Trop kurde à l’ouest, pas assez à l’est : le HDP sous le feu des critiques

Juin 18, 2023A la une, Actualités, Nouvelles du Kurdistan

Pour Tayip Temel, assistant du co-président du HDP, le parti a tiré des leçons du message envoyé par le peuple lors des élections du 14 mai. Depuis les élections, le HDP mène de façon ouverte des discussions nourries où toutes les questions, même les plus douloureuses, sont abordées sans détour. La déclaration publiée le 11 juin par l’Assemblée du parti du HDP et de la Gauche verte propose des évaluations remarquables à cet égard.

Quelles conclusions le HDP tire-t-il des élections et comment se prépare-t-il pour l’avenir ? Est-il déjà tourné vers les prochaines échéances électorales ? Quel genre d’erreurs le HDP et l’Alliance pour le travail et la liberté, qu’il dirige, ont-ils commises, et quels enseignements tirer de ces erreurs ? Quel aurait été le résultat si le HDP avait présenté son propre candidat ? Quel a été le coût du soutien du HDP à Kılıçdaroğlu ?

Traduction d’un entretien réalisé pour Artigerçek par le journaliste Irfan Aktan, traduite et éditée par Serhildan.

Au-delà des débats actuels, quel regard portez-vous sur la situation générale en Turquie ?

Alors que le gouvernement, qui a fait du nationalisme, du militarisme, du racisme et de l’oppression son cheval de bataille, a été incapable de gouverner le pays, l’opposition n’a pas réussi à s’unir autour d’un accord commun pour mettre en place en Turquie une véritable démocratie qui permette une vie prospère pour tous et toutes. Nous en ressentons la colère et le ressentiment [populaire]. Cette colère ne doit pas nous empêcher de penser, mais nous encourager à travailler davantage. Nous ressentons également un profond embarras politique du fait que nous ne sommes pas en mesure de renforcer davantage la troisième voie et de créer une large alliance démocratique contre l’Alliance populaire [autour du parti d’Erdogan, l’AKP] et l’Alliance nationale [autour du CHP], qui sont similaires l’une à l’autre sur plusieurs points.

Quelles leçons tirez-vous des récentes élections ?

Je ne peux rien dire au nom de l’ensemble de l’opposition, mais nous, en tant que HDP, tirerons des leçons très claires. Ce régime ne peut pas gouverner la Turquie s’il continue avec cette même politique. Mais nous n’attendrons pas les prochaines élections pour mettre fin à ces politiques d’oppression et de persécution menées par gouvernement. S’il ne développe pas de meilleures politiques, nous organiserons la contestation de tous les groupes marginalisés les moins défaillants, nous développerons la lutte et nous forcerons l’AKP à renoncer à ses pratiques.

Comment comptez-vous faire pour cela ?

Avant de nous demander ce que nous allons faire, rappelons-nous ce que nous avons fait. L’objectif principal sur lequel l’opposition était généralement d’accord était d’empêcher l’institutionnalisation de l’environnement répressif créé par ce régime. Même si le peuple kurde qui demande l’égalité et la liberté, les femmes progressistes, les jeunes, les travailleurs, les sociaux-démocrates, les kémalistes, les socialistes n’ont pas pu se réunir sous la même bannière, tous se sont concentrés sur le même objectif, à savoir mettre fin à ce régime répressif. S’accorder sur l’objectif de changer le régime actuel ne signifie pas s’accorder sur le programme, la vision et la structure d’une Turquie post-AKP et post-Erdoğan.

Pourquoi ?

Par exemple, l’objectif de l’Alliance Nationale était de revenir au système parlementaire du passé après avoir accédé au pouvoir. L’objectif de l’Alliance pour le travail et la liberté, lui, était d’ouvrir la voie à un changement radical du régime despotique actuel, à la résolution pacifique de la question kurde et à la construction d’un nouveau système qui démocratiserait la Turquie. En d’autres termes, nous visions une transformation qui offrirait la liberté et un statut au peuple kurde et une république démocratique aux peuples de Turquie.

Qu’entendez-vous par liberté et statut pour les Kurdes ?

Au niveau constitutionnel, l’existence du peuple kurde n’est actuellement pas reconnue. La négation de l’existence des Kurdes en tant que peuple doit être abandonnée et leurs demandes fondamentales doivent être satisfaites.

Quelles sont ces demandes ?

L’éducation dans la langue maternelle, l’ouverture d’un espace pour que les Kurdes puissent protéger et développer leur patrimoine culturel, et le développement de mécanismes leur permettant de se gouverner localement.

Comme donner plus de pouvoirs aux municipalités ?

Les municipalités en sont un des piliers. Il existe de nombreux modèles de collectivités locales [démocratiques] en Europe. Sur la base de ces modèles, nous pouvons trouver des formules qui peuvent minimiser les problèmes créés par le pouvoir centralisé. En fait, notre objectif premier est de faire en sorte qu’ils renonçent aux approches qui nient l’existence du peuple kurde. Mais le gouvernement criminalise cette demande par diverses manipulations, qualifie notre opposition au déni de l’existence du peuple kurde de séparatisme et tente de faire en sorte que celle-ci n’apparaisse plus comme une demande normale et naturelle.

Alors que le gouvernement vous accuse de cela, certains nationalistes kurdes affirment également que le HDP se concentre trop sur l’objectif de “démocratisation de la Turquie” et que vous vous éloignez du rôle de principal porteur des revendications kurdes en essayant de vous “turquiser”. Que répondez-vous à ces critiques ?

Tout d’abord, sans la démocratisation de la Turquie et la construction d’un régime démocratique, il est très difficile d’ouvrir des espaces de respiration pour les Kurdes, sans même parler de leur liberté. Nous payons un prix élevé pour ouvrir ces espaces de respiration, par exemple, pour que les Kurdes puissent parler librement leur propre langue. D’autre part, nous trouvons les critiques de certains cercles nationalistes kurdes contre le HDP significatives, mais il ne faut pas oublier que l’une des composantes du HDP est le Parti démocratique des régions [DBP, dernier avatar du parti politique civil légal kurde, maintes fois interdit et reconstitué], qui fait de la liberté du peuple kurde son principal programme. Si l’on considère l’ensemble de ses composantes, de son programme et de ses pratiques de lutte, on constate que le HDP s’inscrit dans deux domaines de lutte essentiels, à savoir la libération des Kurdes et la démocratisation de la Turquie.

Pourquoi faut-il que vous vous “turquifiez” pour défendre les droits des Kurdes ?

La politique de turquisation n’est pas la turquisation des Kurdes ! Au contraire, notre objectif est de sensibiliser les Turcs et tous les autres peuples vivant en Turquie à l’existence des Kurdes et à leur lutte pour la liberté.

Selon vous, la solution à la question kurde passe-t-elle avant tout par la démocratisation de la Turquie ?

Il s’agit en fait de réunir les deux champs de lutte. Parce que la Turquie ne peut pas être démocratisée sans résoudre la question kurde, et la question kurde ne peut pas être résolue sans démocratiser la Turquie. Nos décennies de lutte l’ont montré aux Kurdes et à ceux qui mènent la lutte pour la démocratie en Turquie. Le nationalisme turc exacerbé et le racisme qui en découle sont alimentés et institutionnalisés par des sentiments anti-kurdes. En tant que HDP, notre lutte pour la démocratisation de la Turquie vise à construire une barrière contre ce projet du gouvernement. Nous essayons de construire cette digue avec les forces démocratiques. À cet égard, le HDP ne privilégie pas un domaine de lutte par rapport à l’autre. Il vise à unir les deux forces de lutte et, grâce à la synergie qui en résultera, à accroître sa capacité d’une manière qui sera fructueuse.

Pensez-vous être parvenu à une telle synergie ?

Tout le monde connaît les pressions qui s’exercent sur le HDP, le fait que lorsqu’il s’agit des Kurdes, aucune base juridique, pas même la loi elle-même, n’est reconnue. Nos anciens coprésidents, d’innombrables cadres et membres sont en prison ou en exil. Réunir la voix du peuple kurde et celle des forces démocratiques de Turquie dans un tel contexte de répression demande un grand combat en soi. Je ne mentionne pas ces pressions pour occulter nos propres erreurs de la discussion ; bien sûr, nous avons de très graves défauts, mais ce sont aussi ces pressions qui nous poussent à ceux-ci. Le problème ne réside pas dans l’idée du HDP ; notre idée est une ligne de lutte qui a intégré les leçons tirées des expériences historiques.

Cependant, qu’il s’agisse de vos lacunes ou des pressions de l’État, on dit que l’idée du HDP n’a pas atteint sa cible. Dans une telle situation, ne ressentez-vous pas le besoin de déterminer une ligne stratégique différente ?

Le gouvernement, empreint par le nationalisme, continue de nourrir le nationalisme turc par le biais de l’hostilité et de l’antagonisme envers les Kurdes. Il tente ainsi d’empêcher le développement des idées du HDP, notre désir de porter la voix du Kurdistan à l’ouest de la Turquie, et de nous empêcher d’établir une alliance de lutte. Il se peut que nous rencontrions diverses lacunes ou difficultés pour contrer cela, mais nous ne nous détournerons pas de cette voie.

Outre les pressions et les obstacles, que concluez-vous du fait que l’Alliance pour le travail et la liberté n’a pas réussi à atteindre la synergie visée et qu’elle est restée à 10,56 % lors des dernières élections ?

Je dois dire d’abord que les alliances et les politiques globales sont élaborées par des conseils et des commissions. Ces discussions sont menées au sein de processus définis, et c’est ainsi qu’elles se transforment en décisions. En tant que HDP, nous avions établi cette alliance non pas pour les élections, mais pour nous opposer ensemble à l’oppression et à la tyrannie, et pour défendre les droits des Kurdes, des travailleurs et des opprimés. Mais en fin de compte, nous avons eu des lacunes, des évaluations inadéquates et commis des erreurs. C’est pourquoi le travail s’est écarté de l’unité de la lutte et s’est transformé en un débat de représentation axé sur les élections. Nous aurions dû nous efforcer de ne pas entrer dans une relation de don et de contre-don lors des élections.

Pourquoi n’y êtes-vous pas parvenus ?

Le HDP est un parti à composantes multiples, et l’Alliance du travail et de la liberté est composée de différents partis politiques. Grâce à l’approbation et à la volonté commune de toutes ses composantes, le HDP a pris part à l’Alliance du travail et de la liberté afin d’élargir et d’étendre l’unité de la lutte. Tout en dirigeant l’alliance, le HDP ne l’a certainement pas considérée comme une structure axée sur les élections et basée sur des calculs de partage des sièges. En fait, chacune de nos composantes et tous nos comités ont été extrêmement prudents à cet égard. Cette alliance a été formée pour rassembler les bases de toutes les forces démocratiques en Turquie, pour étendre l’organisation sur le terrain et pour intensifier la lutte. La Grande Assemblée nationale de Turquie n’est que l’un de ces domaines de lutte. Cependant, à l’approche des élections et après des débats qui se sont mal passés, cette alliance a été réduite au calendrier électoral, ce qui s’est répercuté sur la base. Le refus du TİP de se présenter aux élections sur une liste unique malgré toutes nos objections, critiques et suggestions en tant que HDP a joué un rôle majeur à cet égard.

Pourquoi ?

Parce que le TİP a refusé de se présenter aux élections sous un seul et même front, sur la base des préoccupations et des intérêts de son parti. Tout d’abord, je pense que le TİP devrait procéder à une évaluation et à une autocritique pour avoir, dans la situation actuelle, détruit les bases d’une lutte commune face et pour avoir éloigné les deux bases l’une de l’autre. Les comités concernés du HDP devraient également procéder à une autocritique pour ne pas avoir poussé d’autres options au lieu d’accepter cette décision du TİP. Ce processus d’autocritique doit être mis en œuvre dans le but d’éliminer l’antagonisme qui s’est formé au sein des bases du TİP et du HDP.

Cependant, votre tweet “nous avons résisté ensemble, gagnons ensemble” en réponse à la décision du TİP de produire une liste séparée a suscité beaucoup de réactions…

Je reconnais que j’ai écrit ce tweet – qui a été critiqué à juste titre – au mauvais moment, dans une atmosphère inadéquate et de manière superficielle. Cependant, pendant la campagne électorale, tous nos efforts visaient à prévenir les ruptures et les déficiences. En fait, j’étais l’un de ceux qui étaient en faveur d’une liste unique et contre la concurrence de deux partis aux élections. J’aurais peut-être dû tweeter “Puisque les partis se sont mis d’accord sur une liste séparée, même si je suis contre, nous devrions nous concentrer sur la résistance ensemble à partir de maintenant“.

Quel a été le résultat de la présentation de listes séparées lors des élections ? L’Alliance pour le travail et la liberté aurait-elle obtenu plus de 10,56 % des voix si elle avait présenté une liste commune ?

Nous devons avoir une discussion détaillée sur les avantages et les inconvénients. Mais le fait d’éviter les discussions sur la liste séparée et les tensions qui en ont résulté au sein de la base aurait été un succès en soi. En tant qu’alliance, la formation d’une synergie à la base devait nous permettre d’être plus forts à l’avenir. Cependant, cela a eu l’effet inverse et les discussions se sont poursuivies jusqu’au jour de l’élection. Ce processus n’a pas été bien géré. Pourtant, nous devions créer un environnement émotionnel qui ne briserait pas la motivation de lutter ensemble, que nous perdions ou que nous gagnions. Il aurait été préférable de ne pas avoir une telle unité pendant les élections, plutôt que de saper le partenariat de lutte.

Cependant, il en a résulté un ressentiment dans les bases du TİP et du HDP, qui s’est également reflété sur les réseaux sociaux. Vous, en tant qu’Alliance pour le travail et la liberté, êtes responsables de ce ressentiment. Comment allez-vous, en tant qu’alliance ou en tant que HDP et TİP, tenter de résoudre cette tension ?

Nous sommes actuellement confrontés à un gouvernement qui a remporté les élections et qui a enterré toutes les forces d’opposition en Turquie dans des débats internes. Le gouvernement veut prendre la tête des élections locales en manipulant les débats internes au sein de l’opposition par le biais de diverses méthodes. Par conséquent, l’alliance doit se réunir pour évaluer ses erreurs en matière d’alliances, ses erreurs tactiques et stratégiques et pour éviter de répéter les mêmes erreurs. Ils doivent discuter aussi longtemps que nécessaire. Après avoir pris en compte les avertissements et les suggestions des citoyens, ces discussions pourraient aboutir à une certaine maturité et à décision finale. Je pense que toutes les composantes de l’Alliance du Travail et de la Liberté devraient se manifester publiquement et montrer qu’elles ont la volonté de tisser la lutte commune des opprimés, en laissant de côté les ambitions partisanes étroites.

Pensez-vous qu’il y ait des conditions à cela ?

En tant que HDP, notre principale critique a été la décision du TİP de se présenter aux élections avec une liste séparée. Mais aucun membre du HDP n’est favorable à une approche qui consisterait à mettre fin à l’alliance. D’autre part, le HDP n’approuve aucune alliance qui ne reconnaît pas la persécution et le déni dont le peuple kurde fait l’objet, qui ne tient pas compte de la lutte du peuple kurde pour son existence, qui ne la mentionne pas, qui s’abstient de la mentionner. Le HDP ne participera à aucune alliance qui s’oppose à la demande kurde de liberté et à la lutte pour la démocratie en Turquie, et qui tend donc à se compromettre avec le fascisme. Par ailleurs, tout terrain détruit peut être surmonté par la critique et l’autocritique.

Êtes-vous en train de dire que nous pouvons sortir du “champ de ruines” laissé par le processus électoral ?

Oui, nous le pouvons. Nous devons courageusement admettre nos erreurs et nos lacunes et nous concentrer sur la lutte. En tant que parti, nous avons appris et apprenons du message donné par notre base. La direction de notre parti, toutes nos assemblées dirigeantes, nos organisations provinciales et de district discuteront courageusement avec notre peuple, compileront toutes les évaluations de nos erreurs et iront de l’avant en conséquence.

On dit que la répression intensive de l’AKP a renforcé le nationalisme kurde, mais que ce nationalisme est également utilisé par l’État contre le HDP, qui marche avec la gauche turque et les mouvements socialistes, et contre ses idées. D’ailleurs, certains nationalistes kurdes ont des réactions du type “nous ne devrions plus être sous le même toit que la gauche turque”. Que ferez-vous face à ce dilemme ?

Tout d’abord, il est nécessaire de bien comprendre les sentiments nationaux du peuple kurde opprimé. Les Kurdes ne sont pas intéressés par les droits, la liberté ou la terre de qui que ce soit. En ce sens, les Kurdes veulent, exigent et luttent pour leurs droits en tant que peuple. Cependant, il existe un nationalisme soutenu par l’État qui considère la liberté et les droits des Kurdes comme une menace et tente de l’empêcher. Alors que le mouvement politique kurde se bat pour les droits des Kurdes avec une résilience et un sacrifice sans précédent, il envisage également une Turquie où tous les opprimés peuvent vivre librement. Les Kurdes ne vivent pas dans l’espace, mais sur cette terre. Des millions de Kurdes se trouvent à l’intérieur des frontières de la Turquie et leur liberté passe par la démocratisation de ce pays. Si les fondements intellectuels du HDP dans cette direction n’avaient pas été acceptés par le peuple kurde, nous n’aurions pas atteint la force que nous avons aujourd’hui. En ce sens, regardez les taux de vote obtenus par les politiques qui s’opposent à nous et regardez notre force.

La perte de voix que vous avez subie lors des élections du 14 mai n’est donc pas due à votre ligne politique ?

Non, nos concitoyens critiquent nos pratiques et notre façon de gouverner, mais ils soutiennent notre ligne politique. Notre perte de voix n’est pas liée au fait que le public n’a pas adopté les idées du HDP, elle est due aux mauvais calculs et aux erreurs que nous avons commises en tant que parti et alliance, ainsi qu’aux effets secondaires de la pression intense qui s’est exercée sur nous. En outre, c’est vraiment un miracle à porter au crédit de notre peuple qu’un nouveau parti [le Parti de la Gauche Verte] ait pu se présenter aux élections en moins de deux mois,  avec des moyens très limités, de nombreuses insuffisances, et qu’il ait quand même obtenu 61 sièges au parlement. Notre campagne a été très désorganisée, inadéquate et nous n’avons pas pu populariser le Parti de la gauche verte parce qu’il restait très peu de temps avant les élections. Nous aurions pu commencer à faire connaître le parti bien plus tôt, mais le Conseil électoral suprême a approuvé notre qualification pour se présenter aux élections seulement deux mois avant celles-ci.

Ne pouviez-vous pas prévoir cela ?

Ce n’était pas un manque de prévoyance ; un nombre important de nos amis qui auraient pu prendre les devants étaient soit en prison, soit en exil. D’autre part, nous avons réalisé que notre soutien à Kılıçdaroğlu lors de l’élection présidentielle avait entraîné un nombre important de votes nuls dans certaines régions.

Pourquoi ?

Parce que le message “Un vote pour le Parti de la Gauche Verte, un vote pour Kılıçdaroğlu” a été transmis à la base, mais notre réseau n’a pas pu la former suffisamment pour éliminer le risque et l’erreur que le coup de tampon soit apposé à la fois sur le CHP et sur le Parti de la Gauche Verte sur un même bulletin de vote. De même, tout en soutenant Kılıçdaroğlu, nous n’avons pas pu tracer une ligne claire entre nous et l’Alliance nationale, ce qui a entraîné un transfert de voix de notre base vers le CHP. C’était une erreur de campagne et de discours.

Par conséquent, regrettez-vous d’avoir soutenu Kılıçdaroğlu ?

Notre peuple est la fraction de la société qui a été la plus ciblée et la plus victime de l’administration Erdoğan et de ses politiques, comme le procès pour dissolution contre le [HDP], l’affaire du complot de Kobanê et bien d’autres. C’est ce gouvernement qui a emprisonné nos cadres politiques les plus influents. Nos comités ont débattu de la question de savoir s’il y avait une autre option que de s’opposer à cette situation. Pour le HDP et les millions de personnes qui le soutiennent, le résultat des discussions n’était pas d’aimer ou de préférer Kılıçdaroğlu, mais seulement qu’il n’y avait pas d’autre option que de s’opposer à Erdoğan, et par conséquent, soutenir Kılıçdaroğlu était le choix le plus raisonnable. On peut se demander s’il y avait une autre solution.

Comme présenter votre propre candidat ?

Nous tenions à présenter notre propre candidat et nous l’avions déclaré. Nous y avons renoncé du fait des conditions du moment, de la pression de l’opinion publique sur nous et d’évaluations qui considéraient que le fait de présenter un candidat pourrait se retourner contre nous.

Que se serait-il passé si vous aviez présenté votre propre candidat ?

Si nous avions présenté un candidat et qu’Erdoğan avait été élu au premier tour, le HDP aurait été le seul bouc émissaire. De plus, alors que l’opinion publique de l’opposition était en faveur d’un candidat unique contre Erdoğan, le candidat que nous aurions présenté aurait pu recevoir des voix bien en deçà de notre potentiel. Même si nous avions désigné un candidat en tenant compte de tous ces éléments, en cas d’élection d’Erdoğan le 28 mai, ce résultat nous aurait été reproché et il aurait été dit que “vous avez empêché la synergie dans la société parce que vous avez désigné un candidat”. Notre plus grande erreur a peut-être été de ne pas être en mesure d’identifier un candidat dont le profil dépasserait Erdoğan et Kılıçdaroğlu. Nous avons travaillé sur un troisième candidat autour duquel toute la société se serait rassemblée, mais nous n’avons pas réussi.

Vers quelle voie vos résultats vous orientent-ils ? Le HDP va-t-il évoluer vers un parti plus kurde à partir de maintenant, ou va-t-il continuer sur la même ligne ?

Nous allons bien sûr discuter de nos lacunes concernant la représentation de la lutte du peuple kurde au sein du parti. Nous mènerons également un processus de bilan et de discussion orienté vers la base afin de déterminer si les sensibilités du peuple kurde sont suffisamment exprimées. On doit entendre la critique qui affirme que le HDP a tourné le dos aux demandes du peuple kurde, il serait contraire à sa nature que le HDP prenne une telle voie. Mais remarquez que le HDP est critiqué pour être trop kurde dans l’Ouest de la Turquie et pas assez kurde dans l’Est.

Lequel des deux est vrai ?

Les deux sont justes et les deux sont faux. Dans une société aussi ségréguée, transformer les demandes des différents segments de la société en une lutte au sein d’un même parti politique est très difficile et exige de grandes compétences de gestion. Nous acceptons les critiques concernant nos lacunes dans ce domaine. C’est pourquoi nous travaillerons plus dur. Mais en maintenant une telle ligne politique, le prix payé par nos amis ne doit pas être ignoré.

En conclusion, rejoignez-vous le constat que “nous avons trébuché lors des élections, mais nous ne sommes pas tombés” ?

Nous n’avons pas trébuché, mais nous avons reçu un message percutant nous invitant à corriger nos erreurs et nos insuffisances. Chaque responsable en porte le poids et en fait un bilan approfondi.

Pourquoi n’avez-vous pas été candidat aux élections législatives ?

Il y a eu beaucoup de commentaires sur le fait que je ne sois pas candidat. Je dois dire d’abord que j’ai préféré ne pas être candidat. Lorsque notre commission électorale a adopté le critère selon lequel les personnes menacées d’interdiction politique en raison de l’affaire de la fermeture du HDP ne devaient pas être désignées comme candidates, j’ai fait partie de ceux qui pensaient que ce critère devait d’abord être appliqué aux membres de la direction du parti. Il était plus correct que les membres de la direction appliquent ce critère à eux-mêmes avant tout le monde. Par conséquent, hormis des exceptions déterminées par le parti, ceux d’entre nous qui étaient sous la menace d’une interdiction politique n’ont pas été désignés comme candidats, car lorsqu’une interdiction politique est imposée, vous ne pouvez pas devenir membre du parti et, par conséquent, vous ne pouvez pas rejoindre le groupe au parlement.

Au cours de la période à venir, vous serez également confrontés à la question de l’HÜDA PAR, soutenue par le gouvernement. Qu’est-ce que l’HÜDA PAR, qui utilise également le discours du nationalisme kurde, signifie pour vous dans la région ? Pensez-vous qu’il puisse vous imposer son discours religieux et nationaliste ?

Il est vain pour le gouvernement de chercher à construire un interlocuteur qui ne résonne pas avec les attentes du peuple kurde. Ils ont déjà essayé ces méthodes maintes et maintes fois : des interlocuteurs artificiels soutenus par les ressources de l’État, des acteurs radicaux dans la rhétorique mais imposant par essence “l’intégration dans le système”. Ils n’ont pas obtenu le résultat escompté. Si vous ne prenez pas comme interlocuteurs les acteurs politiques que le peuple kurde a créés au prix de son travail et de ses propres coûts, vous pouvez produire autant d’interlocuteurs artificiels que vous le souhaitez, mais ce sera en vain.

Mais ne s’agit-il pas non seulement de créer des interlocuteurs, mais aussi de canaliser sa base vers d’autres lieux ?

Ils ont essayé cela à maintes reprises. Depuis les années 1990, ils ont essayé d’éloigner les gens de leur ligne avec de nombreuses politiques répressives, des fermetures de partis et des emprisonnements, mais les Kurdes ont recréé leurs propres acteurs politiques à chaque fois. Parce que le problème kurde persiste et que notre peuple soutient la politique de lutte pour la liberté , égalitaire et démocratique sur laquelle nous nous appuyons.

Pensez-vous que le gouvernement a partiellement réussi à vous liquider ?

Bien au contraire ! L’État continuera de piétiner tant que les gouvernements successifs s’attacheront aux politiques autoritaires au lieu de résoudre le problème kurde par des méthodes démocratiques, pacifiques et fondées sur le dialogue avec leurs interlocuteurs. Personne ne devrait valider un résultat électoral obtenu dans un tel contexte de pressions, de menaces de fermeture, de manipulations et de fraudes. Les élections du 14 mai ont été pour nous un enseignement brutal, mais pas une défaite. Au contraire, nous allons maintenant beaucoup mieux étudier notre leçon.

Avec ce nouveau gouvernement, pensez-vous que l’AKP prendra des mesures pour résoudre la question kurde ?

L’AKP va s’efforcer de réparer les dégâts qu’il a causés dans sa politique étrangère, de réduire les tensions avec tous les États qu’il considérait hier encore comme des ennemis, et de se lier d’amitié avec ceux-ci. Mais pourquoi ne fait-il pas le même effort pour faire la paix avec les Kurdes ? Qu’avez-vous obtenu jusqu’à présent avec ces moyens et ces méthodes, si ce n’est d’infliger des souffrances ? N’y a-t-il pas de leçons à tirer de l’état de l’économie et de la structure sociale turques ? Tant que ce bilan ne sera pas tiré, tant qu’ils mèneront ces politiques de guerre, la régression et la décadence se poursuivront.