Suite à l’assassinat de nos camarades, plus que jamais manifestons le 7 janvier à Paris

Jan 5, 2023A la une, Actualités, Europe

Communiqué d’analyse et d’appel à la manifestation du 7 janvier 2023 de Serhildan, réseau internationaliste de solidarité avec la lutte et le processus révolutionnaire du Kurdistan.

Il fait suite à l’attentat du 23 décembre 2022 à Paris dans lequel Evîn Goyî, Mîr Perwer et Abdurrahman Kizil ont été assassinés, 10 ans presque jour pour jour après celui qui a coûté la vie à Sakine Cansiz, Fidan Dogan et Leyla Shaylemez le 9 janvier 2013.

Nous appelons la gauche française et internationale à développer des revendications qui soutiennent celles des organisations kurdes en France ainsi qu’à prendre en compte dans leurs analyses et actions le contexte politique et historique de la communauté kurde et de son mouvement révolutionnaire.

Photos de Maryam Ashrafi.

Il y a 10 ans, les trois militantes du mouvement des femmes kurdes Sakine Cansiz, Fidan Dogan et Leyla Shaylemez étaient assassinées à Paris. Sakine Cansiz, fondatrice du PKK était le symbole de la résistance des prisons face au fascisme turc mais aussi de la construction acharnée de l’autonomie des femmes au sein du mouvement de libération du Kurdistan. Fidan Dogan était la représentante du mouvement des femmes en France, connue de beaucoup, Leyla Shaylemez une militante active du mouvement des jeunes femmes.
10 ans après, il ne fait  aucun doute que leur assassinat était politique et qu’il a été commandité par l’Etat turc et ses services de renseignement. L’État français refuse pourtant toujours de lever le secret défense qui permettrait de juger les réels commanditaires.

Il faut se rappeler l’anti-propagande qui s’était déployée à l’époque, où pendant plusieurs semaines la thèse en circulation dans les médias, bien qu’immédiatement démentie par les organisations kurdes, était celle d’un “règlement de comptes interne à la communauté kurde”.

Il y a 10 jours, le 23 décembre, trois personnes ont été assassinées dans un attentat terroriste à Paris, par un homme venu au Centre culturel kurde Ahmet Kaya en possession de plusieurs dizaines de munitions à l’heure où devait se tenir une importante réunion de préparation de la manifestation du 7 janvier.

La procureure de la République et les médias ont très vite repris sans les remettre en question les paroles du tueur, passant d’une “haine des étrangers pathologique” (langage psychologique étrange dans la bouche d’un suspect) à la volonté de s’en “prendre aux Kurdes parce qu’ils ont emprisonné Daech au lieu de tous les tuer”. L’assassin  ne serait qu’un dérangé victime d’un cambriolage, l’attentat une “attaque raciste”, les Kurdes des malchanceux (l’homme serait d’abord allé à Saint-Denis à 6h30 du matin mais n’aurait pas vu assez de monde donc – hasard – il serait venu au centre kurde vers 11h) et circulez y’a rien à voir.

Les organisations kurdes ont tout de suite contesté cette version, insistant sur le lieu visé (l'”ambassade du Kurdistan” en France puis un coiffeur kurde sans signe distinctif – preuve d’une recherche préalable), le moment choisi (celui d’une réunion rassemblant de nombreuses responsables et militantes), l’incohérence des discours du meurtrier. Elles insistent notamment sur la nécessité d’investiguer le parcours de l’assassin en prison et de comprendre ce changement de cible.

Ce discours et ces questions sont aussi portés par les médias (comme L’Humanité), les journalistes spécialisés sur la Turquie (Guillaume Perrier, Pierre Barbancey…) ainsi que des personnalités et organisations politiques historiquement proches du mouvement kurde (Solidaires, PCF, NPA, UCL, Mélenchon,…). Celles et ceux qui, tout comme les organisations kurdes de tout bord politique, connaissent la faculté de la Turquie à frapper ses ennemis proclamés jusqu’en plein cœur Paris.

« [Les organisations kurdes] insistent notamment sur la nécessité d’investiguer le parcours de l’assassin en prison et de comprendre ce changement de cible. »

Si nous ne sommes pas surprises des discours des médias bourgeois, nous avons été étonné-e-s de voir beaucoup d’organisations et de militant-e-s politiques à gauche reprendre les mêmes mots et dénoncer l’attentat comme une attaque raciste sans prendre en compte le contexte spécifique de la lutte politique kurde. En allant même parfois jusqu’à émettre l’idée que les Kurdes seraient complotistes.

S’il est certain que le parcours de l’assassin est significatif de la montée des discours et violences d’extrême-droite, et qu’il est notamment nécessaire de dénoncer le traitement raciste par la justice de ses victimes de décembre 2021 à Bercy, le cadre d’analyse franco-centré ne peut pas toujours s’appliquer à des communautés qui mènent une lutte décoloniale sur leur territoire et en exil. Les spécificités de celle-ci et la détermination de leur plus grand ennemi, l’État turc, son appareil militaire et ses milices fascistes (comme les Loups Gris) à abattre le mouvement de libération du Kurdistan doivent être prises en compte.

Le PKK a développé une lutte d’une ampleur sans précédent en Turquie (qui est on le rappelle la deuxième armée de l’OTAN) et ce depuis la fin des années 70. La guérilla kurde est sûrement la force armée non-étatique la plus expérimentée aujourd’hui au Moyen-Orient et le plus grand mouvement antifasciste de la région. De fait, le mouvement des femmes kurdes dispose d’une idéologie, d’une organisation et d’une capacité d’auto-défense sans précédent dans l’histoire de la résistance des femmes. Pour cela, il est ciblé, comme les mouvements révolutionnaires avant lui, par le déploiement d’une stratégie de contre-insurrection, directement soutenue par l’OTAN. Cette stratégie a d’ailleurs été mise au point par la France lors de la guerre d’indépendance algérienne et s’est diffusée dans la deuxième moitié du 20ème siècle par le biais de manuels et de formations internes à l’OTAN. Elle implique notamment des tactiques de guerre psychologique, d’assassinats, de disparitions forcées, de mise en place d’une force armée de contre-guérilla, d’anti-propagande, de torture et d’attaques sous faux-drapeau qui ont toutes été utilisées au Kurdistan. Le moment le plus violent a sûrement été celui de la mise à feu de près de 4000 villages du Kurdistan du nord dans les années 90, dont celui d’Evîn Goyî, l’une des victimes de l’attentat du 23 décembre 2022. Si les mouvements politiques contemporains en Europe n’ont pas vécu ce type de répression d’État, les Kurdes, elles, l’ont expérimenté dans leur chair. La capacité de la Turquie à traquer ses opposants jusqu’en exil par la constitution de réseaux clandestins a aussi été largement documentée (notamment dans les travaux de Laure Marchand et Guillaume Perrier).

« Il est aujourd’hui nécessaire que la gauche française et internationale écoute et relaie les questions légitimes posées par les organisations kurdes en France, en tenant compte du contexte politique international et historique particulier du peuple kurde et de son mouvement révolutionnaire. »

Mais au-delà de la compréhension du contexte historique kurde, un autre élément est resté majoritairement impensé par les médias : bien que les Kurdes soient régulièrement victimes de violences et discriminations racistes de part leur catégorisation en tant qu’étranger-es, musulman-e et/ou racisé-es en France, la communauté kurde est rarement stigmatisée en tant que telle. Elle bénéficie même plutôt d’un large soutien (et parfois même de sympathies de l’extrême-droite islamophobe), notamment pour son combat contre Daech. Le reste du temps l’identité kurde est noyée par la colonisation – les Kurdes deviennent des turcs, syriens, iraniens ou irakiens – et beaucoup la cachent. En effet, plusieurs Kurdes l’ont rappelé auprès de la presse : en France, le racisme spécifiquement anti-kurde existe bel et bien, il est très violent. Seulement, il est le fait des nationalistes turcs, qui s’en prennent plus largement à toutes les communautés minoritaires de leur espace national. Ainsi, en octobre 2020, en pleine guerre du Haut-Karabagh, des sympathisants du mouvement des Loups Gris écumaient la banlieue de Lyon où vivent beaucoup d’arménien-ne-s aux cris de “Vous êtes où les Arméniens ? On est chez vous bande de fils de putes”. Le 25 décembre 2022, un homme turc a poignardé un coiffeur kurde parce qu’il écoutait de la musique kurde. Ces derniers jours, les témoignages de Kurdes victimes de menaces de mort et de violence sur les réseaux sociaux affluent en nombre. Ce constat permet de questionner l’explication d’un crime xénophobe d’extrême-droite visant spécifiquement la communauté kurde en France.

Pour nous, il est aujourd’hui nécessaire que la gauche française et internationale écoute et relaie les questions légitimes posées par les organisations kurdes en France, en tenant compte du contexte politique international et historique particulier du peuple kurde et de son mouvement révolutionnaire. Les Kurdes ne sont pas émotionnels et complotistes, ils et elles disposent d’une formation politique forgée par l’expérience et posent des questions plus que logiques face à des faits et des premiers éléments d’enquête très troubles. La reprise mot pour mot du discours incohérent du suspect par le parquet est un véritable motif de crainte quant à la poursuite d’une enquête effective et approfondie.

Pour cela, nous appelons à déferler à Paris le 7 janvier pour réclamer Vérité et justice et à s’unir dans les prochains temps autour des revendications suivantes :

– Qualification de « terroriste » pour l’attentat du 23 décembre

Il est maintenant établi que la décision de ne pas qualifier l’attentat de “terroriste” et de ne pas saisir le parquet anti-terroriste (Pnat) est une décision politique venant de l’exécutif, comme cela a été déploré par plusieurs magistrats et avocats. La France, encore une fois, préfère son alliance avec la Turquie – encore renforcée suite au dernier sommet de l’OTAN – à la possibilité de la justice.

N’importe quelle autre attaque du même type aurait mené à qualification terroriste. Si dans ce cas, la raison est avant tout géopolitique, la justice française est aussi connue pour ses biais racistes : la justification d’actes terroriste au travers de “problèmes psychologiques” est devenu courante en ce qui concerne les actes de violences commis par des personnes blanches et à fortiori l’extrême-droite.

– Levée du secret-défense et jugement des commanditaires de l’assassinat des trois militantes kurdes le 9 janvier 2013

Le 25 novembre, nous manifestions avec les portraits de femmes victimes d’assassinats politiques. Au côté de ceux de Sakine Cansiz, Fidan Dogan et Leyla Shaylemez se trouvait aussi celui de Dulcie September, la militante anti-apartheid sud-africaine assassinée en 1988 à Paris. Le 14 décembre 2022, la justice française refusait de réouvrir l’enquête sur son assassinat. Le muselage de la justice par l’exécutif pour occulter son propre rôle ou protéger ses alliances étatiques doit cesser et toute la lumière doit être faite sur les circonstances de l’assassinat du 9 janvier 2013.

– Le statut de réfugié-e politique pour les Kurdes et toutes les forces progressistes visées par la répression en Turquie

Evîn Goyî (Emine Kara) n’avait pas obtenu l’asile, l’OFPRA puis la CNDA prétextant un récit “confus, peu circonstancié et peu personnalisé”. De fait, Evîn avait caché sa participation à la guérilla puis aux YPJ, parce que l’OFPRA semble refuser régulièrement l’asile aux personnes qui pourraient avoir participé à la lutte armée de libération au Kurdistan. La France est un des pays de l’UE qui présente les plus mauvais taux d’acceptation des demandes venues de Turquie (14% pour les majeurs, 17% pour les mineurs) alors que cette demande est la deuxième cette année en France derrière l’Afghanistan et que les Kurdes y sont sur-représenté-es. Le gouvernement a aussi, en juillet, mis en place un visa de transit aéroportuaire qui prévient les personnes de demander l’asile à l’occasion d’un transit vers un pays qui ne demande pas de visa préalable. Cela renvoie toutes les personnes fuyant le fascisme grandissant en Turquie vers des routes d’exil mortelles.
Cette revendication a été portée cette semaine par la CGT, elle doit devenir une revendication forte de toutes les organisations, à l’heure où les élections à venir en Turquie annoncent une vague de répression de grande ampleur.

– Retrait du PKK de la liste des organisations terroristes de l’Union Européenne

C’est le soupçon de “participation à une organisation terroriste” qui permet l’exclusion du droit d’asile d’un ensemble de personnes. La justice belge a pourtant qualifié le PKK de “force armée non étatique” impliquée dans un conflit armé “non international” dans plusieurs procès ces dernières années. Le retrait de la liste est essentiel pour garantir le droit d’asile mais aussi la possibilité du militantisme kurde en exil.

– Arrêt de la criminalisation et de la répression contre les organisations politiques kurdes en France et la libération de tous les prisonniers

Les opérations de police contre les organisations et la communauté kurde dans son ensemble ne sont pas rares en France. Un exemple frappant est celui du 23 mars 2021, quand aux alentours de 6h du matin, des perquisitions et arrestations par les services de DGSI ont été menées simultanément à Paris, Marseille et Draguignan. A Marseille, 10 personnes ont été arrêtées et placées en détention provisoire. Cette enquête, toujours en cours pour une minorité des personnes arrêtées, a été le prétexte d’au moins 600 interrogatoires au sein de la communauté kurde de Marseille. Les personnes arrêtées ont eu confirmation qu’elles avaient été placées sous surveillance, ainsi que leur famille. Le harcèlement continue lorsque, après avoir été libérés, les inculpés se sont vus interdire de participer aux activités du centre kurde de Marseille ainsi que de revenir vivre à Marseille. A Marignane, c’est la Mairie qui bloque l’ouverture d’un local culturel kurde ainsi que d’un compte en banque.

Les Kurdes sont aussi systématiquement fichés et surveillés pour leur participation aux activités politiques et communautaires. Il est devenu anodin d’observer systématiquement les mêmes personnes prendre en photo ou en vidéo les défilés kurdes et de voir des clichés similaires ressortir lors des auditions avec la police. A Marseille, un appartement situé en face du centre kurde aurait même été utilisé par la police afin de photographier l’intérieur du bâtiment. A Paris, un IMSI-catcher, outil permettant d’aspirer les données de téléphones, retrouvé dans une voiture a proximité du centre culturel kurde, a même été détruit (par erreur ?) par les démineurs vendredi dernier.

Enfin, les manifestations du 24 décembre à Paris et Marseille ont donné lieu à des violences policières – notamment à l’encontre d’un journaliste – et à plusieurs gardes à vue. Un jeune kurde a aussi été grièvement blessé à l’œil par une capsule de gaz. Des poursuites judiciaires sont à craindre pour les manifestant-e-s

Pour toutes ces raisons, plus que jamais, il est nécessaire de manifester à Paris ce samedi 7 janvier !

Un cortège internationaliste sera animé par le réseau Serhildan tandis qu’un cortège “Jin Jiyan Azadî” marchera avec toutes les femmes qui souhaitent le rejoindre.

Nous honorerons la mémoire de Sakine Cansiz (Sara), Fidan Dogan (Rojbîn) et Leyla Shaylemez (Ronahî) tout comme celle d’Emine Kare (Evîn), Mîr Perwer et Abdurrahman Kizil.

Avec le mouvement des femmes kurdes, nous affirmons que notre vengeance sera la révolution des femmes.

Vive la lutte de libération du peuple kurde et la lutte des femmes !
Vive l’internationalisme !
Vérité et justice !
Jin Jiyan Azadî !