Le tekmil : un outil de réflexion collective.
Il n’est pas de révolution possible sans remettre en question la personnalité des individus, construite par des systèmes oppressifs : capitalistes, patriarcaux, racistes, validistes… Au sein du mouvement kurde, le tekmil est un outil qui permet, à travers la pratique de la critique/autocritique, de s’engager dans une démarche permettant de mettre en accord personnalité et idées.
Ce texte a été rédigé par des volontaires engagé.es au Rojava dans le groupe Tekoşîna Anarşîst (Lutte anarchiste). Il propose un point de vue particulier sur le tekmil, qui permet d’en découvrir les principes, mais n’a pas vocation à être généralisé. Le mouvement kurde, qui a théorisé et pratiqué le tekmil, insiste sur la nécessité d’une formation pratique à celui-ci. Le tekmil ne peut être un simple outil sans connexion à une éthique militante, et à un système de valeurs bien définies.
Qu’est-ce que c’est ?
Le tekmil est un instrument de réflexion collective. Les racines historiques de ce que nous connaissons sous le nom de tekmil remontent aux traditions communistes autoritaires, telles que le stalinisme. Toutefois, Mao a été le premier, parmi ces traditions, à accorder autant d’importance aux méthodes de critique et d’autocritique. En résumé, nous pouvons affirmer que la critique et l’autocritique ont été précieuses pour les mouvements révolutionnaires en général, et n’ont jamais été étrangères aux mouvements révolutionnaires non autoritaires en général. Dans le contexte du Rojava, tekmil peut être traduit par » rapport » – en outre, on peut retracer le développement et la transformation de ce sens en fonction de la situation. Néanmoins, il est utile de garder à l’esprit la traduction littérale – l’humilité et la brièveté sont valorisées dans le tekmil. Il contient de nombreux codes culturels, mécanismes et présupposés idéologiques, et il nécessite une compréhension et une base philosophique et idéologique solide.
Cet article transmet une expérience spécifique de l’organisation anarchiste au Rojava et ne représente pas nécessairement ou ne s’étend pas à toutes les autres pratiques du tekmil dans toutes les structures révolutionnaires au Kurdistan et au-delà. Nous ne voulons pas donner l’impression que nous sommes « porteurs des connaissances les plus exactes sur le tekmil » et que nous voulons « vous dire comment ça marche vraiment ». Au contraire, notre position et notre expérience viennent de et avec humilité, et nous aimerions partager ce que nous avons appris à travers nos interactions avec le mouvement révolutionnaire dans le nord-est de la Syrie. Il faut comprendre que ce texte est écrit à travers le prisme de l’organisation anarchiste internationaliste au Rojava – nous ne prétendons pas avoir le point de vue le plus objectif, et notre position comporte aussi ses propres limites. Nos expériences peuvent différer de celles d’autres internationalistes qui ont appris à connaître le tekmil dans ce contexte, ainsi que du vécu de celles et ceux pour qui le Kurdistan, les langues et la culture locales sont natives. Ce que nous pouvons et voulons, c’est partager nos propres expériences et perspectives sur le tekmil.
Dans les structures révolutionnaires du Kurdistan, le tekmil est utilisé comme un outil de réflexion et d’analyse collective. Le tekmil évalue la socialisation dans nos sociétés, l’influence de la mentalité capitaliste et patriarcale sur nos personnalités, et traite de nos actions, de nos approches les uns envers les autres dans le format de la camaraderie et de la vie collective, et des idées que nous voulons mettre en pratique. L’une des principales parties du tekmil est la critique. Dans la plupart des communautés d’où nous venons, la critique est souvent perçue comme une attaque ou une déclaration négative. La philosophie du tekmil considère la critique comme un cadeau que les camarades s’offrent mutuellement avec les meilleures intentions du monde. Dans un telle perspective, la critique est ce qui nous permet de grandir en tant qu’individus, de travailler sur nos défauts – même si la critique peut être très difficile à écouter et à accepter. La critique peut également être difficile à exprimer. La mission du tekmil est de nous rapprocher de la réalisation de nos idées en nous-mêmes et autour de nous, et de nous éloigner de la mentalité du capitalisme et du patriarcat. Au lieu de cette dernière, le tekmil aide à développer la mentalité des personnes qui luttent pour la libération, et qui aspirent à être des révolutionnaires. Cela signifie changer l’état d’esprit et la personnalité en fonction des idées pour lesquelles nous nous battons.
Une brève histoire du tekmil
Pour comprendre comment le tekmil a évolué vers sa forme actuelle, nous devons nous pencher sur son histoire dans le contexte du Parti des travailleurs du Kurdistan. Pourquoi parlons-nous du PKK sur ce sujet ? Nous sommes des anarchistes, et le parti n’est pas la méthode d’organisation de notre mouvement. Cependant, cela n’enlève rien au fait qu’il y a des leçons à tirer de l’histoire du PKK pour nous aussi. La même chose peut être dite de tout mouvement révolutionnaire en général. De plus, le PKK n’est pas un parti dans le sens d’une participation au cadre organisationnel de l’État, mais il peut être considéré comme une forme d’organisation d’une lutte anti-étatique et anti-coloniale. Le PKK ne vise pas à être élu, il n’essaie pas non plus de changer le système de l’intérieur.
Le développement du tekmil en tant que tel, sous la forme que nous observons en tant qu’anarchistes internationalistes au Rojava, est inséparablement lié à l’histoire du développement du PKK. Par conséquent, pour mieux comprendre le tekmil, il est utile de se pencher également sur cette partie de l’histoire, aussi contradictoire qu’elle puisse nous paraître. Souvent, c’est des contradictions que nous pouvons tirer les leçons les plus précieuses. D’autres cultures ou mouvements ne sont pas étrangers à la réflexion collective. Elle a été utilisée de diverses manières dans le monde, par exemple, la « révision de vie » dans les organisations catholiques de Catalogne, après la guerre civile espagnole. Ou encore le « bâton de parole » des peuples autochtones dans les terres colonisées des Amériques. Les processus de réflexion collective sont inhérents à la plupart des communautés, sous une forme ou une autre. une forme ou une autre. On peut attribuer au tekmil dont nous discutons maintenant 4 étapes de développement, liées de manière similaire aux 4 étapes de développement du PKK.
Comment le tekmil s’est-il développé au sein du PKK ?
1973-1983 : La forme du tekmil n’est pas claire. Des réunions étaient organisées. C’était une période de développement de normes et de systèmes organisationnels.
1983-1993 : Le début du conflit armé avec la Turquie, jusqu’au cessez-le-feu. La base du tekmil existe, mais les besoins militaires l’emportent sur le travail analytique et idéologique nécessaire. Une mentalité patriarcale progresse.
1993 : La première trêve entre le PKK et la Turquie intervient. La guerre a eu un effet toxique sur les structures organisationnelles. Le PKK se concentre sur le développement de l’analyse organisationnelle et politique. Des structures autonomes pour les femmes se développent progressivement. Les hommes avaient une grande influence, la lutte telle qu’ils la concevaient était souvent réduite à la libération nationale et à une ligne marxiste-léniniste dure. Les femmes de l’organisation critiquaient l’approche patriarcale et la pensée militaire, et insistaient sur le développement de l’analyse de la personnalité et du progrès. De cette période, nous pouvons citer quelque chose qui a été le résultat idéologique du débat et du travail organisationnel et qui est devenu la célèbre citation, provenant du 5ème Congrès du PKK en 1995 : « 5% de notre lutte est contre notre ennemi, 95% est contre nous-mêmes. » Le tournant a également été la critique ferme du marxisme-léninisme.
1993-2002 : En 2002, le PKK change officiellement de paradigme idéologique, passant au confédéralisme démocratique. L’approche intro-organisationnelle commence à inclure non seulement une analyse de la personnalité, mais aussi la manière dont cette analyse est réalisée. Les structures autonomes de femmes déjà en place à cette époque s’éloignent du positivisme pour se concentrer sur la morale et l’éthique. La construction du concept de personnalité révolutionnaire tel que nous le connaissons aujourd’hui commence à cette époque – et cela a influencé la philosophie du tekmil.
Le tekmil en pratique
Il est important de comprendre les codes culturels du tekmil et sa structure. En les connaissant, vous pourrez vous faire une idée générale de ce à quoi ressemble le tekmil. La plupart des points ci-dessous sont communs à tout tekmil, mais il existe des différences.
Ainsi, nous pouvons lister les points suivants :
– Les participants.es sont assis en cercle égalitaire ou sous une autre forme qui ne suggère pas de hiérarchie.
– La culture tekmil suppose également que les participants ne mangent pas, ne boivent pas (uniquement lorsque c’est nécessaire), ne fument pas, ne parlent pas entre eux, ne s’amusent pas et ne s’assoient pas de manière décontractée.
– Chacun est censé s’asseoir ou se tenir debout à un niveau égal, de manière « respectueuse ». Imaginez comment vous vous assiériez ou vous mettriez debout si vous vouliez montrer du respect à vos camarades par votre position même, par votre corps.
– L’espace entre les personnes dans le tekmil est généralement propre, sans désordre, qu’il s’agisse d’une table ou d’un tapis, peu importe. Il est ouvert à la réflexion et à la participation.
– Des vêtements propres et une apparence généralement soignée sont les bienvenus dans le tekmil, et les chapeaux sont retirés. L’essence de cet élément culturel est l’idée que l’état intérieur d’une personne ainsi que ses idées, ses intentions et ses attitudes envers les autres se reflètent dans son apparence extérieure, et vice versa.
Quelle est la séquence des interactions durant le tekmil ?
– Le tekmil est lancé par le modérateur. Il permet aux participants qui le souhaitent de parler dans l’ordre et note brièvement l’essentiel de ce qui est dit dans le tekmil.
– Tous les participants doivent avoir un cahier ou quelque chose pour prendre des notes. Le tekmil implique un processus de réflexion et de préparation, c’est pourquoi les éléments du tekmil ne sont pas notés 10 minutes avant le tekmil, mais continuellement lorsque la réflexion ou la pensée s’impose. Une façon importante de se préparer au tekmil peut être de réserver un moment spécial pour cela, un jour ou plus avant le tekmil.
– Les participants peuvent lever la main pour s’exprimer. Avec la permission de l’animateur, on peut commencer à exposer ses arguments. Vous ne pouvez parler qu’une seule fois des points d’autocritique et de critique, et une seule fois des suggestions.
– Après que l’autocritique et la critique ont été exprimées par tous ceux qui voulaient s’exprimer, vous pouvez rassembler les suggestions dans une liste, puis les discuter une par une.
– À la fin de la discussion, le modérateur résume le tekmil. Le but est de passer en revue les thèmes de la critique et de l’autocritique, et de leur donner une forme commune, de les présenter dans une vue d’ensemble. L’animateur peut donner un point de vue sur ce qu’il voit et essayer de faire ressortir ce à quoi il faut penser, réfléchir et travailler.
– Il est également possible de passer en revue les décisions prises à propos des propositions, de rappeler les tâches entreprises et les décisions collectives.
Donc, la structure du tekmil en bref :
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- Autocritique.
- Critique
- Suggestions
- Évaluation
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Conseils pour le tekmil
Ces conseils sont le fruit de l’expérience accumulée en matière de tekmil, et soulignent ses caractéristiques ainsi que l’importance de ses principes de base.
– S’il existe une structure ou un groupe autonome non masculin, il doit avoir son propre tekmil séparé. S’assurer qu’une telle structure a du temps à consacrer à son tekmil autonome (plutôt que de l’organiser comme un surcroît de travail) est la tâche de l’ensemble du groupe ou de l’organisation, et pas seulement de sa partie autonome. Le tekmil autonome sans les hommes n’est pas une activité supplémentaire, facultative, mais un tekmil tout aussi important. Pourquoi est-elle importante ? Parce que dans un espace mixte, nous pouvons observer une dynamique différente qui est souvent dominée par un comportement patriarcal. Un tekmil autonome sans hommes peut ouvrir des portes qui ne seraient pas autrement accessibles aux participants non masculins du tekmil, et leur permettre de créer leur propre solidarité et esprit dans la lutte pour changer la mentalité patriarcale. Ceci, à son tour, peut apporter des approches, des réflexions et des solutions plus progressistes à l’ensemble du collectif. Il peut également créer un espace pour l’analyse, la discussion ou la critique de quelque chose qui, pour quelque raison que ce soit, est mieux discuté dans un espace sans hommes – ou il peut servir tout autre objectif ou signification que la structure autonome détermine pour elle-même.
L’objectif principal du tekmil autonome est de permettre aux camarades non-homme cis-genre de faire des critiques et des analyses plus profondes dans un cadre où ces critiques ne peuvent pas être utilisées par des camarades hommes cis-genre pour diviser ces camarades. Cela permet un espace pour que les critiques dirigées vers les camarades hommes soient apportées par la structure autonome plutôt que par un individu non-homme ci-genre. Cela empêche l’exploitation du conflit par les camarades hommes, car un seul individu ne peut être désigné comme porteur de la critique. Cela donne donc plus de pouvoir aux camarades non-hommes cis-genres et plus de force au moment de la critique.
« L’objectif principal du tekmil autonome est de permettre aux camarades non-homme cis-genre de faire des critiques et des analyses plus profondes dans un cadre où ces critiques ne peuvent pas être utilisées par des camarades hommes cis-genre pour diviser ces camarades. »
– Le tekmil peut avoir une forme plus courte, destinée aux situations dans lesquelles la cohérence, la brièveté et la clarté sont nécessaires. Dans le contexte du Rojava, on peut parler de » tekmil militaire » – par exemple, un tel tekmil est utilisé au front, après ou avant les opérations de combat. Le tekmil militaire a la même apparence, mais il est tenu en position debout, en cercle, et se caractérise par sa rapidité, sa brièveté – liées à la nature de l’environnement (la ligne de front). Cependant, la forme courte de la critique ne doit pas être confondue avec un manque de camaraderie, ou d’amour pour les camarades, qui sont les fondements de toute critique, quelle que soit la situation. Dans le contexte d’autres pays et de situations moins dangereuses, le tekmil court peut être appliqué dans des situations d’actions et d’activités différentes qui nécessitent un travail d’équipe cohérent et impliquent un certain degré de risque et la nécessité d’un bref processus de critique et de réflexion sur place.
– Essayez de surmonter votre ego. La critique est un cadeau.
– Empathie, amour et respect. Donnez et recevez, pensez aux sentiments des autres.
– Un environnement respectueux et sérieux fait partie intégrante du tekmil. Une telle atmosphère se caractérise notamment par l’absence de blagues, de cigarettes, de nourriture et de boisson.
– Parlez sans ambiguïté, de manière compacte et claire. Le plus souvent, il n’y a pas de besoin absolu de détails dans la critique. L’explication excessive des choses et des situations et l’approfondissement de la critique ne sont pas la même chose.
– Méfiez-vous d’un langage fort ou des déclarations telles que « c’est évident », « tout le monde le sait/le sent/le pense/le fait », « fou », « dégoûtant », etc. Réfléchissez à la manière dont notre façon de nous exprimer contribue à créer des liens et à favoriser la compréhension, ou à créer une séparation entre les camarades. La critique et l’autocritique doivent aider à progresser et à se développer, et non à rabaisser les gens.
– Lorsque nous formulons des critiques, il est bon non seulement de souligner les lacunes de l’approche de nos camarades, mais aussi de leur offrir une perspective et des moyens de surmonter ces lacunes. Cela nous aide également à considérer la personne que nous critiquons de manière subjective, de son point de vue, et à nous concentrer sur la manière dont nous pouvons tous travailler pour améliorer notre militantisme.
– La critique doit être formulée à la 3e personne par rapport aux autres. Il est utile de voir la critique et son sujet comme un sujet d’analyse exposé ouvertement devant tout le monde dans le tekmil. La critique à la troisième personne aide la personne critiquée à penser à elle-même de manière dépersonnalisée, à accepter plus facilement la critique et à la considérer de manière plus objective. Au contraire, la 2e personne est associée à une approche plus personnelle, donnant l’impression de s’adresser non pas au collectif mais à l’individu.
– Le tekmil en tant que processus n’est pas guidé par l’émotion. La philosophie du tekmil suggère que l’émotion ne peut être la base de la critique. Néanmoins, l’émotion est très importante et ne peut être exclue de ce que nous faisons. Les émotions font partie de nous, de la dynamique collective et des relations. Mais la façon dont nous gérons les émotions, la façon dont nous les exprimons, l’impact que nous avons les uns sur les autres dans le champ émotionnel, le sens que nous leur donnons et l’impact qu’elles ont sur ce que nous faisons est un sujet de réflexion. Bien que les émotions soient toujours avec nous et en nous, ce que nous mettons dans le tekmil devrait toujours être basé uniquement sur des idées, des valeurs, des principes, l’analyse et la réflexion. D’autre part, donner un sens aux émotions et en prendre soin est un travail nécessaire et permanent de l’ensemble du collectif, de chacun d’entre nous. Premièrement, nous devons travailler sur la manière dont nous partageons (ou non) les émotions, dont nous assumons (ou non) la responsabilité de nos propres émotions et de celles des autres, dont nous nous soutenons (ou non) les uns les autres, et sur les schémas de genre, de classe ou de race de ces dynamiques. Deuxièmement, nous pouvons créer et cultiver des espaces et des moments dédiés à la prise en charge collective des émotions, dans le prolongement de la suggestion précédente.
– Dans vos critiques, nommez les personnes et les choses de manière précise.
– Le tekmil nécessite une préparation et une réflexion approfondie au préalable. Cette préparation peut se traduire par la mise par écrit de vos pensées. Le manque de préparation entraîne une perte de concentration dans le tekmil, la répétition et l’oubli de la critique.
– Ne répondez pas aux critiques. Non seulement verbalement, mais il est également important de surveiller l’expression de votre corps et vos gestes. Il y a des moments où les personnes qui donnent ou reçoivent des critiques sont dans une position vulnérable. Des gestes comme rouler les yeux, soupirer, être impatient, ricaner, etc. peuvent avoir un effet négatif sur la personne qui donne ou reçoit la critique, ainsi que sur les émotions des personnes concernées.
– Ne répétez pas une critique qui a déjà été formulée.
– N’ayez pas peur du silence.
– En s’appuyant sur le fait que tekmil est un lieu formel réservé à la critique, il peut devenir difficile de donner et de recevoir des critiques… en dehors du tekmil. Le tekmil privilégie des qualités telles que l’humilité et la capacité d’écouter, de donner et de recevoir, ces qualités ne doivent pas se limiter au tekmil. Par conséquent, les critiques exprimées en dehors du cadre formel du tekmil doivent être acceptées de la même manière, dans un esprit de camaraderie – en écoutant attentivement. Dans le même temps, les critiques doivent également être formulées en dehors du tekmil lorsque cela est possible. Ne réservez pas tout ce que vous avez à dire pour ce seul moment. Le tekmil est aussi une espace ouvert pour permettre d’exprimer des critiques qui semblent difficiles à formuler dans la vie de tous les jours, mais ne prenez pas l’habitude de n’utiliser le tekmil que lorsque vous voulez faire un retour à quelqu’un et de rester fermé dans le cas contraire. Par exemple, cela peut devenir une dynamique malsaine, si les camarades accumulent les critiques qu’ils ont jusqu’au jour où il y a le tekmil et ne travaillent pas à développer cette compétence dans la vie de tous les jours. Néanmoins, pensez à vous exprimer correctement, de manière sérieuse et valorisante, et si cela ne vous semble pas possible sans la structure du tekmil, faites-le plutôt à ce moment-là.
– Dans la critique qui vous est faite, recherchez ne serait-ce que 1% d’auto-réflexion et de réflexion par rapport à 99% de contre-arguments. Même si la critique était basée sur des hypothèses fausses, ou sur ce que vous pensez être une vision déformée des événements, elle est basée sur une vision de la réalité et des événements de vos camarades. Avant de commencer à clarifier la situation, vous devriez au moins réfléchir à ce qui a conduit à cette critique, et respecter le fait qu’un camarade essaie de vous faire le cadeau de la critique avec les meilleures intentions – et croire en ces intentions, et non dans l’idée qu’ils veulent vous attaquer avec des mots. Réfléchissez à l’origine de tous les contre-arguments que vous pouvez trouver – peut-être l’ego blessé ? Donner une critique à quelqu’un peut être très difficile. Réfléchissez à quel point vous vous rendez disponible ou accessible à la critique. Appréciez la contribution et les efforts du camarade. Si ce qui est dit nécessite encore des éclaircissements, attendez le lendemain ou plus tard et discutez-en avec la personne qui vous a critiqué – non pas pour « rétablir la vérité » – mais d’abord pour mieux comprendre pourquoi le/la camarade a perçu quelque chose de cette façon, et pour mieux comprendre l’essence de la critique elle-même.
– S’accorder du temps pour la réflexion est une bonne chose. Réfléchissez à la manière et au moment de présenter votre critique. Il ne s’agit pas forcément de l’approche libérale qui consiste à retarder et à remettre à plus tard le processus de critique parce qu’il est difficile à formuler. Lorsqu’il s’agit de choisir le bon moment pour émettre une critique, vous devez évaluer comment la critique s’inscrit dans la situation générale autour de vous et du groupe, quelle est l’ambiance. Il ne s’agit pas de formuler la critique sous la forme la plus simple possible, mais plutôt de déterminer s’il y a encore du travail à faire avant et après la critique. Cette approche vise à rendre la critique non pas la plus facile, mais aussi efficace et utile que possible.
– Ne vous excusez pas pour vos lacunes. Travaillez dessus. Cependant, ne passez pas à côté du moment où des excuses sont encore nécessaires – sans pour autant renoncer à travailler sur vos défauts parce que des excuses ont été présentées.
– Toute critique comporte sa part d’autocritique, et vice versa. La vie collective et le travail en commun impliquent que nous sommes responsables les uns des autres et que nous créons notre réalité ensemble. Nous n’existons pas complètement séparés et isolés les uns des autres. Par conséquent, l’origine de chaque erreur, de chaque défaut, peut être vue et analysée en relation avec tous les autres camarades. Par exemple, lorsque vous écoutez une critique adressée à quelqu’un dans le collectif, pensez – pourquoi n’avez-vous pas soutenu ce camarade pour qu’il trouve une solution à tel ou tel problème, pour qu’il trouve un point de vue différent, pour qu’il change son comportement, pour qu’il se développe d’une certaine manière ? De cette manière, tout le monde peut trouver quelque chose à réfléchir pour lui-même dans toute critique ou autocritique exprimée dans le tekmil.
– En plus de ce dernier point, les critiques que vous entendez dans un tekmil donné à quelqu’un d’autre, vous pouvez également les appliquer à vous-même et réaliser quelque chose en vous. Il peut donc être utile d’écouter chaque critique attentivement et avec un esprit réfléchi, même si elle ne s’adresse pas à vous. Souvent, ce qui a été montré en exemple à un autre camarade est quelque chose que chacun peut travailler en lui-même. C’est parce que la dynamique dans laquelle nous agissons est souvent informée par le système oppressif dans lequel nous avons tous appris à agir.
– Des variations structurelles sont possibles avec une section « Mise à jour ». C’est au choix du collectif pratiquant le tekmil.
Pour résumer, on peut définir les tâches suivantes du tekmil :
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- Un processus de construction de la camaraderie et la promotion de relations plus fortes à travers l’autocritique et la critique.
- Coordination.
- Développement de sa propre personnalité et recherche de cet épanouissement dans le collectif.
- Briser la hiérarchie.
- Combattre la mentalité oppressive.
- Résoudre les conflits et surmonter l’ego, comprendre l’influence de l’individu sur le collectif et vice versa.
- Limiter les conversations non constructives.
- Trouver un développement collectif.
- Mener des analyses sur une base partagée.
- Partager les points de vue sur les situations.
- Créer des personnes capables de vivre dans une société meilleure. Nos approches actuelles sont associées à des systèmes d’oppression tels que le capitalisme, le racisme et le patriarcat.
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Les fondements du tekmil
Il est important de mentionner et de souligner les valeurs qui fondent la méthode du tekmil, si l’on veut que sa pratique ait un sens. La pratique du tekmil peut être superficielle et ponctuelle – les gens émettent des critiques et des autocritiques juste pour le plaisir de s’en sortir, ou profitent de l’occasion pour attaquer et rabaisser les autres. Si nous critiquons, c’est par souci de l’autre et de nous-mêmes, pour prendre nos responsabilités et nous entraider.
Ces valeurs sont les suivantes :
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- Compréhension commune et acceptation de la méthode
- Camaraderie et respect mutuel
- Humilité et l’amour de l’apprentissage et de l’amélioration de soi.
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Une tâche particulière du tekmil est le développement d’une personnalité militante. Ce concept implique :
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- Des valeurs collectives
- La camaraderie et l’amour comme base des relations.
- La vie collective au lieu de l’individualisme. L’équilibre entre le collectif et l’individuel
- L’engagement. Autodiscipline et responsabilité, surmonter les défis et faire de son mieux pour soi-même et pour le collectif.
- Recherche de solutions plutôt que de problèmes. Avoir l’état d’esprit qu’il est possible de gagner. Si on ne peut pas percevoir une victoire, on ne peut pas gagner.
- L’humilité, l’écoute et la patience sont des qualités militantes.
- Pour pouvoir utiliser les outils du tekmil, nous avons besoin de normes et d’accords collectifs. Si nous ne comprenons pas les bases, nous ne comprenons pas la critique. Sans cela, nous émettons des critiques à partir d’une position subjective.
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Terminons par une citation d’une déclaration d’A. Öcalan, que les structures révolutionnaires au Kurdistan utilisent pour expliquer les principes et la culture du tekmil.
« Nous analysons non pas le moment mais l’Histoire ; non pas l’individu mais la société ».