Traité de Lausanne 100 ans après – Interview avec Murat Karayılan

Juil 22, 2023A la une, Actualités, Histoire, Monde

100 ans après le Traité de Lausanne qui a divisé le Kurdistan en 4 parties, Murat Karayılan membre du comité exécutif du PKK répond aux questions de SterkTV.

Traduit et édité depuis la version turque, publiée sur ANFNEWS. L’interview intégrale est a retrouver ici.

C’est le centenaire du traité de Lausanne, qui a divisé le Kurdistan en quatre parties. Que pouvez-vous dire de l’impact de ce traité sur les Kurdes ?

Il ne fait aucun doute que le traité de Lausanne n’est pas seulement un accord qui a divisé le Kurdistan en quatre parties. Le traité de Lausanne est un traité qui nie le Kurdistan et le peuple kurde. Il a jeté les bases du génocide au Kurdistan. Jusqu’alors, les dirigeants du mouvement kémaliste, qui prétendaient créer une nouvelle Turquie, disaient : « Nous sommes cofondateurs avec les Kurdes. Nous voulons établir un pays à l’intérieur des frontières du pacte national. Nous sommes ensemble et les Kurdes seront autonomes en notre sein. » Mustafa Kemal lui-même a dit cela, et ils ont écrit des choses à ce sujet dans de nombreux documents. En fait, la Grande Assemblée nationale turque, créée en 1920, a pris des décisions dans ce sens en 1921. L’autonomie kurde avait été acceptée par le gouvernement turc. L’Assemblée l’avait acceptée. Mais lorsque cet accord a été signé, la Turquie a nié tout cela. (1)

la France a récemment présenté ses excuses à l’Algérie. Aujourd’hui, elle devrait également s’excuser auprès du Kurdistan.

Pourquoi cet accord a-t-il été signé ? Les Britanniques et les Français étaient à la tête des États qui avaient gagné la Première Guerre mondiale – l’accord a été signé sous leur responsabilité – et ils étaient venus au Moyen-Orient en tant que forces d’occupation. Avec leur moyens, ils ont découvert que Mossoul, Kirkûk [aujourd’hui en Irak], Rimêlan [nord de la Syrie] et d’autres endroits possédaient du pétrole et diverses richesses souterraines. Ils ont mené diverses négociations à ce sujet. Les discussions de Lausanne ont duré longtemps et c’est au cours de celles-ci qu’ils ont négocié le Kurdistan. Les Britanniques avaient déjà pris la plupart des endroits qui étaient des sources de richesse, et les Français ont accepté de prendre un petit morceau pour leur part. Ils ont décidé de diviser et de partager le Kurdistan et en même temps de nier [le peuple kurde]. Car s’ils ne le niaient pas, ils étaient obligés de lui donner ses droits.

Le peuple kurde est le peuple le plus ancien de la région du Moyen-Orient, de la Mésopotamie. Il possède une grande richesse culturelle. C’est un peuple qui a été le premier à accueillir la révolution humaine, la civilisation humaine et la révolution néolithique. S’ils n’avaient pas nié l’existence de ce peuple, ils auraient du lui faire la même place qu’ils ont fait à d’autres.

Ce déni est la base de l’extermination et du génocide. Depuis lors, 100 ans se sont écoulés. De nombreux massacres ont eu lieu au Kurdistan. D’abord à Amed [1925], Hani, Palo, Genç, puis au Bashur, à Sulaymaniyah et dans beaucoup d’autres régions. Au Serhat [Kurdistan nord], dans la vallée du Zîlan [1930], à Ağrı, puis à Dersim [1938], puis à nouveau au Kurdistan du Sud, infaillibles, massacres, Halepçe [1988]… À nouveau au Kurdistan de l’est, au Rojava et partout. En d’autres termes, le Kurdistan est sous le régime de la persécution génocidaire.

Il est maintenant nécessaire de dire qui en est responsable. Les administrations britannique et française en sont responsables. Il ne fait aucun doute que ceux qui le mettent en œuvre sont les États coloniaux qui dominent cette région. Mais c’est la Grande-Bretagne et la France qui l’ont causée et approuvée.

La France et la Grande-Bretagne ont occupé de nombreux pays dans le monde et se sont excusées à maintes reprises auprès de ces pays pour cela. Par exemple, la France a récemment présenté ses excuses à l’Algérie. Aujourd’hui, elle devrait également s’excuser auprès du Kurdistan. Pourquoi n’ont-ils pas présenté d’excuses au Kurdistan jusqu’à présent ? Parce qu’ils l’ont fait de manière voilée et que les Kurdes n’ont pas atteint le niveau nécessaire pour l’exiger et l’imposer. Telle est la réalité. C’est cet accord qui a conduit au développement de ces désastres au Kurdistan, à la non-formation du Kurdistan, au déni, au génocide et aux massacres. Cet accord est un assassinat. Bien sûr, tous ceux qui l’ont signé en portent la responsabilité.

Aujourd’hui, la situation est essentiellement la suivante : jusqu’à il y a quelques années, l’État turc affirmait que les accords internationaux n’étaient plus valables après cent ans d’existence. Cela ne signifie pas qu’il existe un tel article dans le traité de Lausanne. Ce n’est pas le cas. C’est l’interprétation des les fonctionnaires et les experts de l’État turc. Ils prévoyaient d’occuper une grande partie du Kurdistan du Bashur, d’occuper et d’éliminer le Kurdistan du Rojava avant l’année du centenaire de Lausanne. Vous connaissez la carte qu’Erdogan a montrée lors de la réunion de l’ONU ! Ils ont montré un plan allant d’Afrin à Diyana, avec une zone qu’ils voulaient occuper de 30 kilomètres.De fait ils visaient à étendre les frontières du pacte national.Note 1Et cela fait 8 ans qu’ils essaient très fort d’y parvenir. S’ils avaient réussi, ils seraient aujourd’hui en train de discuter d’un nouveau traité.

Bien sûr, la Turquie n’a pas abandonné cette idée, mais elle n’a pas pu réaliser son plan d’occupation parce qu’elle était bloquée dans la région de Zap. Elle n’a pas été en mesure d’occuper Zap pendant ces trois années et une guerre s’y déroule actuellement. C’est la première fois dans l’histoire du peuple kurde. Depuis trois ans, nous menons la guerre contre cet État sur le même front. Ils sont coincés ici. C’est pourquoi même s’il veulent poursuivre [leur politique d’occupation] et développer leurs projet, ils en sont empêchés.

En d’autres termes, l’État turc veut mener à bien son projet d’occupation des frontières du pacte national Note 1 avec ses politiques génocidaires à l’égard du Kurdistan. Il s’efforce de le faire ; pour ce faire, il s’oppose à l’ensemble du peuple kurde. C’est pour cette raison qu’il mène aujourd’hui cette politique et qu’il veut la réaliser par l’intermédiaire de l’OTAN. C’est ainsi que cela se passe.

Une importante conférence se tiendra également à Lausanne à l’occasion de ce centenaire. Que pouvez-vous dire de cette conférence ?

Il est en effet très significatif et important d’organiser une conférence dans la ville de Lausanne à l’occasion du centenaire de Lausanne. Je salue tous les participants à la conférence. J’espère que cette conférence se tiendra la base de l’unité nationale.

A l’occasion du centenaire de ce traité génocidaire, nous, en tant que peuple kurde, devons affirmer notre position nationale, montrer à tous que nous ne l’acceptons pas. Il est de notre devoir d’annoncer à tous que nous sommes sur ces terres en tant que peuple et que nous avons le droit d’y vivre librement ; que personne n’a le droit de revendiquer des droits et de perpétrer un génocide sur ces terres. Il y a des opportunités historiques aujourd’hui. Il y en a eu auparavant, mais elles n’ont pas été exploitées. Il y a eu de grandes opportunités entre 1830 et 1850. À cette époque, l’Empire ottoman et les États de la région étaient très faibles. En revanche, Mîr Mihemed Pacha Rewanduzî (2) Botan Mîri Bedîrxan Beg étaient très forts.(3) En fait, s’ils s’étaient entendus, ils auraient pu former un État et peut-être changer le destin du peuple kurde. Mais qu’ont-ils fait ? Chacun d’eux a dit « moi ». Mîr Mihemed Rewanduzî a attaqué les Êzîdî à Shengal et a édité un décret contre les Kurdes. Puis ils ont tous deux attaqué le Botan et se sont faits la guerre. Que s’est-il passé ensuite ? Les deux ont été vaincus.

Ce siècle nous impose la réalisation d’une véritable unité nationale.

Il ne faut pas que cela se répète aujourd’hui. Bien sûr, des occasions se sont présentées à plusieurs reprises par la suite, comme dans les années 20. Aujourd’hui aussi, des opportunités existent, et personne n’a le droit de les détruire au profit de ses intérêts organisationnels ou familiaux. Ce siècle nous impose la réalisation d’une véritable unité nationale.

Une réunion de l’OTAN a eu lieu. Il est entendu que la guerre de la République turque contre le peuple kurde sera encore plus soutenue. A tel point qu’immédiatement après cette réunion, une bombe nucléaire tactique a été utilisée contre les zones de résistance Medya de Sîda et Girê. Qu’est-ce que cela signifie ?

Il semble que l’État turc veuille créer un deuxième Lausanne par le biais et avec l’aide de l’OTAN. Il existe une loi au sein de l’OTAN : pour qu’un nouveau membre soit admis, chaque État membre doit donner son accord. La Turquie a utilisé cette loi comme une carte pour faire chanter la Suède. L’objectif principal de la Turquie est d’amener les États de l’OTAN à se rallier à sa ligne génocidaire. La Turquie a demandé aux États de l’OTAN de renforcer leur soutien à ses politiques génocidaires et d’autoriser les armes interdites, en particulier les armes nucléaires tactiques. Il est clair que l’État turc considère tous les Kurdes qui revendiquent leur identité comme des terroristes. En d’autres termes, aux yeux de l’État turc, non seulement les membres du PKK, mais tous les Kurdes qui ne se soumettent pas et n’affirment pas leur identité sont des terroristes qui doivent être tués.

Il y a un an, 15 journalistes qui ne faisaient que leur travail ont été arrêtés à Amed. Ils ont été emprisonnés pendant 13 mois, puis ils ont été traduits en justice. « Nous n’avons rien à voir avec qui que ce soit, nous ne faisons que du journalisme », ont-ils déclaré au tribunal. C’est effectivement le cas, il n’y a rien. Il fallait les libérer [c’est ce qui s’est passé]. En attendant, je salue ces personnes valeureuses : désormais, chaque Kurde, qu’il appartienne ou non à une organisation, doit se défendre et défendre ce qu’il fait. Un autre fait précieux et significatif : certains de ces journalistes, quand ils et elles ont défendu leur identité et leur travail, l’ont fait en kurde. C’est remarquable, en particulier dans la presse kurde libre, et tout le monde devrait s’élever à ce niveau.

L’État turc qualifie de terroriste tout Kurde qui ne se rend pas à lui et n’agit pas en tant qu’agent. Il veut donc éradiquer les Kurdes au Moyen-Orient. Aujourd’hui, il déclare ouvertement qu’il est contre le Rojava. Qu’a-t-elle fait à Afrin, Serêkaniyê et Til Ebyad (Girê Spî) ? Reste-t-il un seul Kurde à Serêkaniyê et Til Ebyad ? À Afrin, il veut s’emparer de tous les Kurdes et leur faire dire « je suis un Turc d’origine kurde ». L’État turc veut mener une politique de génocide contre le peuple kurde. Il l’a déjà déclaré au Rojava et veut continuer dans cette voie. « Résolvons d’abord le nord de la Syrie, puis nous nous concentrerons sur le nord de l’Irak ». En ce moment, il cherche à occuper des montagnes stratégiques et, comme on le sait, à s’organiser de Kirkouk à Mossoul. En d’autres termes, son objectif principal est d’éliminer les Kurdes. Parce que l’État turc n’a pas abandonné sa politique de génocide et qu’il considère le statut et l’identité kurdes comme une menace pour sa propre survie. Ce n’est pas une calomnie, c’est la vérité. S’il reste des Kurdes qui ne le savent pas, malheur à eux !

L’État turc ne veut rien laisser de kurde au Moyen-Orient. Peut-être que ses fonctionnaires n’affrontent pas tout le monde, mais ils les placent dans une file d’attente afin d’utiliser certains d’entre eux comme agents. Certains de ceux qui déterminent leur politique disent ouvertement à la télévision : « Si nous ne supprimons pas la blessure kurde, nous ne pourrons pas nous débarrasser du danger ». C’est pourquoi ils veulent achever l’occupation et faire prévaloir la politique du génocide.

Parce que l’État turc n’a pas abandonné sa politique de génocide et qu’il considère le statut et l’identité kurdes comme une menace pour sa propre survie. Ce n’est pas une calomnie, c’est la vérité. S’il reste des Kurdes qui ne le savent pas, malheur à eux !

Nous demandons maintenant aux États de l’OTAN : Êtes-vous d’accord avec les politiques de génocide de l’État turc ? Si ce n’est pas le cas, pourquoi avez-vous légitimé les demandes de la Turquie ? Quelles promesses avez-vous faites en coulisses ? Ils doivent répondre à ces questions. Les réunions organisées l’année dernière en Espagne et cette année en Lituanie suscitent des soupçons. Ils doivent expliquer quelles promesses ont été faites en coulisses. Seront-ils les partenaires de la Turquie dans le génocide des Kurdes ? Ce point est important.

Est-ce que vous avez des dernières remarques ?

Des hommes et des femmes kurdes bloquent l’armée turque, qui se qualifie elle-même de « deuxième armée de l’OTAN », dans les montagne de Zap depuis trois ans. Bien que l’armée turque utilise toutes sortes d’armes (armes interdites, chimiques et les dernières bombes nucléaires tactiques) elle ne peut pas avancer. Aujourd’hui, c’est important de comprendre cela pour que les Kurdes agissent partout avec fierté et conviction.

L’État turc doit prendre conscience de cette réalité. Il ne peut pas nous vaincre. Il ne peut pas nous détruire en tant que peuple. Il doit reconnaître notre volonté, notre existence, nos droits. S’ils ne le fait pas, il perdra. Cela fait 50 ans que le PKK lutte, 40 ans qu’il y a une guerre. Depuis 8 ans, l’Armée turque a développé un nouveau concept global, qui se déploie grâce à la technologie de l’époque. Dans cette guerre, l’État turc a mobilisé tous ses moyens et a dépensé énormément de ressources matérielles de la Turquie. C’est pourquoi la Turquie est aujourd’hui affamée.(4) La Turquie traverse actuellement une crise économique, politique, sociale et militaire. Erdoğan cherche maintenant de l’argent auprès des États arabes, il les supplie de lui en donner. Pourquoi ? Pour l’utiliser contre les Kurdes. Il se rend à nouveau dans les pays de l’OTAN. Pourquoi ? Parce qu’il cherche un soutien contre les Kurdes. En d’autres termes, il veut s’unir avec tout le monde pour éliminer les Kurdes. Mais ce n’est plus possible.

Les Kurdes ont développé une volonté, une philosophie. L’esprit de résistance du 14 juillet s’est encraciné. Il y a maintenant des fedayin apoïstes sur ces terres.

Les Kurdes ont développé une volonté, une philosophie. L’esprit de résistance du 14 juillet s’est enraciné.(5-6) Il y a maintenant des fedayin apoïstes sur ces terres. Nous, en tant que peuple, avons le droit de vivre librement sur cette terre et nous vivrons librement. C’est aussi l’appel que nous lançons à l’État turc : Arrêtez votre politique de massacre. Si vous ne le faites pas, vous perdrez et nous gagnerons. Le succès est à nous. Notre voie est la bonne, notre cause est juste. Tant que nous aurons un peuple aussi valeureux, il est certain que nous vivrons librement au Moyen-Orient.

Sur cette base, j’appelle tous les Kurdes et la jeunesse kurde à participer davantage à la lutte démocratique. J’invite tous les Turcs et tous ceux qui veulent une Turquie démocratique à se joindre à la lutte pour un Kurdistan libre et une Turquie démocratique afin de vaincre ce régime fasciste et auteur de massacres et de permettre aux peuples de la région de vivre dans la liberté et la dignité.