Reconnaître les luttes des journalistes kurdes en Syrie

Juil 7, 2023A la une, Actualités, Nouvelles du Kurdistan

Dans cette tribune publiée sur le site du Kurdish center for Studies  le journaliste Hisham Arafat, originaire du Rojava pointe du doigt les conséquences néfastes de l’absence de reconnaissance internationale  de l’Union des médias libres de l’Administration autonome du Nord et de l’Est de la Syrie. Mettre en avant le travail des journalistes locaux qui risquent leur vie au quotidien pour nous informer, c’est aussi une lutte internationaliste.

Dans la région autonome kurde en Syrie, connue sous le nom de Rojava, un dilemme pressant se pose depuis une dizaine d’années. Plus de 500 journalistes kurdes syriens, qui s’efforcent de rendre compte de la vérité dans le chaos du conflit syrien, se heurtent à un obstacle de taille : l’absence de reconnaissance internationale de leur carte de presse.

Depuis le début du conflit en 2011, le Rojava est devenue une zone autonome dotée de ses propres institutions. Parmi celles-ci figure l’Union des médias libres (connue en kurde sous le nom de Yekitiya Ragihandina Azad, YRA), qui fait office de syndicat pour les journalistes kurdes en Syrie. Cependant, malgré d’inlassables efforts pour fournir des informations précises et impartiales, les cartes de presse délivrées par la YRA ne sont pas reconnues au niveau international, ce qui laisse ces journalistes dans un état d’incertitude et s’avère un désavantage.

Les seules fondations syriennes autorisées à délivrer des cartes de presse sont le ministère syrien des médias et le syndicat des journalistes syriens qui lui est affilié. Malheureusement, ils n’accordent pas ces cartes aux journalistes kurdes. Cette politique d’exclusion a des conséquences considérables, car elle limite les possibilités pour les reporters kurdes de voir leur travail reconnu dans le monde entier et entrave leur accès à des ressources essentielles et à la formation.

Les statistiques témoignent de la gravité de la situation. Selon une enquête récente du Syndicat des journalistes kurdes syriens (YRA), elles et ils sont confronté·es à de nombreuses difficultés en raison de l’absence de reconnaissance internationale. Sur les 500 journalistes du Rojava, des dizaines ont fait état de difficultés à obtenir des visas pour des voyages internationaux au cours des cinq dernières années, tandis que la majorité d’entre eux ont exprimé leur frustration quant à leur accès limité aux conférences et aux programmes de formation internationaux. Ces données mettent en évidence les obstacles tangibles dans leur développement professionnel et dans leur capacité à partager leurs histoires à plus grande échelle.

Une expérience personnelle illustre l’ampleur du problème. En tant qu’aspirant journaliste kurde syrien, j’ai personnellement été confronté à ce problème lorsque j’ai posé ma candidature pour une bourse dans le cadre du programme de Berlin de Reporters sans frontières (RSF) en Allemagne. RSF a accepté ma candidature, mais j’ai été confronté à un obstacle de taille lorsque j’ai demandé un visa au consulat allemand de la région du Kurdistan irakien. Le consulat exigeait une carte de presse, mais la carte de presse délivrée par le gouvernement syrien est le seul titre reconnu internationalement pour les journalistes syriens. Malheureusement, le régime interdit aux journalistes kurdes d’obtenir celle-ci, ce qui me place dans une situation difficile. Sans une lettre de Reporters sans frontières reconnaissant mes réalisations journalistiques, ma demande de visa pour l’Allemagne aurait probablement été rejetée et j’aurais perdu la possibilité de participer à cette bourse.

Les conséquences de cette situation vont bien au-delà de la simple paperasserie. L’absence de titres de presse internationalement reconnus empêche les journalistes kurdes syriens de participer à des conférences internationales, d’obtenir des visas pour des voyages internationaux et d’accéder à des formations et à des ressources essentielles. Par conséquent, leurs voix, qui devraient être largement entendues, restent inaudibles dans le paysage médiatique international.

L’Union des médias libres (YRA), l’une des premières fondations créées par l’Administration autonome kurde syrienne en 2012, est devenue une institution vitale pour les journalistes kurdes du Rojava. Elle leur offre une plateforme pour présenter leur travail et partager leurs histoires. Cependant, sans l’appui crucial de leur carte de presse sur la scène internationale, ces journalistes se heurtent à des obstacles importants dans leur travail et leur développement professionnel.

Il est temps que la communauté internationale prenne les devants et reconnaisse les cartes de presse délivrées par la YRA. Ce faisant, des portes s’ouvriront pour les journalistes kurdes syriens, permettant à leurs voix de résonner sur la scène internationale. La reconnaissance internationale ne validerait pas seulement le travail sans répit de ces journalistes, mais leur fournirait également les opportunités et les ressources dont ils ont désespérément besoin pour poursuivre un travail vital.

« En agissant pour la reconnaissance professionnelle des journalistes kurdes syriens et en leur donnant les moyens d’agir, nous pouvons défendre les principes d’une presse libre et indépendante »

Il est temps d’agir. Les gouvernements, les organisations internationales et les groupes de défense des médias doivent s’unir pour s’attaquer à ce problème et faire en sorte que les journalistes kurdes syriens bénéficient de la reconnaissance qu’ils méritent.

En agissant pour la reconnaissance professionnelle des journalistes kurdes syriens et en leur donnant les moyens d’agir, nous pouvons défendre les principes d’une presse libre et indépendante et nous montrer solidaires de celles et ceux qui risquent leur vie pour nous transmettre les histoires qui doivent être racontées. C’est grâce à leurs voix que nous comprenons mieux le monde et que nous construirons une communauté mondiale plus solidaire et mieux informée.