Rendre véritablement justice à Zhina

Oct 2, 2022A la une, Actualités

Nous traduisons ici un post facebook et un texte rédigés par Hawzhin Azeez, universitaire kurde. Elle rappelle l’origine du slogan Jin, Jiyan, Azadî  et l’importance de ne pas invisibiliser l’identité kurde de Zhina Amini (ndlr : Zh se prononce J).

Alors que les différents peuples d’Iran protestent contre leur régime à la suite de la mort de Zhina Mehsa Amini, une Kurde de 22 ans, nous devons nous rappeler un fait important : l’Iran n’est pas une entité homogène composée d’une seule culture, d’un seul peuple, d’une seule langue et d’une seule ethnie. Vous protestez contre le meurtre de Zhina en tant que femme mais pas contre son meurtre en tant que kurde.

Les mouvements révolutionnaires doivent éviter de reproduire les mêmes valeurs patriarcales et racistes que les régimes qu’ils tentent de renverser, sinon ils commettent l’erreur de simplement remplacer un groupe de personnes racistes et patriarcales par un autre. C’était la marque de fabrique de la révolution iranienne de 1979 où les femmes se sont soudainement retrouvées, avec les divers groupes ethno-religieux, les principales perdantes.

Rendre véritablement justice à Zhina ressemblerait à un véritable changement, inclusif et humain. Il faut que les divers groupes acceptent l’existence de chacun et reconnaissent les oppressions historiques systémiques et croisées. Les Kurdes ont toujours été privés de leur riche identité. Aujourd’hui encore, de nombreux “Iraniens” nient ou refusent de reconnaître le caractère kurde de Zhina ou le fait que son origine ethnique ait joué un rôle dans son meurtre. En tant que femmes kurdes, nous voulons que justice soit rendue à Zhina, mais nous rejetons toute idée d’attendre le bon moment, ou un futur mythique où l’Iran serait soudainement embrassé par les valeurs démocratiques avant que notre kurdité, et toute la douleur et la souffrance qui y sont associées, ne soient vues et traitées par des mouvements révolutionnaires. Reporter l’obtention de droits, qu’il s’agisse d’ethnicité ou de genre, de sexualité ou autre, à un futur lointain et vague s’est avéré être une marque d’échec des mouvements sociaux. Tirez les leçons de l’histoire ! La justice pour nous, femmes kurdes, la justice pour Zhina, doit impliquer notre kurdité ; tout ce qui la nie ou nous demande de la mettre de côté n’est pas digne de confiance pour nous.

Nous avons donné au monde “Jin, Jiyan, Azadi” ; et nous vous avons aussi donné le Rojava où les Kurdes, les Arabes, les Arméniens, les Assyriens et les Yézidis, entre autres, ont montré qu’ils pouvaient vivre ensemble dans la paix et le respect mutuel. Le confédéralisme démocratique nous a montré que le droit ne doit jamais être refusé et qu’il doit être donné maintenant et immédiatement. La reconnaissance de la diversité et le fait de ne pas craindre la mosaïque culturelle de nos anciennes sociétés nous enrichit, nous donne du pouvoir à tou.tes et, surtout, nous libère des pratiques de colonisation portées par le capitalisme, l’État et le patriarcat. Ensemble, nous sommes plus humain.es. Mon existence ne menace ni n’affaiblit la vôtre. Ensemble, nous sommes plus riches, plus fort.es et davantage capables de fonder les sociétés progressistes pour lesquelles nous nous battons !

Jin, Jiyan, Azadi” est un slogan kurde créé dans la lutte menées depuis 40 ans par des femmes kurdes révolutionnaires. 40 ans de terreur, de violence, de prison, de torture, d’exécutions, de décapitations, de violences sexuelles, de faim et de disparitions. Pour la seule raison d’avoir été des femmes kurdes. Des décennies de résistance contre les oppressions patriarcales, fascistes et étatistes. Des décennies de cris inaudibles de douleur et de souffrance. C’était le cri de Sakine Cansciz lorsqu’on lui a coupé les seins dans une prison turque. Des décennies de violence sexiste ciblée contre nous, contre nos femmes kurdes ; beaucoup d’entre elles ont pris des armes et ont choisi de vivre dans les montagnes pour une révolution qui est toujours en cours.

Nous, les Kurdes, sommes un peuple profondément hospitalier et ouvert. Nous partagerons nos slogans, nos idéologies et nos aspirations révolutionnaires. Mais pas au prix du sang, de la douleur et de la souffrance de nos femmes kurdes. Nous ne vendrons pas leur sang précieux et sacré, leur noble sacrifice à vos mouvements.

Vous utilisez “Jin, Jiyan, Azadi” mais vous ne savez pas ce qu’est le Rojava ni où il se trouve. Vous ne vous êtes pas souciés du courage et du sacrifice des combattants des YPJ qui ont vaincu Daesh. Vous ne vous souciez pas du fait que le confédéralisme démocratique est la solution à vos problèmes politiques et vous souhaitez juste éliminer un groupe de vieux barbus religieux avec simplement plus d’hommes. Vous ne vous souciez pas de Zaynab Jalali, qu’on assassine quotidiennement dans une prison iranienne depuis plus de dix ans. Vous êtes restés silencieux lorsque Zahra Muhamadi a été arrêtée et condamnée à dix ans de prison pour avoir enseigné sa langue maternelle à des enfants kurdes. Vous êtes silencieux lorsque les Kurdes sont systématiquement le groupe le plus important en Iran à être suspendu aux chevrons de vos machines lourdes dans le centre de vos villes comme un spectacle macabre.

Utilisez “Jin, Jiyan, Azadi” mais appelez-la Zhina. Appelez-la kurde. Voyez le travail, l’amour, le sang et le labeur de milliers de femmes kurdes qui se tiennent derrière elle. Tout aussi important, reconnaissez les autres minorités opprimées et disposées avec lesquelles vous vivez. Voyez la lutte des femmes baloutches en ce moment. Voyez-vous ce qu’elles traversent ?

Les mouvements révolutionnaires ne s’approprient pas. Ils créent, donnent naissance et ajoutent à la pléthore déjà existante de pratiques et d’idéologies révolutionnaires. Les mouvements révolutionnaires ne s’approprient pas le cri de ceux qui sont déjà opprimés. Les mouvements révolutionnaires ne recolonisent pas les personnes déjà colonisées, les personnes déjà dépossédées, les personnes déjà réduites au silence et assassinées.

Utilisez “Jin, Jiyan, Azadi” mais seulement si vous l’appelez Zhina et seulement si vous la reconnaissez kurde.