Retirer le PKK de la liste des organisations terroristes fera progresser une solution politique

Juil 9, 2022A la une, Actualités

En mai 2022, une procédure judiciaire a été engagée en Allemagne pour lever l’interdiction du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), considéré hors-la-loi dans le pays depuis 1993. C’est la troisième procédure judiciaire ouverte en Europe qui pourrait mettre fin à la désignation du PKK comme organisation terroriste. Mais à quoi servent les outils judiciaires pour s’attaquer à une désignation qui, au départ, était politique ? Analyse de la journaliste Fréderike Geerdink parue le 31 mai 2022 sur le site du Kurdish Peace Institute.

Les communautés kurdes de la diaspora en Europe et leur soutien à la lutte du PKK pour les droits et l’autonomie des Kurdes font la une des journaux, alors que la Turquie a récemment demandé à la Suède et à la Finlande de mettre fin à leur soutien présumé aux « terroristes » afin d’obtenir le feu vert de la Turquie pour son adhésion à l’OTAN. Mais la désignation du PKK comme organisation terroriste est en train de vaciller. Des avocats de différents pays la remettent en question pour des raisons juridiques et leurs arguments sont solides. Trois affaires judiciaires sont importantes à mentionner : l’une en Belgique, l’autre devant la Cour européenne de justice, et la plus récente en Allemagne, pays qui abrite la plus grande communauté kurde d’Europe et où les interdictions sont les plus strictes sur l’activisme kurde. L’interdiction du PKK s’est étendue au fil des ans pour criminaliser des actions aussi simples que la détention d’un drapeau du PKK ou d’une photo du fondateur et leader du PKK, Abdullah Öcalan, et a conduit à des raids sur des institutions comme les maisons d’édition et les centres communautaires kurdes. 

 L’affaire allemande

L’affaire allemande, déposée le 10 mai, vise à mettre fin à l’interdiction du PKK imposée en 1993. L’organisation a été interdite à l’époque parce que, selon le ministère allemand de l’Intérieur, elle incitait à l’hostilité entre différents groupes de population et constituait une menace pour l’intégrité territoriale de la Turquie. Deux rapports commandés par l’équipe juridique montrent que ces circonstances ont changé depuis longtemps. Pour des raisons judiciaires, ces rapports, rédigés par un criminologue et un sociologue, n’ont pas encore été rendus publics, a déclaré Mahmut Şakar, autrefois avocat d’Abdullah Öcalan et aujourd’hui conseiller de l’équipe judiciaire allemande. Il a donné un aperçu de ces rapports.

Le criminologue a comparé les données des agences de renseignement allemandes de la période 1993-1994 aux données de la période 2020-2021, et a constaté que les crimes attribués au PKK en Allemagne ont diminué de deux tiers. Les crimes restants sont tous liés à l’interdiction de l’organisation, et cesseraient d’être des crimes si celle-ci était levée.

Le rapport du sociologue explique les changements que le PKK a connu depuis son interdiction en Allemagne, notamment son changement de paradigme à la fin des années 1990. Notamment, le PKK ne se bat plus pour un État-nation, mais cherche plutôt à mettre en œuvre le confédéralisme démocratique – un système de démocratie décentralisée qui garantit l’égalité des droits pour les femmes et pour toutes les communautés ethniques et religieuses. Dans l’ensemble, les rapports montrent que les changements qu’a connu le PKK depuis son interdiction rendent l’interdiction allemande non fondée.

En mars, le Comité des affaires étrangères du PKK a publié une déclaration affirmant que, maintenant que l’ère d’Angela Merkel est terminée et qu’une nouvelle coalition gouverne l’Allemagne, une « nouvelle page » doit être ouverte dans l’approche de l’Allemagne envers les Kurdes. Le Comité souligne que le mouvement kurde dans son ensemble aspire à la fraternité entre les peuples (le cœur du confédéralisme démocratique) et que le PKK n’approuve pas le recours à la violence ou à des pratiques illégales en Europe. Il attend du nouveau gouvernement allemand qu’il contribue à tourner une « nouvelle page » – surtout en levant l’interdiction du mouvement.

En ce qui concerne les prochaines étapes de l’affaire, les autorités allemandes doivent publier une réaction écrite à la demande des avocats. Un porte-parole du gouvernement a déjà déclaré que le PKK resterait inscrit sur la liste. La réponse écrite sera ensuite utilisée pour faire avancer la procédure judiciaire.

Le PKK vise en effet à changer fondamentalement l’État. Mais cet objectif, selon les avocats de l’affaire, ne peut être dissocié des caractéristiques de l’État et du gouvernement particuliers contre lesquels le PKK se bat.

 L’affaire de la Cour européenne de justice

L’affaire devant la Cour européenne de justice a été initiée par le PKK en 2014 afin de combattre l’inscription du groupe sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne. Le PKK a fait valoir que les arguments utilisés pour renouveler l’inscription tous les six mois, comme l’exige la procédure, n’étaient pas solides. Ils ont obtenu gain de cause en 2018, mais le Conseil de l’Union européenne a fait appel. En 2021, la Cour de justice a ordonné un nouveau procès.

Dans l’intervalle, le PKK a entamé une nouvelle procédure judiciaire. Après l’arrêt de 2018, l’UE a continué à désigner le PKK tous les six mois en se fondant sur les mêmes arguments que ceux qu’elle avait utilisés auparavant – qui ont été jugés insuffisants dans l’affaire de 2018. La nouvelle affaire a porté sur les inscriptions en 2019 et 2020. Ces deux affaires ont été fusionnées par le tribunal.

Les avocats du PKK font valoir que, pour qu’une organisation soit désignée comme un groupe terroriste, sa nature terroriste doit être prouvée. L’une des caractéristiques du terrorisme est le fait de cibler intentionnellement des civils dans des attaques – ce que le PKK n’a pas fait depuis des décennies. Les attaques contre des cibles militaires sont, selon le PKK, légitimes dans un conflit armé. Dans la plupart des définitions du terrorisme, « générer un climat général de peur dans la population » est un élément important. Le PKK s’engage-t-il dans ce type d’activité – par exemple, en perpétrant une brutalité systématique contre des groupes ethniques et religieux entiers, comme l’a fait Daech ? Les avocats du PKK affirment que non.

 

Une autre composante du terrorisme est l’objectif politique de déstabilisation de l’État. Le PKK vise en effet à changer fondamentalement l’État. Mais cet objectif, selon les avocats de l’affaire, ne peut être dissocié des caractéristiques de l’État et du gouvernement particuliers contre lesquels le PKK se bat. La Turquie a supprimé les droits politiques, culturels et sociaux des Kurdes pendant des décennies, violant ainsi le droit international. La Déclaration universelle des droits humains stipule dans son préambule qu’il est « essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour ne pas contraindre l’homme à recourir, en dernier ressort, à la rébellion contre la tyrannie et l’oppression ».

Un arrêt est attendu après cet été. Les avocats espèrent que la Cour de justice décidera que le Conseil de l’Union européenne doit à nouveau présenter des arguments plus convaincants pour ajouter le PKK à la liste des organisations terroristes tous les six mois. Un avocat impliqué dans l’affaire a également déclaré précédemment que la législation utilisée par le Conseil de l’UE, qui a été introduite à la hâte après le 11 septembre, devra finalement être évaluée sur ses mérites juridiques.

 L’affaire Belge

La seule affaire judiciaire ayant fait l’objet d’une décision définitive est la désormais célèbre « affaire belge », qui s’est conclue en 2020. La loi belge stipule qu’une partie impliquée dans un conflit armé ne peut pas être en même temps une organisation terroriste : les deux catégories s’excluent mutuellement. L’équipe juridique du PKK a donc fait valoir que la guerre entre l’État turc et le PKK présentait toutes les caractéristiques d’un « conflit armé non international » (NIAC) – les deux plus importantes étant l’intensité et la durée du conflit ainsi que la complexité organisationnelle et la hiérarchie de la partie non étatique.

Le PKK a gagné à tous les niveaux, y compris au plus haut tribunal de Belgique. Néanmoins, l’État belge a refusé de reconnaître le jugement, déclarant que la décision de la cour n’était que « l’expression du pouvoir judiciaire, qui est strictement indépendant, et doit être compris comme tel par tous les acteurs. » Philippe Goffin, le ministre belge des Affaires étrangères et de la Défense de l’époque, a ajouté que « la Belgique continuera donc à défendre le placement du PKK sur la liste européenne des personnes, groupes et entités qui sont impliqués dans des actes terroristes. »

La réaction des autorités belges met en évidence la faiblesse de l’approche judiciaire : le PKK n’a pas été inscrit ou interdit pour des raisons judiciaires ou de sécurité, mais pour des raisons politiques. En fin de compte, un changement politique est nécessaire – et c’est exactement ce que les affaires judiciaires veulent souligner.

Si le PKK était une organisation terroriste, il devrait être éradiqué. S’il s’agit d’une partie non étatique à un accord d’association nationale, les racines politiques du problème doivent être résolues. Les résultats de ces affaires judiciaires constituent un outil important pour faire pression sur les politiciens européens afin qu’ils exigent que la Turquie retourne à la table des négociations, s’assoie avec le PKK et résolvent la question kurde en reconnaissant pleinement les droits sociaux, politiques et culturels des Kurdes.

Pour l’instant, les politiciens européens n’ont pas répondu. La Belgique ignore carrément la décision de sa plus haute cour. Pourtant, avec chaque nouvelle affaire et chaque décision positive pour le PKK, la pression augmente – avec des implications positives pour une fin de la guerre qui est impérative.