Observation des élections en Turquie et lutte antiterroriste britannique

Juin 21, 2023A la une, Actualités

Pour les élections présidentielles du 14 et 28 mai, ainsi que les législatives le 14 mai en Turquie, le HDP a fait appel à la solidarité internationale pour l’observation des élections. Plus de 150 personnes ont répondu à l’appel en se constituant en délégations. Celles-ci ont été prévenues d’effectuer leur travail démocratique à force d’arrestations à l’arrivée en Turquie et d’expulsion (comme cela a été le cas pour la députée française Sandra Regol), d’intimidations de la part de policiers en civil devant les bureaux de vote ou encore de contrôle répété de leurs identités.

Nous traduisons ici un témoignage de Vala Francis, activiste anglaise qui a participé à cette mission d’observation des élections au sein d’une délégation internationale. Elle a été arrêtée à son retour à Londres par les forces de sécurité britanniques.

Membre d’une délégation internationale d’observateurs des élections présidentielles et législatives des 14 et 28 mai, je me suis rendue dans les régions du sud-est de la Turquie, au nord du Kurdistan. J’ai observé les élections aux côtés de parlementaires, d’activistes, d’avocats, d’universitaires, d’étudiant·es et de représentant·es de syndicats d’Écosse, d’Angleterre, d’Allemagne et de Suisse.

Sur le chemin du retour, lorsque j’ai atterri à Londres, j’ai été arrêté·e par la police antiterroriste et interrogée pendant trois heures en vertu d’une législation spéciale qui, contrairement à toute autre condition d’interrogatoire, ne donne pas droit au silence. En vertu de l’annexe 7 de la loi de 2000 sur le terrorisme, la police a le droit légal d’obtenir les mots de passe de n’importe quelle technologie, faute de quoi la personne détenue peut être poursuivie pour une peine pouvant aller jusqu’à deux ans de prison. Mon téléphone et mon ordinateur portable ont été confisqués pour être analysés. Après l’interrogatoire, le MI5 s’est présenté pour une collecte d’informations “facultative”.

Quel est donc le rapport entre le contre-terrorisme britannique et le contrôle international visant à déterminer si les élections turques sont libres et équitables ?

Nous avons passé des semaines à suivre la campagne du Parti de la gauche verte (YSP – Yeşil Sol Parti), le nouveau parti parlementaire à majorité kurde qui a succédé au Parti démocratique des peuples (HDP – Halkların Demokratik Partisi). Le HDP est confronté à une procédure de fermeture dans les tribunaux turcs et des milliers de ses membres sont en prison. Le YSP revendique les droits des femmes, la démocratisation de toutes les couches de la société, la protection des langues et des cultures minoritaires et la place centrale de l’écologie. Ses politiques critiquent le glissement du gouvernement vers la droite, par la mise en place d’un conservatisme religieux et d’intensives politiques de guerre.

Nous nous sommes rendus en convois dans des villages ruraux, avons assisté à des mariages et dansé le govend traditionnel avec les familles, avons participé à des manifestations pour les droits linguistiques et culturels et avons visité des entreprises et des magasins. Dans les campagnes, les enfants sortaient des maisons, couraient le long des voitures, suppliant qu’on leur donne les drapeaux multicolores du YSP. Les hommes assis sur des tracteurs et les femmes aux balcons levaient les mains pour faire le signe de la “victoire”, célèbre symbole régional de la résistance contre le colonialisme.

Ceylan Akça, membre au parlement turc du Yeşil Sol Parti, nous a expliqué que « les élections ne sont pas seulement les jours de vote, mais que tout ce qui se passe avant en fait partie. Et rien de tout cela n’était libre ». Une campagne de propagande intensive a été entreprise – selon l’observatoire des médias turcs, Erdoğan a eu près de 33 heures de temps d’antenne sur la principale chaîne de télévision d’État, contre 32 minutes pour Kılıçdaroğlu. À cela s’ajoutent la fermeture du HDP – le deuxième plus grand parti d’opposition – et la saisie de ses fonds, l’enfermement de personnes au sein du système judiciaire par de constantes vagues de détention, et une intimidation militaire sans relâche.

Le lendemain de mon arrivée à Diyarbakır, plus de 130 personnes ont été arrêtées dans tout le pays lors de raids armés à l’aube. Il s’agissait principalement d’avocat·es, de journalistes, d’universitaires, d’artistes qui travaillent à diffuser la culture kurde et de militant·es. Le bureau central du Yeşil Sol Parti s’est enflammé de l’énergie de la résistance ; le programme habituel de campagne dans les entreprises et les commerces de la ville a été annulé.

Une conférence de presse était prévue à 13 heures pour dénoncer les arrestations à motivation politique. J’ai marché avec des membres du parti local jusqu’à la zone de la conférence de presse, qui a été préventivement encerclée par la police anti-émeute et les véhicules de maintien de l’ordre public qui rôdaient dans les rues secondaires. La police a tenté d’empêcher la déclaration, puis l’a autorisée ; nous avons marché, puis avons été arrêté·es par les lignes de boucliers anti-émeutes. Puis, à nouveau, nous avons été autorisé·es à marcher, puis arrêté·es ; cela s’est répété tous les quelques mètres, la foule étant à chaque fois fragmentée par les forces de sécurité, et des groupes de personnes nassées.

Gülşen Koçuk, de l’organe de presse indépendant exclusivement féminin Jin News, a déclaré, à propos de la criminalisation des médias kurdes et de la liberté de la presse, que « le gouvernement au pouvoir n’a jamais nié nos informations ou ce que nous avons dit – mais ce à quoi ils s’opposent, ou réagissent, au départ, c’est au fait que nous publions les informations. Ils s’opposent à ce que quiconque s’exprime ». Et de poursuivre : « Ils prennent tout, même les souris des ordinateurs. Lorsque mes collègues ont demandé à la police pourquoi elle faisait cela, un policier a répondu : ‘eh bien, nous essayons simplement de vous empêcher de fonctionner’ ».

Des dizaines de femmes de la région, vêtues de robes traditionnelles, se sont vues interdire de brandir des panneaux et des pancartes appelant à la protection et au respect des langues kurdes, ou de lancer des slogans, et ont été empêchées de défiler sur la route.

Des habitant·es m’ont dit que l’une des principales raisons pour lesquelles les Kurdes ont voté pour Kılıçdaroğlu était l’espoir que sa présidence apporterait une certaine clémence aux quelque dix mille prisonniers politiques kurdes. Un accord préélectoral entre le HDP et le CHP promettait la libération d’au moins une partie des prisonniers en échange du soutien de la campagne présidentielle de Kılıçdaroğlu. Pour Ceylan Akça, l’incarcération de masse « isole non seulement les personnes en prison, mais aussi les idées politiques auxquelles elles croient ».

La délégation britannique s’est rendue dans la région de Hakkari, une zone dans le berceau des montagnes enneigées du Taurus, au carrefour du Kurdistan, de la Turquie, de l’Iran et de l’Irak. La veille des premières élections, j’ai gravité autour d’un groupe de femmes dans le bureau du Yeşil Sol Parti à Yuksekova, quelques-unes des seules femmes dans une pièce où se trouvaient au moins une centaine de personnes.

L’une d’elle m’a pris la main et a commencé à me parler de son fils, tué par les forces de sécurité turques. Je me suis rendu compte que ces femmes, dont les têtes étaient recouvertes de foulards d’un blanc immaculé, étaient probablement des Mères de la Paix – une section locale d’une organisation nationale de femmes et de membres de familles qui luttent pour que la justice rende des comptes après que leurs enfants, maris ou frères et sœurs ont été tuées ou disparues par les forces de sécurité ou par des groupes contre-révolutionnaires tels que le Hizbollah.

Les mères ont accepté notre proposition de rendre hommage à leurs proches. Après un court trajet en minibus jusqu’au cimetière, nous avons avancé tombe par tombe, histoire par histoire. De nombreuses pierres tombales ont été brisées, une pratique visant à « punir les morts », mais aussi leurs familles. Elles nous ont dit : « La police vient ici et détruit tout ce qui indique l’identité des personnes enterrées. Nous remplaçons les pierres à chaque fois, mais ils reviennent et les détruisent ».

Certaines des personnes enterrées étaient des guérilleros d’autres régions du Kurdistan, dont les corps n’ont pas été acceptés par l’État iranien ou qui n’ont pas pu rejoindre leurs familles en Syrie. D’autres étaient simplement des civils non armés qui rentraient chez eux à Yuksekova. Certains étaient des jeunes locaux qui ont pris les armes pendant les guerres des villes de 2015-16, lorsque la révolte urbaine des jeunes Kurdes politiques a été écrasée par les sièges militaires mis en place par l’État dans plusieurs villes et villages du sud-est de la Turquie, y compris Yuksekova. Nombre d’entre eux et elles ont subi des tortures brutales avant leur mort. Quelle que soit leur origine, « ils sont tous nos enfants, et nous sommes toutes leurs mères », nous a dit une jeune femme. Nous étions solennel·les – un jour seulement avant les élections, le rôle du résultat de celles-ci dans l’ouverture de possibilités d’obtenir justice a été souligné avec force.

Toute la nuit, les résultats ont défilé, et l’incapacité de l’un ou l’autre candidat à atteindre le seuil des 50 % a pesé au-dessus de la ville. Dans l’air frais de la nuit, une foule a scandé des slogans dans les rues contre la tyrannie de l’État.

Le Yeşil Sol Parti a remporté l’ensemble des trois sièges parlementaires à Hakkari, malgré des pratiques visant à fausser le résultat, comme le vote, dans des bureaux en zone rurale, de centaines de militaires, en surnombre et inconnus là-bas, dont nous avons été les témoins directs. Le troisième siège a été contesté par l’AKP : finalement, il est resté dans les mains du YSP.

Après la nette avance d’Erdoğan sur Kılıçdaroğlu au premier tour, la croyance en un changement de président a semblé s’éteindre. L’humeur qui régnait dans la région était sombre ; tandis que les membres des sections locales du parti continuaient à faire campagne, un chauffeur de taxi m’a dit : « J’espère qu’Erdoğan sera battu, mais je n’y crois pas » – ce que j’allais entendre fréquemment au cours des semaines à venir.

Des milliers de votes ont été attribués par erreur aux mauvais partis, ce qui a entraîné un énorme processus de recomptage. À Diyarbakir, plusieurs exemples ont été trouvés de centaines de votes enregistrés pour le YSP dans les décomptes finaux, mais qui ont ensuite été attribués administrativement au parti d’extrême droite ultra-nationaliste MHP.

Du 14 au 18 mai : le purgatoire

Le 22 mai, à propos du mouvement kurde, le ministre de l’intérieur Süleyman Soylu a déclaré lors d’une conférence des forces de sécurité que « les avocats devraient être les premier·es ciblé·es » parce qu’ils « véhiculent toute la sédition », en particulier de l’intérieur des prisons vers les personnes à l’extérieur. La Turquie reste l’un des pays qui emprisonne le plus de journalistes au monde. Il n’existe pas de statistiques mondiales sur la détention des avocats, mais The Initiative for Arrested or Prosecuted Lawyers & Human Rights Defenders indique que « depuis 2016, en Turquie, 551 avocats ont été condamnés à 3356 ans de prison pour des accusations liées au terrorisme, principalement l’appartenance à des organisations terroristes ».

Zeki Baran, co-représentant de la confédération de solidarité avec les prisonniers politiques TUHAD-FED, a déclaré : « Ce [harcèlement] est grave en terme d’expression démocratique – il réussit à créer une atmosphère de peur, et il atteint son objectif en rendant les gens silencieux. Il s’agit d’une guerre psychologique plutôt que d’une guerre physique ».

Au cours des cinq jours précédant le deuxième tour, 182 personnes ont été arrêtées – pour la plupart lors de raids à l’aube – principalement sous le prétexte de la lutte contre le terrorisme en relation avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), comme presque toutes les autres arrestations politiques de personnes kurdes. Nombre des personnes arrêtées travaillaient directement avec le Yeşil Sol Parti, y compris Ayşe Karagöz, qui était candidate au Parlement lors du premier tour des élections. Le 29 mai, des dizaines de maisons à Yuksekova ont été perquisitionnées par la police anti-terroriste, qui, lors de l’arrestation d’un certain nombre d’hommes politiques locaux, a battu un homme au point de l’envoyer à l’hôpital.

Le deuxième tour

Le jour même du deuxième tour, des sources nous ont dit qu’en plusieurs endroits les observateurs légalement affectés aux bureaux de vote n’ont pas été autorisés à y entrer. À Urfa, deux députés – l’un du YSP, l’autre du CHP – ont été physiquement agressés par des membres de l’AKP. L’un des parlementaires était M. Şenyaşar – dont les proches ont été assassinés il y a cinq ans dans leur propre magasin et dans un hôpital par un député de l’AKP et des membres de sa famille. La parlementaire du CHP s’opposait à la pratique du “vote de masse”, où les femmes n’étaient pas autorisées par leurs maris et leurs parents masculins à voter pour elles-mêmes, et où les chefs tribaux votaient au nom d’autres personnes.

Dans le district de Bağlar à Diyarbakir, où nous nous sommes rendus dans plusieurs bureaux de vote, une habitante a été agressée par un homme du Hezbollah parce qu’elle ne portait pas de hijab. Selon certaines informations, à Nusaybin, un bénévole du parti a été agressé et a perdu un œil après avoir été frappé par des partisans de l’AKP.

Lors de sa première apparition publique après sa victoire, Erdoğan a encouragé ses partisans qui s’étaient rassemblés pour fêter l’événement à scander « mort à Selahattin Demirtas », le codirigeant emprisonné du HDP qui, selon deux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, devrait être libéré, mais reste embastillé. Le sentiment anti-kurde est un élément central du programme nationaliste autocratique. L’État tente de détruire physiquement et symboliquement les dirigeant·es, que ce soit par l’assassinat direct, courant dans le nord-est de la Syrie, ou par la mort symbolique dans le cadre du régime d’isolement du système carcéral. On peut considérer cela comme faisant partie de la stratégie de l’État visant à rendre presque impossible la réalisation, selon une méthode d’organisation démocratique, de la volonté des peuples.

« Je ne me sens pas vaincu », a déclaré Ceylan. « Tout le monde ici a un procès – ils ont au moins 6 ans de prison qui leur pendent au nez, et pourtant ils viennent travailler. Et nous veillerons à protéger et à défendre tout ce que nous avons accompli au cours des vingt dernières années, et même avant – nous nous y accrocherons, nous le défendrons et nous le développerons. »

« Je ne suis pas désespéré ».

Complicité britannique dans la répression internationale

La Grande-Bretagne et la Turquie entretiennent des liens politiques étroits. La Turquie est le 18e partenaire commercial de la Grande-Bretagne et la Grande-Bretagne est le deuxième marché d’exportation de la Turquie. Au cours des dernières décennies, les deux pays ont conclu des contrats d’armement d’une valeur de plus d’un milliard de dollars, et une offre potentielle de grande envergure portant sur la modernisation des avions de guerre et des frégates, estimée à environ 10 milliards de dollars, se profile à l’horizon. Mais, et c’est peut-être plus important encore pour la Grande-Bretagne, l’État turc se situe géographiquement entre la Russie et l’Occident (comme dans la guerre en Ukraine), l’Europe et le Moyen-Orient, et constitue une grande puissance régionale d’influence politique.

Des centaines de milliers de personnes tentent chaque année de franchir la frontière entre l’Iran et la Turquie, et un nombre indéterminé de personnes, y compris des enfants, sont abattues par les forces de sécurité turques, détenues et torturées. Nombre d’entre elles sont renvoyées illégalement en Iran. Le ministère de l’intérieur a fourni au moins 3 millions de livres sterling à la Turquie pour la sécurisation de cette frontière, ainsi que pour la formation et l’équipement spécialisé du mur frontalier récemment construit.

Depuis plusieurs années, la Turquie détient le record mondial du nombre de réfugiés accueillis sur son territoire. L’État turc reçoit de l’argent de l’UE pour les accueillir, et les deux parties utilisent stratégiquement leurs positions alors que le climat d’hostilité envers les réfugiés et les migrants augmente dans le monde entier. Erdoğan a menacé d’« ouvrir les portes » de l’Europe lorsqu’il avait besoin d’un soutien politique pour ses politiques belliqueuses dans le nord de la Syrie : leurs vies restent des monnaies d’échange utiles.

Sur le plan intérieur, la communauté kurde est surveillée par l’État britannique, et les frontières sont à nouveau un terrain important du pouvoir politique. L’annexe 7, qui fait partie de la loi sur le terrorisme de 2000, a déjà été critiquée par de nombreux groupes parce qu’elle criminalise injustement des communautés. Il s’agit d’une pratique policière courante à l’encontre de la diaspora kurde, qui est régulièrement arrêtée et interrogée lorsqu’elle se rend en Europe et en Turquie. Techniquement, l’annexe 7 peut être utilisée pour engager des poursuites, mais dans la pratique, elle est surtout utilisée pour l’extraction de données, la surveillance et le harcèlement, ainsi que pour contrôler pensées et croyances.

La cible n’est pas seulement le peuple kurde, mais aussi ceux qui le soutiennent, en particulier dans la quête d’un monde qui s’oppose à la concentration du pouvoir, que ce soit en Grande-Bretagne, en Turquie ou ailleurs.

En avril, parmi des centaines de cas non médiatisés, Phillip O’Keeffe, citoyen irlandais et américain, a été détenu en vertu de l’annexe 7 alors qu’il allait informer la famille de Finbar Cafferkey que ce dernier avait été tué au combat en Ukraine. Ils avaient auparavant combattu ensemble contre Daech alors qu’ils étaient volontaires auprès des YPG dans le nord-est de la Syrie. Le même mois, un responsable français des relations extérieures d’une maison d’édition de gauche a été arrêté alors qu’il se rendait à la Foire du livre de Londres pour y donner une conférence.

Au tournant du millénaire, le terrorisme est devenu un élément central du droit national et international. Il est devenu le moyen de distinguer la légitimité de ce qui doit être proscrit, la vérité de la monstruosité. Le 11 septembre a donné lieu à la première poussée de croissance de la « guerre contre le terrorisme » en Occident. La Turquie a fait des pas importants vers l’adhésion à l’UE en 1999, bien que ces progrès se soient ralentis dans les années qui ont suivi. En 2001, le PKK a été ajouté à la liste des organisations interdites de l’UE, après des décennies d’activité.

Abdullah Öcalan a joué un rôle clé dans la direction du parti depuis sa création et a rédigé une analyse complète de l’émergence de la civilisation, des origines du capitalisme et des fondements sociopolitiques et philosophiques de la lutte révolutionnaire, depuis sa cellule sur l’île pénitentiaire isolée d’Imrali. Sa pensée a inspiré les fondements de la lutte moderne pour l’autonomie kurde.

Zeki nous a dit que « cet isolement est d’abord utilisé sur Öcalan, pour mesurer le pouls de la société, puis il est étendu aux prisons, puis à la société en général ». La philosophie politique d’Abdullah Öcalan a été adoptée par des millions de personnes. Elle doit être considérée comme l’expression légitime d’une politique démocratique et Öcalan doit être traité comme un représentant légitime. Pour cela, il faut mettre fin à la période de 27 mois sans contact juridique ou familial imposée par l’État et libérer Öcalan de sa prison.

« Nous constatons que la Turquie fait pression sur les pays européens pour qu’ils restreignent l’expression des revendications politiques des Kurdes en Europe », a déclaré Ceylan. « Par exemple, lors du processus d’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN, la première chose que le gouvernement a faite a été de demander l’extradition des réfugiés kurdes en Suède et en Finlande. »

La plupart des questions posées au cours de l’interrogatoire – en dehors de la pêche aux informations générales sur mes antécédents – concernaient spécifiquement la politique kurde. On m’a demandé si j’avais rencontré des membres du PKK, si j’avais voyagé dans d’autres régions du Kurdistan, comment j’avais appris l’existence du HDP et ce que je pensais d’Abdullah Öcalan.

La police a froncé les sourcils devant ma liste manuscrite de mots kurdes qui comprenait « Public Prosecutor’s Court », comme si le fait de s’exprimer en kurde – et en particulier la capacité de nommer l’institution qui criminalisait le parti parlementaire qui avait invité des délégations internationales aux élections – était en quelque sorte suspicieux. Les policiers ont également relevé la phrase « Je ne peux pas respirer » et ont secoué la tête. Ils n’avaient manifestement jamais été assis à côté de plusieurs fumeurs à la chaîne dans un bureau sans air.

Pendant des décennies, les langues kurdes ont été interdites en Turquie, et les personnes qui les parlaient, même à la maison, se heurtaient à de violentes réactions. Elles ne sont toujours pas langues officielles, bien qu’elles soient parlées par plus de 10 millions de personnes en Turquie. Lier la langue kurde au terrorisme est exactement le comportement de l’État turc – et apparemment, de l’État britannique.

Une motion déposée par le député travailliste Grahame Morris en avril « demande une révision urgente pour s’assurer que les pouvoirs de l’annexe 7 ne sont pas utilisés de manière abusive pour supprimer les droits démocratiques et humains et criminaliser la dissidence politique au Royaume-Uni ou à l’étranger ».

L’avenir

Au sein des délégations, nous avons été témoins de joie, de déception et de chagrin. Il y avait l’espoir d’un changement de régime et la croyance en une alternative issue d’un processus de lutte beaucoup plus long dans la région, à la fois à travers les difficultés de la guerre et la construction d’alternatives via les structures de gouvernance locales, les médias et l’économie. Les cinq prochaines années seront incroyablement difficiles pour le mouvement kurde, les médias indépendants, les classes ouvrières et les personnes opprimées en raison de leur genre en Turquie, avec les politiques d’incarcération de masse, le retrait de protections législatives comme la Convention d’Istanbul, et la chute de l’économie avec une nouvelle dévaluation radicale de la lire turque.

« Tout le monde doit amplifier ses critiques et être courageux face à ce qui ne va pas », a déclaré Gülşen Koçuk. Nous pouvons défendre le droit légitime du peuple kurde à la démocratie, en commençant par la décriminalisation complète de la philosophie politique d’Öcalan et de ceux qui la mettent en œuvre, tant au niveau national qu’international, en demandant à nos propres gouvernements de rendre compte de leur rôle dans la propagation de l’autoritarisme, du régime autocratique et de la guerre, et en exigeant une pression internationale pour la libération des milliers de prisonniers politiques – y compris Öcalan – qui croupissent dans les prisons turques.

Lorsque nous avons parlé de la façon dont les gens allaient continuer dans les mois difficiles à venir, Ceylan nous a dit : « ce système autoritaire n’a pas été construit en une nuit, il ne faudra donc pas une seule nuit pour s’en débarrasser. Mais nous sommes presque à mi-chemin, si nous continuons à travailler et à nous battre pour cela ».

« Je pense à mes amis en prison – que pourrais-je faire pour les faire sortir ? Nous devrions continuer jusqu’à ce que nous ne puissions plus le faire, et alors d’autres prendront les rênes – c’est ainsi que fonctionne la résistance. C’est juste une perspective ; si vous regardez le cours de l’histoire humaine, rien ne se passe rapidement. C’est un processus de petites réalisations qui s’accumulent pour aboutir à quelque chose de plus grand ».