Histoire de la lutte armée du PKK

par Juil 18, 2022Expériences et analyses, Histoire, Pratiques militantes

La révolution du Rojava n’aurait pas été possible sans les années de résistance, les expériences et les travaux idéologiques d’Abdullah Öcalan et du Parti des travailleurs du Kurdistan. C’est pourquoi, en tant que révolutionnaires, nous devons connaître l’histoire de la lutte kurde, depuis ses premiers jours.

Publié pour la première fois dans Stêrka Ciwan (magazine de la Jeunesse) le 15 août, cette date en 1984 étant celui de la “première balle” : le début de la lutte armée…. Edité par Serhildan.

PARTIE I – Fondation du PKK et résistance des prisons

L’histoire du PKK, qui est celle des Kurdes s’élevant contre leurs colonisateurs, est parcourue de nombreux jalons. Bien sûr, le PKK représente aujourd’hui bien plus que la libération du peuple kurde et du Kurdistan de leurs oppresseurs et occupants. Le changement de paradigme proposé par Abdullah Öcalan, qui a restructuré le PKK pour créer une société révolutionnaire basée sur les principes de la démocratie, de l’écologie et de la libération des femmes, signifie que le PKK ne peut plus se satisfaire de la libération nationale. La lutte des Kurdes pour une vie libérée du patriarcat, des États-nations et du capitalisme au Kurdistan et au Moyen-Orient joue un rôle indispensable et central pour libérer les peuples des mêmes maux ailleurs dans le monde. Sur ce chemin, il y a une chose qu’aucun révolutionnaire ne pourra jamais oublier : pas de victoire sans lutte armée. Le 15 août 1984, commémoré au Kurdistan comme le jour de la « première balle », est l’un de ces jalons qui méritent d’être revisités.

Le PKK a été fondé le 27 novembre 1978 à Amed. Bien qu’il n’ait pas encore été déclaré publiquement, l’État turc était conscient de cette évolution et de ses conséquences potentielles pour le Kurdistan qu’il avait colonisé. Un mois plus tard, le 19 décembre, l’un des massacres les plus brutaux de l’histoire turque a eu lieu à Maraş, où le peuple avait beaucoup de sympathie pour les jeunes révolutionnaires alors connus sous le nom d’« Apoïstes ». Dirigés et guidés par les Loups Gris, l’aile de la jeunesse du MHP raciste, les fascistes et les djihadistes ont attaqué la population kurde alévie pendant une semaine entière, sans rencontrer aucune opposition de la part de la police ou de la gendarmerie. L’État a profité de la réaction publique au massacre, qui a été organisé et perpétré par l’extralégal Özel Harp Dairesi (Département spécial de guerre), pour déclarer la loi martiale au Kurdistan et dans quelques autres villes. Abdullah Öcalan y voit alors la réponse de l’État à la création du Parti et le premier signe d’un coup d’État militaire en préparation. Deux ans plus tard, le 12 septembre 1980, l’armée turque prend effectivement le pouvoir par un coup d’État. Bien que plusieurs cadres, militants et sympathisants du Parti aient été arrêtés, Abdullah Öcalan réussit à envoyer nombre d’entre elles et eux à l’étranger avant cette date. Ce geste leur a donné l’occasion de se protéger et de s’organiser en vue d’une lutte armée.

Une vague d’arrestations sans précédent anéantit de suite tous les mouvements, partis et organisations politiques critiques à l’égard de l’État. Plus de 650 000 arrestations annihilent la possibilité de résistance immédiate au coup d’État fasciste à l’intérieur du pays. Ceux qui ont pu se rendre à l’étranger ont alors deux options : fuir et ne jamais revenir ou alors s’organiser pour revenir et prendre leur revanche. Ce qui distingue Abdullah Öcalan et le PKK des leaders et des mouvements éliminés par le coup d’État, c’est qu’ils choisissent la seconde option. Inspirés par la résistance héroïque des cadres du PKK dans la prison de Diyarbakır contre la torture brutale, la dégradation et l’annihilation et la trahison, ils ont travaillé constamment en vue d’un retour en force.

Le coup d’État militaire fasciste visait en particulier le mouvement de libération kurde et l’espoir qu’il avait su donner au peuple. Ce que les gens ont vécu au Kurdistan à la suite du coup d’État, la torture systématique et déshumanisante de la tristement célèbre prison de Diyarbakır en témoigne. Sans parler de sympathiser avec le PKK, le simple fait d’être kurde était une raison suffisante pour être torturé de la manière la plus violente qu’on puisse imaginer. Tout le Kurdistan avait été transformé en prison à ciel ouvert, et la prison de Diyarbakır construite dans le seul but d’anéantir le PKK et tout espoir de résistance au coup d’État. La conception intérieure spécifique des bâtiments de la prison ainsi que les règles imposées aux détenus, le personnel spécialement choisi pour le travail et la ville où elle a été construite étaient un signal clair : le PKK devait être détruit là où il était né. Quand le lieutenant fasciste, responsable des tortures infligées aux prisonniers grecs lors de l’invasion turque de Chypre en 1974 et nommé directement par le général de l’armée putchiste Kenan Evren à la prison de Diyarbakır, est arrivé, il a été très clair avec les prisonniers :

«Je suis le lieutenant Esat Oktay Yıldıran, chef de la sécurité intérieure à la prison militaire de Diyarbakır. Toi, écoute-moi attentivement. Cette prison a des règles. Vous obéirez à ces règles. Ce n’est pas une simple prison, mais une école militaire. Si vous respectez les règles, vous serez à l’aise ici. Si vous obéissez aux règles, l’État vous laissera vivre. Si vous respectez les règles, tous vos besoins seront satisfaits. Les idées déviantes comme le communisme, le marxisme, le socialisme et le kurdisme, vous allez les déraciner de votre tête. Si ce n’est pas le cas, je sais comment les éliminer. Vous avez trois jours. »

Sa mission était claire et précise : chacun des prisonniers devait être mis à genoux et trahir sa cause. Ce n’est qu’alors que l’espoir créé pourrait être détruit. Plusieurs prisonniers n’ont en effet pas pu résister à la torture et ont accepté les règles de la prison, plusieurs autres ont même trahi et dénoncé leurs camarades. Le groupe de résistants s’étiolait de jour en jour. Les cadres dirigeants du PKK au sein de la prison ont vu que la situation se dégradait mais leurs moyens de résistance étaient aussi presque inexistants. Une seule action a tout changé. Alors que le soleil se lève à l’heure la plus sombre, le 21 mars 1982, Mazlum Doğan, membre du comité central du PKK et un des leaders de la résistance, allume trois allumettes et se pend dans sa cellule. La célébration de Newroz par Mazlum Doğan était un message clair à tous les prisonniers : « La reddition mène à la trahison, la résistance mène à la victoire ».

La prison entière subit un choc profond. Mazlum Doğan était aimé par chacun d’entre eux, il était l’âme de la résistance contre un système de torture visant à déshumaniser quiconque y résistait. Son acte était le début d’une nouvelle ère dans la prison. Il n’y avait qu’un seul moyen honorable de s’en sortir, et c’était de le suivre. Deux mois plus tard, le jour anniversaire du meurtre de Haki Karer, quatre de ses camarades ravivent le feu de Newroz de Mazlum Doğan. Ferhat Kurtay, Necmi Öner, Mahmut Zengin et Eşref Anyık peignent un portrait de Mazlum Doğan sur le mur de leur cellule et s’immolent devant celui-ci en criant : « À bas le colonialisme ! » tous ensemble. Leurs co-détenus, réveillés par la fumée et les bruits essayent alors d’éteindre le feu. La voix de Ferhat Kurtay intervient alors avec toute sa détermination : « Ne versez pas d’eau ! Éteindre le feu est une trahison ! Ceci est une action, attisez le feu  ! »

Dans la prison, la résistance redevient alors une option. Elle ne se déroule pas seulement contre la torture insupportable de la part de l’ennemi, mais aussi contre la trahison. Avant le coup d’État, le PKK était bien parti pour déclencher un soulèvement populaire au Kurdistan contre les collaborateurs, principalement les seigneurs féodaux et les chefs religieux, les forces armées des colonisateurs et finalement l’État turc occupant, avec toutes ses institutions. Toutes les autres insurrections et rébellions de l’histoire kurde ayant échoué, un autre échec pouvait signifier qu’il ne serait plus possible de parler des Kurdes et de leur identité. Les révolutionnaires emprisonnés étaient les pionniers d’un réveil au Kurdistan, une énorme menace pour l’État fasciste turc construit sur la colonisation et l’exploitation du Kurdistan. Ils étaient aussi une menace pour l’identité raciste turque, fondée sur le déni et la destruction de l’identité kurde. La prison avait pour mission de faire que tous les prisonniers regrettent et renoncent à ce qu’ils et elles avaient fait et d’en sortir en tant que kémalistes convaincus et fiers d’être Turcs. Pour les cadres et les militants du PKK, cela signifiait trahir leur idéologie, leurs martyrs, le Parti et le peuple. La torture fut conçue de telle sorte que la trahison était la seule option possible. C’est pourquoi l’action de Mazlum Doğan a été un tournant : il a montré une autre voie de sortie, et les autres ont répondu à son appel. Tous les prisonniers étaient maintenant sous l’influence des actions de Mazlum Doğan et de ses camarades. Il était maintenant temps d’organiser la résistance dans toute la prison.

Le 14 juillet 1982, alors qu’il assistait à l’un des simulacres de procès hors de la prison, Hayri Durmuş, membre du comité central du PKK et leader influent de la résistance, demande avec insistance à prendre la parole devant la cour. Quand on lui permet enfin de s’exprimer, il dit : « Je parle au nom de la lutte pour la liberté. En tant que combattant de la liberté de mon peuple, pour protester contre vos pratiques sauvages, je vais commencer dès maintenant un jeûne à mort ». Cinq autres personnes dans la salle d’audience déclarent immédiatement qu’elles le rejoignaient dans cette grève de la faim. Dans les jours qui suivent, leur nombre augmente et la Grande résistance de la grève de la faim à mort met à genoux Esat Oktay Yıldıran et sa torture systématique, ses généraux fascistes et le régime militaire. L’action de résistance individuelle de Mazlum Doğan s’était transformée en une résistance organisée à l’échelle de la prison. Dans la salle d’audience, Hayri Durmuş a terminé son discours par les mots suivants : « Ceux qui disent qu’ils se battront pour ce peuple doivent mener leur combat par la lutte armée. Sans une résistance armée, le colonialisme ne pourra jamais être vaincu ».

Dans la prison d’Amed, le PKK a compris la réalité de l’ennemi dans toute sa brutalité. Cet appel à commencer la lutte armée a été entendu et a reçu une réponse le 15 août 1984.

PARTIE II – Première balle et fondation de la guérilla

Le PKK a été créé comme un mouvement de libération nationale qui a fondé son idéologie sur une thèse puissante : le Kurdistan est une colonie. Bien qu’il s’agisse d’un argument commun à tous les mouvements de libération nationale dans le monde, il s’est avéré être un développement révolutionnaire au Kurdistan. L’époque, la situation au Kurdistan (en particulier dans le nord du Kurdistan) étaient caractérisées par la négation. Elles étaient le résultat d’une politique colonialiste d’assimilation menée pendant plusieurs décennies et visant à l’effacement complet de l’identité kurde. Contrairement à d’autres cas de colonisation, qui se préoccupent généralement davantage de l’exploitation économique, la colonisation turque avait et a toujours comme priorité la colonisation culturelle. Dans ces circonstances, la lutte armée s’est avérée être un développement profondément émancipateur et autonomisant. Et elle l’est toujours. C’est pourquoi le 15 août est célébré comme le « jour de la résurrection ».

La situation des Kurdes avant la première balle

En 1923, le Traité de Lausanne a divisé le Kurdistan en quatre parties, relevant respectivement de l’hégémonie de la Turquie, de l’Iran, de l’Irak et de la Syrie. Les conséquences de ce traité ont été rendues encore plus insupportables pour les Kurdes par une autre situation contingente : les quatre États étaient en train de construire leurs propres États-nations. Ce processus a nécessité la création d’une nouvelle identité nationale pour chacun d’entre eux. Comme l’exige la logique de la construction de l’État-nation, ces nouvelles identités étaient intrinsèquement racistes et encourageaient une seule ethnicité, une seule langue, une seule religion, etc. au détriment des cultures qui cohabitaient historiquement dans chacune d’elles. Il en a résulté les nationalismes turc, persan et arabe inséparablement liés au racisme contre les membres des autres nations vivant au sein de leurs frontières nationales.

En Turquie, le processus de construction de l’État-nation, particulièrement hostile aux autres identités, est rempli de massacres et de génocides brutaux, dont le génocide arménien, le génocide assyrien, le génocide grec et le génocide du Pontus et le génocide de Dersim. Ces événements démontrent clairement la nature de la politique de l’État à l’égard des membres d’autres nations en Turquie. La politique raciste de l’État turc peut être résumée par une citation de Mahmut Esat Bozkurt, l’un des cadres kémalistes les plus influents de la première phase de la république, architecte de la constitution turque et plusieurs fois ministre : « Le Turc est le seul maître de cette terre, son seul propriétaire. Ceux qui ne sont pas de la race turque pure n’ont qu’un seul droit : le droit d’être un serviteur, le droit d’être un esclave. Que l’ami et l’ennemi, et même les montagnes, sachent que c’est la vérité ».

Bien que les Kurdes aient résisté à la négation de leur existence et de leur droit à l’autodétermination, qu’ils croyaient garanti par leur alliance avec Mustafa Kemal pendant la guerre d’indépendance turque, ils furent trahis par celui-ci. Plusieurs rébellions, dont la celles de Cheikh Said, d’Agirî et de Dersim, sont apparues sous la forme d’une résistance aux tentatives turques d’imposer son régime colonial au Kurdistan du Nord. Si toutes les rébellions ont échoué, c’est parce qu’elles sont restées régionales et n’ont pas pu mobiliser une plus grande partie de la population kurde sous la même bannière. L’absence d’un leadership influent s’est avérée fatale. Après le génocide de Dersim en 1938, le Kurdistan du Nord était pratiquement sous occupation turque. L’occupation militaire a été complétée par l’occupation politique, économique et enfin culturelle. Les nouvelles générations de la jeunesse kurde ont été élevées dans des institutions coloniales en tant que Turcs et tout ce qui avait trait aux Kurdes a été interdit de la vie publique. L’occupation culturelle et sociale du Kurdistan pénétrait si profondément dans la société kurde qu’elle commençait à être perçue comme l’état naturel des choses. L’État turc a pu obtenir ce résultat en quelques décennies seulement de part la brutalité même avec laquelle l’identité turque a été imposée aux Kurdes. Au début des années 1970, le résultat final de ce processus dans le nord du Kurdistan a été une nation réduite au silence, au bord de l’extinction culturelle. Les Kurdes avaient peur de s’exprimer dans leur langue maternelle et de contredire les politiques officielles de l’État. Même parler des massacres et des génocides qu’ils et elles avaient subis récemment était considéré comme dangereux. Le Kurdistan était désormais une colonie, mais il n’était pas perçu comme tel.

L’extrême normalisation du colonialisme et la quasi-disparition de la résistance à celui-ci font de la colonisation au Kurdistan un cas unique. Aucun autre mouvement de libération nationale, comme ceux du Vietnam, de Cuba, d’Algérie, de Palestine ou d’Afrique du Sud, n’a dû surmonter le problème unique auquel le PKK était confronté : une nation qui ignorait son existence. Le PKK a dû convaincre les Kurdes qu’ils ne sont pas Turcs, mais Kurdes. C’est pourquoi la thèse d’Abdullah Öcalan selon laquelle le Kurdistan est une colonie était si puissante. Refusant de disucter l’existence ou non des Kurdes, il nous a plutôt enseigné comment nous en sommes venus à nier notre propre existence. L’élaboration théorique d’Abdullah Öcalan à propos du colonialisme au Kurdistan avait une conséquence immanente : sans lutte armée, le colonialisme ne peut être vaincu.

Le début de la lutte armée

Il y a 34 ans, un petit nombre de guérilleros kurdes attaquent les colonisateurs à Dihê (en turc : Eruh) et Şemzînan dans un effort coordonné. Ces actions sont organisées afin d’annoncer la création des Hêzên Rizgariya Kurdistan (HRK – Forces de libération du Kurdistan) en mémoire des martyrs de la résistance de la prison d’Amed. La déclaration fondatrice est imprimée en grand nombre et distribuée à la population par les guérilleros. Elle explique la nécessité d’une lutte armée et des HRK : « Le colonialisme barbare turc, qui a acquis un caractère fasciste avec le coup d’Etat militaire du 12 septembre, a commencé à mettre en œuvre sa politique de répression et de massacre à son niveau le plus avancé et selon les méthodes les plus sauvages qui soient. Les objectifs du colonialisme fasciste et l’avenir qu’il envisage pour notre peuple sont très clairs : nous détruire en tant que nation et peuple soumis à l’esclavage colonialiste, transformer le Kurdistan et le peuple kurde en régions de la Turquie et en nation turque, faire vivre notre peuple en esclaves au service de leurs maîtres. Sous l’hégémonie fasciste colonialiste, l’avenir national et social de notre peuple est en danger. Il n’y a plus de possibilité d’une vie humaine et honorable au Kurdistan. Aujourd’hui, c’est un devoir humain absolu et primordial d’arrêter cette évolution. Dans les circonstances de la guerre et du massacre colonialistes fascistes en cours, notre peuple n’a d’autre choix que de prendre les armes et de commencer une lutte armée. Dans ces circonstances, afin d’assurer la libération nationale et sociale de notre peuple du colonialisme fasciste, de poursuivre sa lutte pour créer un avenir indépendant et libre par les armes, nous avons fondé les Forces de libération du Kurdistan ».

Dans les années précédentes, Abdullah Öcalan avait été en mesure d’envoyer de nombreux cadres du PKK hors de Turquie. Il aavait pris contact et établi des relations avec des organisations palestiniennes, qui ont fourni au PKK une formation militaire. Dans les camps libanais, le leader du mouvement kurde avait mis en place un processus intensif de formation idéologique et militaire pour les membres du PKK, en parallèle de la résistance de la prison. En 1982, une décision historique était prise par le 2e Congrès du PKK : retourner au Kurdistan et entamer la lutte armée contre l’Etat colonial turc. Au moment où le coup d’Etat militaire liquidait toute la gauche turque et kurde, le PKK ne faisait que commencer. Après deux ans de préparation, le 15 août 1984, le PKK a tiré sa première balle, mais pas seulement sur les colonialistes. C’était avant tout une balle tirée contre cette mentalité kurde qui avait accepté le colonialisme.

La journée du 15 août 1984

Les guérilleros se préparaient à ce moment depuis des années. Après l’arrivée du camarade chargé de les informer des plans pour le 15 août, la déclaration de fondation a été lue dans son ensemble. Dans son journal, le commandant Egîd évoque la vague de joie impatiente qui traversa les guérilleros à ce moment précis. Il allait être responsable de l’Unité de propagande armée du 14 juillet, créée à la mémoire de ceux qui étaient tombés martyrs lors de la grève de la faim. Son unité était chargée d’attaquer les institutions coloniales de la petite ville de Dihê. Deux autres unités avaient été créées : l’Unité de propagande armée du 21 mars, à la mémoire de Mazlum Doğan, dont la cible était Şemzînan, et l’Unité de propagande armée du 18 mai, à la mémoire de Haki Karer et des quatre personnes qui se s’étaient immolées dans la prison, avec pour cible Şax. Sur les trois attaques prévues, seules celles de Dihê et de Şemzînan ont effectivement eu lieu, toutes deux à 21h30 le 15 août 1984. L’attaque de Dihê est aujourd’hui plus connue que celle de Şemzînan,  pour deux raisons : d’abord, Heval Egîd est devenu plus tard un commandant de guérilla légendaire pour sa pratique militaire et idéologique, et deuxièmement, l’action de guérilla à Dihê a mieux atteint ses objectifs.

Sous le commandement d’Heval Egîd, les guérilleros ont pris la base militaire de Dihê et capturé les soldats à l’intérieur en un temps record. Certains soldats leur ont même dit qu’ils aimeraient rejoindre la guérilla, mais cela leur a été refusé. Pendant ce temps, la déclaration fondatrice du HRK était lue avec les haut-parleurs de la mosquée. Dans son journal, le commandant Egîd raconte : « Le camarade lisant la déclaration fondatrice a incorporé des parties d’un poème dans la déclaration à cause de son enthousiasme ». Peu de temps après, après avoir consulté les habitants de la ville, des guérilleros ont ouvert les portes de la prison et libéré les prisonniers, tandis que leurs camarades distribuaient des déclarations imprimées et des banderoles dans les cafés de la région. Les guérilleros ont pu capturer tellement d’armes et de munitions à l’ennemi qu’ils ont dû aussi prendre un camion appartenant à la Direction coloniale des routes, des eaux et de l’électricité pour les charger. Deux postes de télévision à l’intérieur du poste militaire, la voiture du général de l’armée, un camion militaire, le bâtiment du gouvernement, la banque et le bureau de poste ont été incendiés. Après avoir tenu la ville pendant quelques heures, l’unité sous le commandement d’Heval Egîd est repartie dans la montagne. Leur seule difficulté du jour était de savoir comment porter le lourd chargement d’armes qu’ils venaient de capturer. Dans le journal, le commandant Egîd note : « A ce moment-là, je me suis dit : La ville d’Eruh, dont la plupart des gens ne connaissent même pas l’existence, sera désormais un lieu connu par tous. Et c’est ainsi qu’on parlera des Kurdes dans le monde ».

C’était un jour historique, qu’Abdullah Öcalan évalue ainsi en 1986 :

« L’Initiative du 15 août, qui a été entreprise afin de faire progresser la résistance et maintenir à tout prix son drapeau levé, a ajouté à notre histoire de nouvelles pages de résistance porteuses d’une signification profonde. Désormais, la guerre populaire prolongée et ses héros, dont la grandeur a fixé l’ordre du jour au Kurdistan, auront leur mot à dire. Désormais, chaque jour et chaque heure dans ce pays sera témoin de l’épopée de notre guerre de libération nationale et de ses héros. »