame va continuer, notre peuple peut stocker les aides dans ses propres provinces et les envoyer plus tard. Ce processus sera très long et il y aura certainement un besoin pour cela. »
« nous sommes là où nous devons être »
Les jeunes du HDP se mobilisent
Berfin Çiçek, membre de l’assemblée des jeunes du HDP d’Izmir, a expliqué qu’ils étaient venus volontairement dans la zone du tremblement de terre avec 150 jeunes. “Le tremblement de terre s’est produit soudainement et nous a beaucoup remués. Nous sommes solidaires de notre peuple en tant que volontaires. Notre peuple a besoin d’un soutien matériel et moral. Grâce à cette solidarité, nous, les jeunes, allons dans les décombres, nous nous occupons des enfants et distribuons de la nourriture. Il n’y a pas de fonctionnaires d’État ici. Il y a de nombreuses ruines et des opérations de recherche et de sauvetage sont menées là où les médias se rendent. Nous avons sérieusement besoin de jeunes ici. Parce que nous déchargeons les marchandises des camions, nous les trions et nous les distribuons à notre peuple. C’est une situation difficile, mais nous voulons faire intensifier cette solidarité. Nous rendons également visite aux familles et leur parlons, car le désespoir est grand. Nous ferons de notre mieux pour y mettre fin. Nous sommes mobilisés, nous sommes là où nous devons être et nous continuerons à être solidaires de notre peuple. »
Il n’y a pas d’État, seulement nous
Ramazan Kalkan est lui aussi membre de l’Assemblée des jeunes du HDP. “J’étudie à l’université à Wan. Avec un groupe d’amis, nous avons loué une voiture et sommes venus ici. Lorsque nous avons commencé à distribuer les aides, une famille a pleuré en nous voyant, car personne ne s’était occupé d’eux avant. Il y avait des gens sans chaussures dans les rues. Notre peuple attendait de l’aide de notre part. Nous essayons de faire ce qui est nécessaire en venant ici pour montrer cette solidarité. Nous nous efforçons de fournir tout ce dont notre peuple a besoin. Qu’il s’agisse de monter des tentes ou de distribuer de la nourriture, d’allumer des feux ou d’apporter de l’aide aux villages, nous faisons de notre mieux. Comme il n’y a pas d’État, nous avons fait et continuons à faire tout ce travail, nous avons bon espoir.“
A Semsûr, les opérations de sauvetage laissent place au nettoyage des débris
À Semsûr (Adiyaman), l’une des villes les plus gravement endommagées, les opérations de recherche et de sauvetage ont été remplacées par des opérations d’enlèvement des débris. Bien que 7 jours se soient écoulés, aucune déclaration officielle n’a encore été faite sur ce qui se passe dans la ville. Dans le centre, qui compte plus de 630 000 habitants, environ 960 bâtiments se sont transformés en décombres et près de 6 000 personnes ont perdu la vie. Alors que des milliers de personnes ont commencé à émigrer, le centre de coordination de crise établi par le parti démocratique des peuples (HDP), le parti des régions démocratiques (DBP), les ONGs et les chambres professionnelles de la ville tente de panser les plaies. Près de 700 personnes tentent de résoudre les problèmes de nourriture, de vêtements, de logement et de santé des habitants grâce à l’aide envoyée depuis différentes villes.
Le centre de coordination des crises, dont le siège se trouve dans une Cemevi, envoie chaque jour une aide alimentaire aux quatre coins de la ville et intervient dans les problèmes sanitaires d’urgence qui ne nécessitent pas d’intervention chirurgicale. Le centre travaille également à la mise en place d’un village de tentes, tout en essayant de satisfaire les besoins urgents. Les équipes de volontaires du centre mènent également des activités de recherche et de sauvetage dans les ruines.
Nous donnons la priorité aux femmes et aux enfants
Önder Cengiz, un volontaire d’Istanbul, effectue le tri dans la section des vêtements. “Je suis venu ici par solidarité, pour notre peuple», a déclaré Cengiz, “Il n’y a pas d’autorités ici. Nous essayons d’aider notre peuple. Je suis ici depuis 3 jours, je travaille dans l’entrepôt. Nous empilons et regroupons le matériel d’aide venant de l’extérieur et le distribuons en fonction des demandes de la population.” Soulignant que les besoins les plus urgents de la ville sont les tentes et le chauffage, Cengiz a déclaré : “Les gens dorment dehors. Il n’y a pas de soutien de l’État. Nous essayons d’apporter de l’aide par nos propres moyens. »
Berivan Güneş est venue de Mêrdîn à la ville le deuxième jour du tremblement de terre avec le groupe de l’Union des chambres des architectes et ingénieurs de Turquie (TMMOB). “Nous avons commencé à travailler immédiatement le jour suivant. Le but de notre présence ici est de montrer notre solidarité avec la population. Nous stockons l’aide provenant de l’extérieur de la ville dans la Cemevi, puis nous essayons de l’acheminer vers la population. Nous avons mis en place un bureau de crise ici, qui identifie les déficiences dans les districts et les villages et nous en informe. Nous préparons et envoyons les documents en conséquence. Nous accordons une priorité particulière aux femmes et aux enfants. Nous essayons régulièrement de répondre à leurs besoins. La coordination notifie les matériaux manquants aux autres provinces et s’assure que l’aide arrive. »
Notant que beaucoup d’aide est arrivée surtout des villes du Kurdistan, Mme Güneş a expliqué : “Nous avons commencé à envoyer l’aide dans d’autres provinces parce qu’il y avait beaucoup d’aide qui arrivait. Ces jours-là, nous voyons que le travail de diverses organisations non gouvernementales et de certains partis politiques est intense. Il devrait y avoir une solidarité dans ce sens. Dans ces moments, le soutien des personnes les unes envers les autres est important. Nous sommes ici depuis 6 jours. Nous n’avons vu aucun représentant de l’État pendant cette période. La demande la plus importante de la population concerne les tentes, il y a un manque général de tentes. Lorsque nous avons contacté Mardin, ils nous ont dit qu’ils avaient commencé à en coudre. Nous essayons actuellement de mettre en place un village de tentes. Nous avons surtout besoin de poêles et d’éclairage. »
« vous verrez qu’il n’y a personne. Ni l’AFAD ni aucune autre organisation. Ils ont un nombre très limité d’équipes, et ils vont dans les épaves des banques et extraient de l’argent »
“Ceux qui étaient absents le premier jour nous attaquent”.
Sinan Koç, venu d’Êlîh pour participer à la cuisine, travaille avec les équipes de la municipalité de Çınar sous l’administration du HDP. Ils parviennent à servir 3 repas par jour dans la ville. Mr Koç a précisé : “Nous servons de la nourriture pendant 12 heures par jour sans interruption. Nous nourrissons parfois mille, parfois deux mille personnes par jour. Nous fournissons de la nourriture aux personnes qui viennent ici volontairement et qui travaillent dans les épaves. Parfois, je vais sur les ruines et je participe aux opérations de recherche et de sauvetage sur place. »
Osman Çelik, qui vient également d’Êlîh et travaille aussi à la restauration, a complété : “Nous sommes maintenant une équipe de bénévoles d’environ 300 personnes.” Affirmant que tout le monde devrait protéger le peuple, Mr Çelik a ajouté : “Nous n’avons personne d’autre que nous. S’il n’y a pas de peuple, il n’y a personne. Nous devons protéger notre peuple et notre terre. Parce que nous n’avons personne d’autre que nous. Nous sommes ici depuis 5 jours. Si vous descendez deux rues, vous verrez qu’il n’y a personne. Ni l’AFAD ni aucune autre organisation. Ils ont un nombre très limité d’équipes, et ils vont dans les épaves des banques et extraient de l’argent ou vont dans les lieux des membres de l’AKP et extraient leurs dossiers.”
Le bénévole a également affirmé que les autorités attaquent les équipes de volontaires : “Ils ont battu nos amis d’Amed. Nos amis sont allés dans les décombres et ont sorti les corps, puis ils les ont attaqués en disant “vous êtes des voleurs”. Nous ne pouvons plus sortir le soir. Nous ne pouvons pas aller travailler dans les décombres. Nous ne pouvons pas sortir notre peuple de sous les bâtiments. La ville est déjà dans l’obscurité. C’est comme une ville fantôme. Il n’y a rien ici. On dirait les années 90. Les premiers jours, il n’y avait personne de l’État ici. Quand nous sommes arrivés, les gens tombaient à nos pieds, nous avions honte. Ceux qui n’étaient pas là à ce moment nous attaquent maintenant. »
Création d’un centre de soins
Le Dr Serhat Bacalan fait partie d’un groupe de médecins venus d’Amed le premier jour. “Nous avons vu que le service de santé ici s’était effondré. Nous avons constaté que tant les victimes du tremblement de terre que les patients chroniques qui n’ont pas été touchés par le séisme souffraient. C’est pourquoi nous avons lancé cette initiative. Avec nos amis de l’assemblée de la santé du HDK, TTB (ndlr : la chambre des médecins) et SES (ndlr : syndicat de la santé publique), nous avons commencé à fournir des services de santé. Là encore, nos professionnels de santé bénévoles de différentes villes aident. Nous avons créé un centre de soins où nous fournissons des services de santé et nous nous rendons dans les villages en groupes pour effectuer des soins. Nous essayons de suivre les patients chroniques. »
Les médecins voient près de 200 patients par jour et essaient de répondre aux besoins en visitant tous les villages. “A partir de maintenant, nous allons essayer de visiter les districts d’Adıyaman. Il y a une solidarité des gens ici en termes d’autosuffisance. Lorsque nous avons commencé, nous avions peu de moyens. Mais nous avons atteint un niveau passable ici grâce à la sensibilité des gens et des institutions. Quand nous sommes arrivés, nous sommes allés à l’hôpital. Une grande partie de l’hôpital avait été endommagée par le tremblement de terre. Seul le service d’urgence fonctionnait. Là, les conditions des patients étaient évaluées et les patients graves étaient transférés dans les villes voisines et les patients légers étaient traités. »
Soulignant que de telles mesures doivent être prises avant les catastrophes et être préparées, Mr Bacalan a déclaré : “Les gens restent dans des lieux collectifs. Inévitablement, il y a des problèmes apportés par la vie collective. Il n’y a tout simplement pas de toilettes ici. Il n’y avait pas d’accès à l’eau potable. Ce sont choses qui créeront des problèmes de santé à l’avenir. Les mesures nécessaires doivent être prises pour prévenir les épidémies dans les jours à venir. »