Şengal : construire l’autonomie démocratique dans une région contestée
La population êzidie de Şengal (Sinjar en arabe) a été victime de massacres et de génocides à plusieurs reprises par le passé. Dernièrement, en 2014, le soi-disant État islamique (Daech) a perpétré un génocide dans la région, qui constitue l’une des dernières zones de peuplement traditionnelles de cette minorité ethnique et religieuse. Il s’est toutefois heurté à une résistance inattendue, grâce à laquelle de vastes zones des montagnes du Şengal n’ont jamais été prises. De cette expérience d’autodéfense, les survivant·e·s ont tiré la force de mettre en place des structures politiques et militaires autogérées.
Traduction d’un article de Marlene Förster paru sur Kurdistan report en juillet 2022.
Depuis maintenant huit ans, la population de Şengal, une petite région du nord de l’Irak, a commencé à mettre en place son administration démocratique autonome. Son noyau est constitué de communes et de conseils démocratiques de base qui couvrent tous les domaines de la vie : des questions de sécurité aux soins de santé, en passant par l’éducation et l’organisation des femmes. L’organe suprarégional le plus important pour exprimer la volonté de la population est le Conseil d’autonomie démocratique de Şengal (MXDŞ, Meclîsa Xweseriya Demokratîk a Şengalê). Sa commission exécutive est responsable de la mise en œuvre pratique des décisions qui y sont prises. Ce système s’inspire du confédéralisme démocratique d’Abdullah Öcalan, le chef de file du mouvement de libération du Kurdistan. En partant de la communauté êzîdie, l’administration autonome vise l’organisation collective de tous les habitants du Şengal, traditionnellement multiethnique et multireligieuse. L’objectif principal déclaré est le retour et la cohabitation pacifique de toutes celles et ceux qui n’ont pas soutenu les crimes de Daech.
Le présent article décrit les principaux développements politiques dans la région depuis la chute du régime de Saddam Hussein en Irak en 2003. Il met en particulier en lumière les processus autour de l’administration autonome du Şengal, en interaction avec les pressions et influences massives exercées par les forces régionales et internationales : en effet, en raison de la position stratégique de Şengal, proche de la frontière avec la Syrie, la Turquie et l’Irak, de nombreux acteurs tentent de modeler la région selon leurs intérêts.
Şengal sous administration du PDK : 2003-2014
Lors de la soi-disant troisième guerre du Golfe, le gouvernement irakien sous Saddam Hussein a perdu en 2003 contre la “coalition des volontaires” dirigée par les États-Unis. Le Şengal est alors tombé sous l’influence politique du gouvernement régional du Kurdistan (GRK) dans le nord de l’Irak, notamment du Parti démocratique du Kurdistan (Partiya Demokrata Kurdistanê – PDK). Le contrôle militaire n’a toutefois pas été entièrement transféré aux unités Pêşmerga subordonnées au GRK. L’armée régulière irakienne a continué à maintenir une présence dans la région. Dans un premier temps, de nombreux êzidis ont accueilli favorablement la nouvelle administration du PDK, car des liens historiques avaient existé à travers des luttes révolutionnaires communes, notamment jusqu’en 1975.
Mais contrairement à ces attentes positives, la situation des êzidis de Şengal s’est détériorée au cours des années suivantes. Le secteur de la santé ainsi que les infrastructures telles que l’approvisionnement en électricité et en eau ont été fortement négligés par l’État. De plus, les milieux proches du PDK ont mené des campagnes dénonçant les êzidis comme des infidèles. Les aliments proposés par les êzidis ont été déclarés “haram”, c’est-à-dire qu’ils étaient désormais interdits aux musulmans. Les êzidis , traditionnellement actifs dans l’agriculture et l’élevage, ont ainsi été privés de leur principale source de revenus. Le chômage a augmenté, aggravé par le manque d’accès à l’enseignement supérieur. Les relations entre la population êzidie et le PDK se sont détériorées et une attitude de rejet s’est progressivement installée.
Les milieux proches du PDK ont mené des campagnes dénonçant les êzidis comme des infidèles.
L’attentat au camion-citerne du 14 août 2007 dans les villages êzidis de Til Ezer et Sîba Şêx Xidir a constitué un autre grand trauma. Près de 800 personnes ont perdu la vie dans les explosions provoquées par un camion-citerne et trois autres véhicules chargés d’explosifs, et de nombreuses autres ont été blessées ou portées disparues. Aucun groupe n’a activement revendiqué l’acte, mais les motifs djihadistes sont évidents. Après cet évènement, considéré comme le quatrième acte terroriste le plus meurtrier de l’histoire mondiale, les accusations selon lesquelles les forces de l’État ne s’occupaient pas suffisamment de la protection des êzidis se sont multipliées. Les premières discussions sur la création d’unités de protection propres aux êzidis ont germé, mais n’ont pas abouti à un développement majeur.
Le génocide de 2014
Jusqu’en juin 2014, le contrôle militaire de la région de Şengal a été assuré par les forces tant du GRK que du gouvernement fédéral irakien. Après que la ville de Mossoul soit tombée aux mains de Daech le 10 juin, l’armée irakienne s’est retirée du Şengal en direction du sud, laissant derrière elle des armes et du matériel militaire. En réaction, les Pêşmerga du PDK se sont installés dans les positions libérées. Ils se sont emparés des moyens de combat laissés derrière eux, brièvement appropriés par la population locale, en promettant de défendre la région contre Daech.
Lorsque ce dernier a attaqué la région dans la nuit du 3 août, les Pêşmerga se sont retirés sans combattre à Hewlêr (Erbil), avec les armes confisquées, laissant la population à la merci de l’agresseur. Les Êzîdis tombés aux mains de Daech ont été victimes d’exécutions de masse, de viols et de mise en esclavage. Le nombre de morts est estimé par différentes sources entre 5 000 et 10 000. Jusqu’à présent, 81 fosses communes ont pu être localisées dans la région dont seulement une partie a été ouverte à ce jour. Environ 7 000 femmes ont été emmenées en esclavage ; certaines d’entre elles sont toujours détenues par des partisans de Daech dans d’autres pays. Entre 2 700 et 2 800 personnes sont toujours portées disparues.
Malgré un armement sommaire, une résistance acharnée a été menée pendant des heures par les habitants de plusieurs villages êzidis, en particulier Gir Zerik et Sîba Şêx Xidir. Des milliers de personnes ont ainsi pu fuir. Environ 50 000 personnes ont réussi à se sauver et se mettre sous la protections des montagnes du Şengal malgré la chaleur et les privations d’eau et de nourriture. Elles ont continué à être défendues par la population êzidie armée et une poignée de combattants des Forces de défense du peuple (HPG), la guérilla du PKK. Le 6 août, des renforts de combattants des Unités de défense du peuple et des femmes (YPG/YPJ) sont arrivés du Rojava. Soutenues par les frappes aériennes de la coalition internationale anti-EI, ces forces ont réussi à ouvrir une voie de fuite vers le nord-est de la Syrie du 9 au 11 août, permettant à environ 35 000 personnes de fuir. Environ 15 000 êzidis sont restés dans leurs montagnes pour poursuivre la résistance.
Organisation de l’auto-défense
Grâce à l’expérience du PKK/HPG et des YPG/YPJ, les unités d’autodéfense êzîdies naissantes dans les montagnes du Şengal ont pu être mieux organisées. C’est ainsi que les unités de résistance de Şengal (YBŞ, Yekîneyên Berxwedana Şengalê) ont pu être créées après quelques jours. Les structures militaires associées, composées exclusivement de femmes, ont d’abord été appelées YPJ-Şengal, unités de défense des femmes Şengal, selon le modèle du Rojava. Elles ont toutefois changé de nom par la suite pour devenir les Unités des femmes de Şengal (YJŞ, Yekîneyên Jinên Şengalê).
D’autres groupes de combattants sont restés autonomes et ont rejoint plus tard les Hachd al-Chaabi, une organisation parapluie regroupant différents acteurs opposés à Daech, sans autre programme politique cohérent. Alors que les Hachd al-Chaabi ont été fondés sous l’impulsion de l’ayatollah chiite al-Sistani et sont largement associés dans leur ensemble à l’Iran, également marqué par le chiisme, cela ne se reflète que très partiellement dans leur présence en Şengal. La plus grande partie des groupes de Şengal qui y sont intégrés est composée de populations d’origine êzidie. Formellement, les YBŞ/YJŞ sont également rattachés aux Hachd al-Chaabi depuis 2017 et constituent ainsi leur 80e régiment (appelé “foc”). Les relations avec les autres régiments Hachd al-Chaabi sont bonnes, mais l’autorité sur YBŞ/YJŞ reste de facto entre les mains de leur propre commandement.
Grâce à l’expérience du PKK/HPG et des YPG/YPJ, les unités d’autodéfense êzîdies naissantes dans les montagnes du Şengal ont pu être mieux organisées.
Depuis leurs débuts déjà, la spécificité des YBŞ/YJŞ par rapport aux armées d’État s’exprime avant tout par leur haute exigence idéologique. Les YBŞ/YJŞ se réfèrent aux idées du confédéralisme démocratique et au concept d’autodéfense légitime d’une société qui y est associé. Ils se conçoivent comme un moyen de mettre en œuvre la protection de leur population conformément à sa volonté et sont rattachés pour cela à l’organe politique du Conseil démocratique autonome de Şengal (MXDŞ). Afin de prévenir les abus de pouvoir dans leurs propres rangs, une réflexion de critique et d’autocritique constantes sont menées au sein de ces unités militaires ; la critique et l’autocritique sont considérées comme une valeur centrale. Un conseil de direction de 50 personnes et un commandement de 15 personnes sont élus lors d’une conférence spécifique, à laquelle toutes les unités envoient des délégués élus. Bien entendu, comme tous les membres, les dirigeants font l’objet de critiques concernant leur travail et leur comportement. En cas de problèmes récurrents ou d’erreurs graves, une commission est créée qui peut décider des conséquences. Il est par exemple possible d’obliger les personnes concernées à participer à des formations spéciales ou de révoquer des cadres en cas de faute particulièrement grave.
Un autre principe idéologique central est la libération et la volonté propre des femmes. Dans les YJŞ, les femmes s’organisent pour cela en unités autonomes et avec leur propre commandement.
Le début de l’administration démocratique autonome
Mais la défense militaire contre Daech n’était pas le seul défi dans les montagnes du Şengal. L’approvisionnement en denrées alimentaires de première nécessité, l’accès à l’aide médicale, la construction d’abris et la résolution des conflits sociaux constituaient d’autres problèmes. Au fil du temps, des structures plus solides se sont développées à partir de réponses provisoires à ces questions. En janvier 2015, celles-ci ont été regroupées à des fins de coordination dans un « Conseil de construction du Şengal » (Meclîsa Avaker a Şengalê), dans le but de réaliser une administration autonome du Şengal. Lors de la deuxième conférence en mai 2017, ce conseil a évalué ses progrès et a changé son nom en MXDŞ, c’est-à-dire « Conseil autonome démocratique de Şengal ».
Aujourd’hui, 11 conseils populaires locaux de certains villages ou villes sont représentés dans ce conseil. Un système de quotas garantit la représentation des femmes et des communautés religieuses telles que les chiites et les chrétiens. En outre, des organisations de femmes (le mouvement Êzîdxan pour la liberté des femmes TAJÊ) et de jeunes (l’Union de la jeunesse êzidie YCÊ) participent au MXDŞ. Ils veillent à ce que leurs perspectives respectives soient prises en compte. Les femmes et les jeunes prennent par ailleurs leurs décisions de manière autonome, qui ne sont soumises à celles du Conseil.
En raison de l’évolution des besoins de la population, plusieurs institutions ont été créées autour du conseil de construction ou, plus tard, du MXDŞ, qui sont responsables de certains domaines et dépendent du conseil pour leur prise de décision. Elles traitent des thèmes de la santé physique et psychique, de l’éducation et de la scolarisation sensibles à la culture, de la prise en charge des familles de soldats tombés au combat, de la représentation des structures claniques et des religieux êzidis, ainsi que des travaux communautaires tels que la construction de routes, la collecte des déchets et l’accès à l’électricité et à l’eau. Pour la sécurité intérieure et l’élimination des conflits sociaux, les “Asayîşa Êzîdxanê” ont été créées.
Aujourd’hui, 11 conseils populaires locaux de certains villages ou villes sont représentés dans ce conseil. Un système de quotas garantit la représentation des femmes et des communautés religieuses telles que les chiites et les chrétiens.
La participation au MXDŞ est ouverte à toutes les organisations actives au Şengal. Il existe ainsi d’autres structures qui coordonnent une partie de leurs travaux au sein du MXDŞ, mais qui ont conservé leur propre autonomie de décision sur certains points. Actuellement, elles comprennent, outre YBŞ/YJŞ – qui sont les seuls à ne pas se concerter au sein du conseil sur certains secrets militaires liés à la sécurité -, le Mouvement pour l’art et la culture et le parti parlementaire PADÊ. La presse participe aux réunions afin de pouvoir rendre compte de la situation de la liberté de la presse à Şengal et de rester informées des développements au sein de l’administration autonome.
Domaines d’action du PDK et du gouvernement irakien au Şengal
Formellement, la région est aujourd’hui encore placée sous une administration dominée par le PDK. Après avoir pris la fuite devant Daech en 2014, l’administration est revenue dans la région en novembre 2015 avec un nouveau gouverneur, Mahma Xelîl. Malgré le rattachement au système de gouvernance du gouvernement irakien à Bagdad, la plupart des fonctions ont été occupées par des politiciens du PDK. Des sources locales rapportent que l’administration n’a pas mis en œuvre de travaux pratiques, en particulier après le génocide, et que son existence est donc tout au plus une formalité. En mars 2017, les Roj-Pêşmerga, une branche syro-kurde des Pêşmerga, ont tenté d’imposer leur propre présence militaire dans la ville de Xanêsor, contrôlée depuis 2014 par les YBŞ/YJŞ et les HPG. Des protestations de la société civile et des affrontements armés ont eu lieu. Les Pêşmerga ont utilisé à cette occasion des armes allemandes contre la population êzîdie telles que des véhicules blindés ATF-Dingo et des fusils d’assaut G36, qui leur avaient été confiés pour lutter contre Daech. Plusieurs personnes, dont la jeune Nazê Nayif qui participait à une manifestation ainsi que la journaliste Nûjiyan Erhan, ont été tuées et de nombreuses autres blessées.
Suite à des conflits politiques entre le GRK et le gouvernement fédéral irakien, l’armée irakienne a rétabli un certain contrôle sur la région à partir du 17 octobre 2017, chassant au passage les Pêşmerga. Depuis, le gouvernement officiel de Şengal, dirigé par le PDK, a son siège dans la région voisine de Duhok, sans accès à la zone d’action qui lui est formellement attribuée. Les tentatives de retour ont échoué non seulement à cause des forces militaires, mais surtout à cause des blocages de la société civile, sous forme de sit-in par exemple. Un éventuel retour du PDK-Pêşmerga est exclu par de larges parties de la population de Şengal, car leur capitulation devant Daech est perçue jusqu’à aujourd’hui comme une rupture de confiance et une trahison profondément ancrées. L’influence du PDK à Şengal se limite aujourd’hui au fonctionnement d’environ un tiers des écoles existantes, dont les enseignant·e·s ne reçoivent toutefois souvent pas leur salaire [à l’image du traitement des enseignant·e·s au sein du GRK]. En outre, de nombreuses organisations non gouvernementales collaborent avec le PDK.
Le gouvernement fédéral irakien tente, en particulier depuis la victoire sur Daech, de renforcer son influence à Şengal. Dans le statu quo militaire actuel, il a déployé environ 5 000 à 7 000 soldats de l’armée irakienne et 3 000 policiers dans la région. Au niveau civil, il gère la majorité des écoles et deux hôpitaux. Il fournit en outre une partie de l’approvisionnement en eau et en électricité et est active dans le domaine de la construction de routes.
L’accord de Şengal
Avec la mise en place des YBŞ/YJŞ, l’administration démocratique autonome et la présence d’autres régiments du Hachd al-Chaabi, différentes puissances revendiquent désormais la région. Tant le gouvernement fédéral irakien à Bagdad que le GRK à Hewlêr sont affaiblis par ces développements. Pour cette raison, et avec la participation des Nations unies, les deux forces se sont mises d’accord lors de négociations en octobre 2020 sur ce que l’on appelle « l’accord de Şengal ». On peut également supposer une influence diplomatique de l’État turc. L’accord a pour objectif déclaré d’assurer une situation sécuritaire stable et le retour des personnes ayant fui le génocide et se trouvant encore dans des camps. Pour ce faire, il prévoit notamment la dissolution ou le retrait de toutes les forces armées à l’exception de l’armée et de la police irakiennes, et la nomination de 2 500 nouveaux membres des forces de sécurité. Un autre point demande la fin de la présence du PKK. Cependant, étant donné que les derniers membres du HPG [guérilla du PKK] ont quitté la région en 2018, il n’est pas clair dans quelle mesure des structures idéologiquement proches comme le MXDŞ pourraient être également concernées par cette mesure. Pour l’administration politique, l’accord prévoit à nouveau un gouverneur du GRK, ce qui, dans la pratique, conduit inévitablement à une administration du PDK.
Un éventuel retour du PDK-Pêşmerga est exclu par de larges parties de la population de Şengal, car leur capitulation devant Daech est perçue jusqu’à aujourd’hui comme une rupture de confiance et une trahison profondément ancrées.
L’accord de Şengal, dans sa forme actuelle, est rejeté non seulement dans les milieux de l’administration autonome du Şengal, mais aussi du côté des organisations non gouvernementales êzidies et d’une large partie de la population. La critique centrale et partagée est que les avis des habitants de Şengal eux-mêmes n’ont pas été recueillis et pris en compte. Il en a résulté des protestations massives et des résistances de différentes formes qui ont jusqu’à présent rendu impossible l’application de l’accord.
Les attaques aériennes turques
L’État turc poursuit également ses propres intérêts pour Şengal, liés à son imbrication diplomatique et économique avec le GRK/PDK tout comme à ses efforts géostratégiques pour gagner en influence dans la région. Son activité ne se limite pas à des actions indirectes par le biais de relations avec le PDK et de pressions diplomatiques sur le gouvernement irakien. Au contraire, la Turquie représente l’une des plus grandes menaces pour la sécurité et la stabilité de la région. Sous prétexte de lutter contre le PKK, les frappes aériennes d’avions de combat et de drones sur Şengal se sont multipliées depuis 2017. Les cibles concrètes sont le plus souvent des représentants et des installations du MXDŞ et des YBŞ/YJŞ. Des civils figurent également parmi les victimes. L’attaque d’un hôpital à Sikêniyê en août 2021, au cours de laquelle une femme médecin et du personnel soignant ont perdu la vie, mérite d’être soulignée ici. Depuis cette attaque, de nombreuses personnes ont peur de se rendre à l’hôpital. Une autre attaque a visé Merwan Bedel, coprésident de la commission exécutive du MXDŞ, qui a été assassiné le 7 décembre de la même année, une personnalité clé de longue date de l’administration autonome. En février 2022, trois travailleurs civils arabes sont morts dans des bombardements de plusieurs heures sur 22 cibles. Les drones qui tournent en rond font depuis longtemps partie du quotidien à Şengal et instaurent une ambiance de peur. En plus des attaques, la menace permanente a un effet négatif sur l’état psychologique de la population.
Développements à partir d’avril/mai 2022
Dans le cadre de l’accord de Şengal, les revendications, menaces et provocations de la part de l’armée irakienne se sont multipliées au cours de l’année et demie écoulée. La dernière série d’affrontements a commencé le 18 avril, lorsque les soldats irakiens ont tenté d’imposer par la force la remise de points contrôlés par les Asayîş dans le village de Dugure et la ville de Sinune. Des échanges de tirs ont eu lieu, au cours desquels des civils ont été blessés. Au cours des deux semaines suivantes, jusqu’au 2 mai, de brefs affrontements ont éclaté à plusieurs reprises, entrecoupés de trêves et de négociations diplomatiques. Entre-temps, l’armée irakienne a déployé trois divisions supplémentaires (environ 9 000 à 15 000 soldats) dans la région, ainsi que 100 véhicules blindés, de l’artillerie et des chars, mais les a ensuite retirés vers la frontière syrienne. Début mai, plusieurs milliers d’habitants de villages touchés par le conflit ont fui vers les montagnes du Şengal ou vers le territoire du GRK, mais la plupart sont revenus au bout de quelques jours. Au cours du mois, les négociations militaires entre les forces de l’administration autonome et l’armée irakienne se sont poursuivies. Jusqu’à présent, il n’y a pas eu de nouveaux combats.
Les peuples qui ont subi l’oppression et le génocide il y a moins d’une décennie en raison de la défaillance de la protection étatique et qui ont depuis pris conscience de leur propre capacité de défense, ont appris à se méfier des décisions étrangères.
Perspectives
L’aggravation dernière des conflits autour de Şengal ont clairement montré qu’un accord par le biais de négociations est inévitable. L’accord de Şengal sert à négocier les intérêts de différents acteurs étatiques – le gouvernement irakien, le GRK, mais aussi des États extérieurs comme la Turquie et ceux des Nations unies – qui ont généralement un point commun : le rejet d’une administration autonome de Şengal par sa population elle-même. Or, c’est précisément cela qui rend impossible la mise en œuvre de l’accord. En effet, les peuples qui ont subi l’oppression et le génocide il y a moins d’une décennie en raison de la défaillance de la protection étatique et qui ont depuis pris conscience de leur propre capacité de défense, ont appris à se méfier des décisions étrangères. Plusieurs milliers de combattants de YBŞ/YJŞ et de membres armés des Asayîş, soutenus par des manifestations et des protestations de la société civile, ne peuvent pas être exterminés par la force militaire brute. La paix durable réside donc dans la participation du peuple de Şengal. Jusqu’à ce que les États soient prêts à conclure les accords nécessaires, les Êzîdis et leurs voisins continueront à miser sur leur propre force et à enraciner leur organisation jusqu’à ce que leur volonté et leur autonomie soient également reconnues officiellement.