La camaraderie à Zap
Le 21 avril 2024, l’armée turque a lancé de nouvelles attaques sur la guérilla du PKK dans les montagnes du Kurdistan sud (au nord de l’Irak). Celle-ci s’inscrivent dans la suite des offensives précédentes, vaillamment repoussées par les gerîla kurdes. Nurettin Demirtaş, frère de Selahattin Demirtaş engagé dans la guérilla du PKK, nous raconte ici trois histoires de la résistance à Zap. Serhildan a traduit ces récits parus sur Özgür Politika.
Deux sucres
Ce sont ces montagnes que même la Faucheuse craint, mon ami.
Ceux qui résistent le savent :
Pareille à la montagne où il combat
Semblable à la ville qu’elle aime
Surtout, la personne qui ressemble plus à sa douleur
Et son sourire
Ton/ta camarade
À Zap, les gerîla, coeur et esprit libérés par la philosophie du leader Apo, étaient prêts pour la guerre, malgré les conditions difficiles. La plus importante préparation au combat, pour elles et eux, consistait en une solide camaraderie. Sans les sentiments et la solidarité de la camaraderie, comment résister à la faim, au manque de sommeil et aux attaques brutales ? Le moment venu, la camaraderie fera ses preuves et les sourires viendront du fond du cœur, malgré toutes les souffrances. Elles et ils ont appris l’histoire de la guerre non pas dans les livres, mais dans les yeux de chacun·e d’entre eux et elles. Les voici prêt·es ! C’est l’instant où les paroles et les actes, les rêves et la réalité ne font plus qu’un. Le 14 avril, une histoire héroïque va commencer à s’écrire, de celles qu’on ne trouve que dans la mythologie.
Dans la soirée, les hélicoptères ont commencé à mitrailler la région. Zap était comme une géante, et chaque balle, chaque bombe qui touchait son corps n’avait pas plus d’effet qu’une piqure d’aiguille. Mais ils ont tellement mitraillé, tellement bombardé que le vieux corps de Zap s’est mis à saigner.
Profitant de cette opportunité, comme une meute de chacals, l’armée fasciste est entrée sur le terrain 3 jours après. Les gerîla devaient maintenant protéger Zap, qui les avait protégé·es pendant des années. La guérilla n’existerait pas sans Zap, Zap ne serait rien sans la guérilla. Les gerîla ont saisi leurs armes et couru vers leurs positions, comme on court pour entrer dans la danse, mouchoir en main. Le bruit des coups de feu se mêlait à celui des tililili. À la danse se sont ajoutés des chants de victoire. Elles et ils ont accueilli la mort en souriant.
Écrasé par chacun de ces sourires, l’ennemi a utilisé des armes chimiques, des bombes thermobariques, des bombes nucléaires tactiques. Il voulait détruire la guérilla, le plus grand espoir de l’histoire, en brûlant les tunnels de combat et en les étouffant. Mais la celle-ci, prenant le temps entre ses mains, a enveloppé l’espoir de l’enchantement des montagnes.
Mais la guérilla, reprenant le contrôle du temps entre ses mains, a enveloppé l’espoir de l’enchantement des montagnes. Une équipe de gerîla a commencé à avancer, se battant comme une armée. Au fil des jours, leurs réserves ont diminué, mais leur volonté s’est accrue. Il leur aurait fallu du temps pour atteindre les dépôts de ravitaillement et ils avaient une priorité : donner à l’ennemi la réponse qu’il attendait ! Ce credo est devenu leur nourriture. Ils se sont battus encore plus avec le satisfaction de partager leur morceau de pain en quatre.
Leurs munitions ont diminué, mais leur foi a grandi. Leurs poumons brûlaient à cause des gaz et des fumées toxiques, mais leur courage s’est renforcé. Ils ont marché jusqu’à ce qu’ils n’aient plus de force dans les genoux ; ils ont appuyé leurs camarades qui combattaient dans les tunnels.
Lorsqu’ils sont arrivés à bout de munitions, ils ont affronté 200 soldats avec leur seule volonté. La faim et l’insomnie leur importaient peu, mais le problème des munitions les mettait dans une impasse. Les soldats passaient devant leurs yeux. Un des gerîla n’a pas pu retenir ses larmes de colère, de ne pas avoir pu toucher l’ennemi qui s’était approché si près.
Leur commandant Zagros est touché, il dit qu’il faut trouver une solution. Ses chaussures sont déchirées, il peut à peine marcher bien qu’il les ait attachées avec une corde jaune. Son corps n’a plus d’énergie : « Vous restez ici. Je dois partir en reconnaissance et ramener des munitions ». Ses camarades lui répondent : « Non, nous nous irons ». Zagros regarde ses jeunes camarades, lit la détermination dans leurs yeux et sourit…
Dilsoz avait 18 ans, Raperin 20 ans et Rotinda 23 ans. Leur choix se porte sur deux combattantes, Rotinda et Raperîn. Vers le soir, elles se sont mis en route. Les drones tournaient et partout on bombardait. Approcher l’ennemi ne leur sera pas facile. Malgré la faim et le manque de sommeil, malgré les activités de l’ennemi, elles ont dansé comme des papillons vers leur cible. Ainsi, elles sont parvenues à s’approcher suffisamment pour observer l’ennemi à quelques centaines de mètres.
Comme elles surveillaient les positions et les mouvements de l’ennemi, elles ont passé la nuit sans crainte. Laissant cette nuit derrière elles, affamées, elles ont poursuivi la reconnaissance le lendemain. Avec un peu de nourriture, elles auraient pu prendre des forces pour effectuer une reconnaissance plus complète. Le chemin du retour allait également être difficile. Malgré leur épuisement, elles ont recueilli les informations nécessaires. Ils ont trouvé comment récupérer des munitions.
Assoiffée, Raperin a ouvert son sac pour en sortir sa petite gourde. Elle n’en a pas cru ses yeux en voyant une petite boîte qui n’aurait pas dû être dans son sac. Elle ne l’y avait pas mise. Elle a demandé à Rotinda qui ne savait pas non plus. Qu’est-ce que c’était ? D’où venait-elle, comment s’était-elle retrouvée dans ce sac ? Déconcertée, elle a secoué légèrement la boîte et entendu des cliquetis. Elle l’a ouvert, il y avait deux bonbons à l’intérieur ! Zagros avait mis ces bonbons dans le sac à leur insu. Elles se sont regardées, un bonbon à la main, elles ont compris et souri…
Cette camaraderie est la source de la victoire de Zap. La faim, la soif, le froid, l’insomnie, la fatigue n’ont pas affaibli les gerîla, mais les ont soudés. Elles sont revenues de reconnaissance et se sont préparées à frapper l’ennemi. La guerre est devenue une nouvelle épopée ; la bataille a été féroce… Le peuple kurde est vaillant, épique. Dix mille ans de tradition ont été ravivés grâce au Leader Apo : la vie et la guerre kurdes seront épiques ou ne seront pas ! Ils ont créé une histoire de dix mille ans de résistance épique.
Dilsoz, Raperîn et Zagros… Trois camarades de cœur qui se sont battues et sont tombées héroïquement en martyrs. Avec la détermination de porter partout la camaraderie et la fierté de Zap, nous nous inclinons avec respect devant la foi et la volonté qui ont forgé cette épopée héroïque dans la douleur, la foi et le sourire malgré l’ennemi.
Les guérisseuses
En prières sincères
Si j’étais de ces noms qu’on oublie
Si je restais immobile comme un arbre
Un pas m’aurait suffi.
Chaque partie de moi s’assemblerait comme un arbre
Tout le monde avait un nom à la naissance et à la mort
Il n’y avait pas le mien. Nos noms sont écrits dans le sang
Et la montagne, et la vengeance, et les grands cœurs, les immortels !
La résistance à Zap, qui se poursuit encore aujourd’hui, est si magnifique qu’elle est difficilement compréhensible pour l’esprit humain. Lorsque les souvenirs de la résistance et surtout certains détails sont pris en considération en termes de conditions spatio-temporelles, on constate qu’elle est pleine d’une toute nouvelle excitation et d’un espoir non seulement pour l’avenir de notre combat, mais aussi pour celui de l’humanité.
Le tout est de comprendre et de ressentir correctement. Cela nécessite une perception correcte du temps et de l’espace. Bien que celle-ci soit différente dans chaque culture, on ne peut parler de formation culturelle sans le temps et l’espace. Toutes les réalités sociales portent l’influence d’un certain temps et d’une certaine géographie.
Quand Zarathoustra a-t-il prononcé ses paroles ? Dans quelles conditions Mani a-t-il émergé ? Nous ne pouvons pas considérer comme normal que Hürrem ait défendu, il y a 1 500 ans, beaucoup de choses que nous défendons aujourd’hui. Aujourd’hui, l’historiographie féminine se développe, mais si l’on sait que Mesture Erdelani de Sine (Sanandaj), la première femme historienne du Moyen-Orient, qui a non seulement écrit un livre sur l’histoire kurde, mais aussi des poèmes qu’elle a rassemblés dans un livre Divan, a vécu il y a 200 ans, on comprendra la valeur de sa grande clairvoyance et elle deviendra une figure reconnue et exemplaire pour tous les peuples du Moyen-Orient.
À quelle époque Ayşe Şan a-t-elle vécu ? Avec quelles convictions et quelles croyances, avec quelle assurance est-elle allée jusqu’à Istanbul, Baghdad, Hewler et l’Allemagne ? Si nous n »évaluons pas cela en même temps que l’espace-temps, nous ne pourrons pas lui rendre justice. Nous parlons d’il y a 70 ans. A-t-il été facile de faire cette percée malgré les réalités sociales de l’époque ? Le Kurde est interdit ! Tous les membres de sa famille sont contre, sauf sa mère !
Une période, un lieu et un détail peuvent en dire long. Lors de l’épopée de la résistance dans les tunnels de combat, le gerîla Amed a été gravement blessé et soigné par des gerîla féminines. Quoi de plus naturel ? Si l’histoire de l’invention des péchés et des mensonges qui provoquent le meurtre des femmes remonte à des milliers d’années, le capitalisme a joué un rôle dans la destruction des femmes autant que la synthèse de toutes les époques. Alors que la femme elle-même était dévalorisée, le « corps de la femme » est devenu la marchandise la plus précieuse. Les hommes, eux, sont devenus les esclaves de la marchandise dès lors qu’ils se sont crus souverains. Face au capitalisme, qui inflige à l’humanité l’esclavage le plus profond, la société villageoise a mille fois plus de valeur.
Le gerîla Amed a rejoint la lutte depuis un village patriote du Serhad. Lorsqu’il était jeune, son grand-père lui avait toujours conseillé de ne pas s’approcher des femmes. « Ne va pas là où il y a des femmes. Tu commettras un péché si tu t’approches des femmes. Évite même le moindre regard ! » Les conseils donnés aux filles sont également prévisibles. On leur apprend dès l’enfance quel est le statut social des femmes. Amed, quant à lui, a été élevé dans l’idéologie de la masculinité. Il regarde ses pieds. Lorsqu’il devient gerîla, il goûte à la beauté de la camaraderie. De plus, il prend un nouveau nom que tout le monde apprécie…
Amed n’avait jamais entendu ce que signifiait être camarade avec une femme jusqu’à ce qu’il rejoigne la guérilla. Il n’avait pas compris la grandeur de la camaraderie féminine avant ce qu’il a vécu dans la résistance de Zap, même s’il était dans les rangs de la guérilla depuis des années. Alors que la résistance dans les tunnels de combat se poursuivait avec brio et que les équipes mobiles à l’extérieur empêchaient l’ennemi de s’échapper, l’armée fasciste turque a commencé à utiliser des gaz toxiques et des armes chimiques.
À l’endroit où se trouve Amed, il y a quatre camarades femmes et un homme, mais il est blessé et a des difficultés parce qu’il n’a pas une très bonne vue. Chaque fois qu’un éclat d’obus est retiré de son corps, sa vue baisse. Les soldats turcs ont attaqué la position des six gerîla de toutes sortes de façons, mais sans résultat. Leur commandant a forcé ses soldats à entrer : comme ils n’osaient pas, il a poussé l’un d’entre eux à l’intérieur de force. Dès qu’il est entré, il a marché sur une mine posée par les gerîla et s’est désintégré.
Les gerîla ont ramassé le corps démembré du soldat et ont fait une annonce à la radio : « Nous ne sommes pas comme vous, nous laisserons votre corps devant la porte, venez le chercher, nous n’interviendrons pas ». C’est ainsi que ce commandant a récupéré le corps du soldat qu’il avait envoyé à la mort. Ils savaient que le gerîla était derrière eux, mais celui-ci avait fait une promesse. Ils sont si proches que les gerîla se rendent compte, par leurs conversations, que le commandant de ces soldats s’appelle Hüseyin. Les chaînes de télévision de l’AKP ont ensuite fait de la propagande sale en disant : « les terroristes ont démembré le corps de notre soldat après s’en être emparés ».
La peur qui s’est emparée des soldats a été étouffée à l’aide d’armes chimiques et thermobariques. Ils ont forcé trois portes. Grâce aux tactiques ingénieuses de la guérilla, ils ont été repoussés de deux portes. Lorsqu’Amed s’est attaqué à l’ennemi à la troisième porte, celui-ci a reculé et a immédiatement utilisé des armes thermobariques. Amed a été grièvement blessé à cette porte. Sous la pression, il est dépouillé de ses vêtements et tout son corps est brûlé. Il tombe près de la porte, le corps nu et brûlé. Les méthodes inhumaines utilisées dans les guerres d’aujourd’hui sont une innovation de l’armée turque fasciste. La première méthode à laquelle ils ont recours lorsqu’ils sont acculés est l’utilisation de toutes sortes d’armes interdites.
La victoire de Zap, c’est ça. Avant qu’Amed soit blessé, 25 soldats turcs ont été punis dans le tunnel et sur le terrain. C’est pourquoi il ferme les yeux, mouillés d’une vague de nuages, sur un sommeil éternel, en pensant « même si je tombe martyr, je n’aurai plus de chagrin »…
Sa vie devait-elle se terminer ainsi, ici, à l’entrée de ce tunnel ?
Entre-temps, des camarades femmes sont arrivées et l’ont secouru. Elles ont pansé ses blessures, mais Amed était incapable de bouger. De plus, c’était un homme de grande taille ; le fait d’être soutenu par une chaise n’était pas suffisant pour lui permettre de satisfaire ses besoins physiques et se laver.
Il a pensé à son village. Les filles et les garçons ne pouvaient pas se rencontrer ; si les jeunes se regardaient, cela pouvait provoquer une bagarre, voire un meurtre. Alors qu’Amed se souvenait vaguement de son enfance, lorsque sa mère le lavait dans une bassine en cuivre, ses camarades femmes s’occupaient désormais de lui comme si elles prenaient soin d’un bébé et le nettoyaient.
Bien que ses blessures aient un peu cicatrisé et qu’il soit temps de prendre un bain, il ne pouvait bouger ni ses pieds ni ses bras. Les camarades femmes se sont aussi chargées de cette tâche. Avec chaque bol d’eau versé sur sa tête, Amed s’est purifié de l’idéologie de la masculinité, façonnée pendant des milliers d’années : « Voilà ce qu’est la victoire de Zap, voilà ce qu’est la guérilla, voilà ce qu’est la camaraderie, voilà ce que signifie être humain… »
Colère sèche
« Aucune révolution n’a jamais réalisé des transformations aussi durables, aussi douloureuses mais aussi réussies dans les individus. C’est la garantie de la victoire… C’est pourquoi notre combat est féroce, séduisant et rassembleur. Je suis amoureuse de ce combat. » (Sakine Cansız)
Pour reprendre les mots de la camarade martyre Sara, les gerîla sont les roses rouges du combat. Toute la beauté du combat réside dans leur camaraderie. Quand on prononce le mot « Heval », les eaux courantes s’arrêtent, les eaux stagnantes se transforment en cascade… Le barde Emekçi a dit : « La terre trouve un remède dans l’eau, le rossignol dans la rose, l’ami trouve un remède dans l’ami ». Ce sont des mots qui décrivent bien à la résistance de Zap. L’ennemi n’a pas encore réussi à déchiffrer les secrets de celle-ci. Même s’il y parvient, il ne pourra rien contre la guérilla, car l’ennemi n’a même pas un iota du sens de cette résistance.
La camaraderie de Zap est celle de la guérilla. Elle représente le succès, la victoire et la camaraderie. Quel secret y a-t-il à ce que toute une unité se nourrisse avec d’un morceau de pain, à ce que dix gerîla partagent un bol d’eau ? Si le secret est compris ici comme une obligation brute, on ne peut rien comprendre à cette résistance… Le secret est caché dans ce seul mot : être Heval, Heval !
L’époque est celle de Zap !
Ils traversent les terres de Zap, luttant contre les obstacles. Il leur reste du pain sec et des olives. Il n’y a pas une goutte d’eau à boire. La soif est le plus difficile… Tout comme les piments les plus amers poussent dans un sol pauvre en eau, la soif a rendu leur colère et leur amertume très vives… Il est intéressant de noter que, même dans ses moments les plus difficiles, il fredonnait la chanson Adı Bahtiyar d’Ahmet Kaya et y puisait sa force. Tous les voyageurs lui sont confiés. Bien sûr, tout lui est demandé lorsqu’il est éclaireur.
Les éclaireurs sont les héros de la lutte dans les montagnes du Kurdistan. Ils sont comme des professeurs de mathématiques supérieures car ils connaissent chaque chemin, chaque point d’eau, sont prudents face à chaque embuscade possible. Pourtant, c’est à leurs sentiments qu’ils font le plus confiance.
Heval Bahtiyar est l’éclaireur du groupe, mais la situation est telle qu’il ne peut pas fournir d’eau à ses camarades assoiffés. Alors que l’ennemi est est d’une mobilité suprenante, il rumine, cherchant une solution.
C’est alors que Sorxwin, forte de sa connaissance des lieux, dit qu’elle va aller chercher de l’eau. Deux personnes ne doivent pas prendre de risques elle doit agir seule pour éviter d’être vue par l’ennemi. Bien qu’il soit difficile de convaincre ses camarades, elle quitte le groupe à cinq heures du matin, espérant trouver de l’eau à un moment où la soif a épuisé toutes les énergies.
Nuda est une blessure qu’elle porte en lui…
Une heure passe et elle ne revient pas… Deux heures passent et Sorxwin n’est toujours pas revenue. Le cœur de Bahtiyar est en feu. La douleur de sa main passe dans son cœur. La tension est à son comble. Tous ont les lèvres gercées par la soif, ils sont faibles et étourdis. Lorsque Bahtiyar parcourait les rues de Bağlar en tant que Zaza Keko, il n’avait jamais eu autant de difficultés, même lors d’un combat. C’est un amateur d’Amed Spor, presque fou. Il a participé à de nombreux combats lors des matchs d’Amed Spor, mais il n’a jamais été poussé autant à bout. Aujourd’hui, son cœur est sur le point d’éclater, non pas à cause de la soif, mais parce qu’une camarade est allée chercher de l’eau et n’est pas revenue. Il n’a jamais traversé un moment aussi difficile dans sa vie, il n’a jamais eu aussi peur. La douleur de sa main s’est installée dans son cœur, lui glaçant presque le sang et lui coupant le souffle.
Tout récemment, il a vu une camarade blessée qu’il accompagnait tomber martyre sur la route. Elle s’appelait Nuda. Elle était gravement blessé, une de ses jambes était sur le point d’être coupée. La douleur était indescriptible pour Nuda, mais c’était une combattante acharnée et elle l’endurait de toutes ses forces. En chemin, ses blessures se sont terriblement aggravées. Des soldats s’étaient emparés des collines avoisinantes. Elle devait passer silencieusement au milieu d’eux. Nuda souffrait beaucoup et gémissait sans cesse. Parfois, elle hurlait presque de douleur. Lorsqu’ils se sont approchés des soldats ennemis, alors que Nuda était sur le point de crier à nouveau, Bahtiyar a mis sa main de côté sur la bouche de Nuda et celle-ci l’a mordue pour ne pas crier.
Chaque fois que Bahtiyar a mal à la main, il pense à Nuda. Cette jeune camarade est tombée martyr avant d’arriver au centre de soin. Et maintenant, Sorxwin est partie et n’est pas revenue…
Elle a peut-être été tuée, ou pire, elle est peut-être tombé entre les mains de l’ennemi. Bahtiyar devient fou en pensant à ces choses. Il ne peut pas rester en place, mais il ne peut rien faire. Il échafaude toutes sortes de scénarios dans sa tête. Il regarde autour de lui plusieurs fois. Sans résultat. Il ne peut pas laisser le groupe seul. Il doit les amener à leurs positions sans qu’ils soient vus par l’ennemi. Mais ils ne pourront pas bouger, non pas à cause de l’ennemi, mais à cause de la soif, ils seront retardés, peut-être mourront-ils à cause de cela. Les minutes commencent à ressembler à des années. Sous le poids du temps, les cheveux blancs doublent à ce moment-là…
Que signifie être privé d’eau au Kurdistan, qui regorge de cascades et enchante tout le monde par ses sources ? Bahtiyar se souvient de l’époque où ils allaient se baigner dans le Tigre. Sa soif semble diminuer, mais lorsqu’il pense à Sorxwin, ses épaules s’affaissent comme s’il portait un camion de sel.
Vers midi, les oiseaux cessent de gazouiller. Le silence s’installe sur Zap. On dit que ce n’est pas un bon présage. A ce moment-là, alors que tout le groupe allait partir à la recherche de Sorxwin, celle-ci est apparue au moment où l’horloge sonnait 12 heures. Elle est devant ses camarades avec un jerrican d’eau. Voir Sorxwin vivante devant eux, plus que l’eau, les remplit tous de joie.
Il est miraculeux de vivre et de se battre avec espoir et résistance à l’époque de Zap, sans eau. Heval Sorxwin a rejoint la caravane des martyrs après avoir fait de nombreux miracles dans la guerre en cours.
Maintenant, à chaque fois que la soif se fait sentir, Sorxwin se rappelle aux esprits ; et les espoirs, la colère et la résistance des guérilleros augmentent…