“Un, deux, beaucoup de Rojava“ – La situation actuelle
Début octobre l’État turc a bombardé massivement le Rojava causant de nombreux dégâts sur les installations civiles et militaires de l’AANES et tuant 18 civils, 29 Asayishs et faisant 55 blessés. Une attaque mettant à mal l’autonomie de la région à l’approche de l’hiver.
Nous publions un article de Young Struggle paru le 14 octobre 2023 suite à ces attaques contre le Rojava.
Adieu aux 29 courageuses personnes
Dans la nuit du 8 au 9 octobre, les bombes ont plu dans la ville de Derîk. La cible était le centre de formation des Asayîsh, les unités de sécurité intérieure du Rojava. Celles et ceux qui y sont tombées étaient spécialement formées à la lutte contre la drogue. Parmi les 80 personnes qui se trouvaient dans le bâtiment de formation, 29 n’ont pas survécu. Le massacre perpétré par le régime fasciste turc n’a donc clairement pas touché une base militaire, mais une unité anti-drogue. Après ce coup terrible, l’administration autonome a décrété un deuil de trois jours au Rojava, durant lequel toutes les écoles, magasins, etc… ont été fermés. La société a été ébranlée, même si elle n’a pas été surprise par cette attaque sanglante.
Pendant ce temps, le chef du régime fasciste turc, Erdogan, a annoncé que “la première phase“ de l’opération contre l’autonomie du nord-est de la Syrie était terminée.
Que se passe-t-il actuellement au Kurdistan ? Et si c’était la première phase – que se passera-t-il ensuite ?
Une sale guerre sur plusieurs fronts
Ces derniers jours, nous avons reçu plusieurs nouvelles d’attaques contre le Rojava : le bombardement du centre de formation des Asayîsh a fait le plus de victimes ces derniers jours, mais les attaques ne se sont pas limitées à cela. Au contraire, une offensive globale a été menée contre les institutions internes d’autogestion, contre la vie au Rojava et donc contre le cœur de la révolution. L’objectif principal de ces attaques étaient les infrastructures de l’auto-administration. L’extraction du pétrole, principale source de revenus dans la région, a été paralysée par des frappes ciblées sur les sites de pompage dans de nombreux endroits. L’approvisionnement en électricité a été également l’une des cibles et s’est même totalement effondré dans la région de Jazira. L’infrastructure endommagée entraînera de gros problèmes d’approvisionnement en eau potable, en pain et en électricité pour la population. Tout cela au milieu d’une crise économique qui touche toute la Syrie depuis un certain temps déjà, va entraîner une pénurie encore plus grande et une augmentation des prix. Bedran Kurd, de l’Autorité des relations extérieures de l’administration autonome du nord et de l’est de la Syrie, décrit clairement l’intention du régime fasciste de la Turquie : « L’objectif est de rendre la vie aussi insupportable que possible pour le peuple ». Cela vise à son tour une chose en particulier : briser l’esprit de résistance des peuples du Rojava et les faire fuir.
Cette opération, dont Erdogan a désormais déclaré que la « première phase » était terminée, ne doit toutefois pas être considérée comme limitée au Rojava. La même semaine, de nombreuses attaques ont été menées contre la guérilla au Bashur (Sud du Kurdistan/Irak) avec des armes chimiques proscrites par le droit international. Parallèlement, en l’espace d’une semaine, plus d’une centaine d’activistes politiques, de politiciens kurdes, etc. ont été arrêtés au Bakur (Kurdistan du Nord) et en Turquie, parfois avec torture, et des perquisitions ont eu lieu dans des domiciles et des bureaux politiques. En résumé, un nouveau pic de la terreur d’État fasciste contre les mouvements kurdes et antifascistes.
Le régime fasciste appelle cela « l’autodéfense à l’intérieur et à l’extérieur des frontières de la Turquie après l’ « attentat » d’Ankara. » Ils auraient des informations selon lesquelles les « auteurs de l’attentat » viendraient de Syrie et y auraient été formés, raison pour laquelle « toutes les infrastructures et installations énergétiques des YPG et du PKK en Syrie et en Irak (…) sont désormais des cibles légitimes » de leur guerre.
Les attaques actuelles ne visent pas seulement le Rojava, elles visent tout le Kurdistan. Elles constituent un nouveau moment dans la guerre de libération du peuple kurde, qui se déroule dans toutes les régions du Kurdistan ainsi que dans les États coloniaux comme la Turquie elle-même. Si nous voulons comprendre la situation actuelle, nous devons donc nous pencher sur tous les fronts de cette guerre.
Ankara : une action révolutionnaire au cœur de la Bête
Que s’est-il passé à Ankara le 1er octobre ?
Les médias bourgeois parlent généralement d’une « attaque terroriste ».
L’action d’Ankara a été une action révolutionnaire revendiquée par le mouvement de libération kurde. Deux combattants de la guérilla ont réalisé une attaque à la bombe contre le ministère turc de l’Intérieur, en acceptant aussi délibérément de ne pas survivre à celle-ci. Elle a eu lieu le premier jour de session du nouveau Parlement turc après la pause estivale et quelques jours avant l’anniversaire du complot international qui a conduit à l’arrestation d’Abdullah Öcalan il y a plus de 20 ans.
Quelle a été la portée de l’attaque d’Ankara ?
Dans les jours qui ont suivi l’action, le fascisme turc a tenté à plusieurs reprises de présenter l’action comme un échec. Le mouvement de libération kurde, quant à lui, a déclaré que l’action avait exactement atteint son objectif : l’attaque était un message adressé au régime fasciste de la Turquie. Jusqu’ici et pas plus loin.
Ces derniers mois, les crimes contre l’humanité utilisés par le régime dans sa sale guerre au Kurdistan sont devenus chaque jour plus excessifs. Sans relâche, des gaz chimiques ont été utilisés contre la guérilla, la population du Kurdistan a été terrorisée, une guerre permanente de basse intensité a été menée contre l’autogestion du Rojava. Ankara l’a montré : le mouvement révolutionnaire ne se laisse pas confiner dans les montagnes. Le fascisme tente de s’infiltrer toujours plus profondément au Kurdistan – et la guérilla répond au cœur de la bête, au cœur de la capitale, juste devant la porte des fascistes au Parlement.
En même temps, Ankara est aussi un message pour les Kurdes et les démocrates de Turquie et du Kurdistan du Nord eux-mêmes : de très nombreuses personnes avaient placé tous leurs espoirs dans une destitution démocratique d’Erdogan – même s’il était déjà clair que les fascistes ne laisseraient pas leurs postes sans se battre et qu’un simple changement de personne ne changerait pas grand-chose au système étatique du fascisme. Après les élections, de nombreuses personnes ont sombré dans le désespoir : « Nous n’avons pas réussi à faire partir les fascistes, que pouvons-nous faire maintenant ?”.
Ankara est un appel pour ne pas perdre l’espoir – mais pour dire que le seul chemin vers la liberté est la résistance et que la bête du fascisme doit être frappée en plein cœur.
Pour le régime fasciste, Ankara n’a été rien de plus qu’une excuse pour intensifier la guerre contre le mouvement de libération kurde. Des attaques comme celle que nous avons vécue actuellement, il y en a eu plusieurs ces dernières années, qu’elles soient accompagnées d’une « provocation » construite ou pas. Les attaques ne restent cependant pas sans réponse : ces derniers jours, plusieurs contre-attaques ont été menées par la guérilla dans les montagnes et par les milices du mouvement révolutionnaire uni, le HBDH, en Turquie et au Kurdistan du Nord. Le peuple kurde n’est pas sans défense. Mais Erdogan n’aura pas non plus menti lorsqu’il a dit que ce n’était que la « première phase ». Il est clair depuis des années que le régime ne restera pas immobile tant que le Rojava n’aura pas été rasé et le mouvement de libération kurde écrasé. L’écrasement de la révolution au Kurdistan est devenu une question existentielle pour le régime fasciste. De même, l’écrasement du fascisme est devenu une question existentielle pour la révolution.
Les peuples du Rojava ont montré, dans des combats héroïques comme le fut la résistance de Kobané, que la victoire dans cette lutte n’est pas une simple question matérielle. Même si l’ennemi a plus de moyens, il fait face à une population organisée et prête à se battre. C’est pourquoi il cherche aujourd’hui à diviser : par des attaques contre la révolution, déguisées en raids de clans arabes, il cherche à diviser les peuples du Rojava, en particulier les Arabes et les Kurdes. En sapant tous les moyens de subsistance, il tente de supplanter la conviction révolutionnaire par la faim pure et d’expulser les gens de la région. Dans le même temps, il tente de diviser les ” gentils ” Kurdes, fidèles à l’État et fascistes, comme le parti islamo-kurde Hüda-Par, qui succède au Hezbollah kurde, et les ” méchants ” Kurdes révolutionnaires dans les montagnes – et dans les prisons.
En tant que révolutionnaires, il est de notre devoir de nous opposer à cette division : montrer que les peuples arabes et kurdes doivent lutter côte à côte pour leur libération, lutter contre la division du peuple kurde et s’unir dans sa lutte de libération. Pour défendre la révolution, nous devons d’une part tout faire pour soutenir la survie et la lutte au Rojava contre les « attaques d’assèchement », et d’autre part porter à un nouveau niveau la lutte antifasciste contre le régime en Turquie. L’ennemi tente d’assiéger la révolution sur tous les fronts – nous devons inverser le siège, riposter sur tous les fronts et affaiblir le fascisme : géographiquement et politiquement. Le régime fasciste ne peut être vaincu, la révolution ne peut gagner que si nous nous unissons avec tous les travailleurs-euses et les opprimé-es en tant que Kurdes pour notre autodétermination nationale, en tant que travailleurs-euses contre notre exploitation, en tant que femmes et LGBTI+ pour l’autodétermination de nos vies et de nos corps, et si nous nous unissons de différentes directions dans la lutte contre le fascisme et la guerre.
Un, deux, plusieurs Rojava
Ici, en Europe, des tâches particulières nous incombent, à nous les jeunes, dans la défense de la révolution et de la lutte pour la liberté du peuple kurde.
Premièrement, d’ici, en Europe, nous devons faire notre part pour la survie de la population en lutte au Rojava : pouvons-nous lancer une campagne de soutien à la jeunesse étudiante du Rojava dans notre université ? Pouvons-nous organiser un soutien concret à la population là-bas ?
Deuxièmement, nous devons donner une réponse politique aux combats, ici aussi, depuis l’Europe : Si le Kurdistan est attaqué, les gens doivent descendre dans les rues de chaque ville le même jour ! Si ce n’est pas nous, jeunes révolutionnaires, qui prenons directement l’initiative de défendre l’espoir de la révolution, qui le fera ?
Troisièmement, nous devons exposer et combattre le fascisme turc et ses alliés en Europe : une grande partie du capital turc se trouve en Europe. Les fascistes turcs sont organisés dans des associations, des mosquées et diverses institutions. Le gouvernement Macron, pactise sans vergogne avec des régimes fascistes comme celui de la Turquie et le maintient par leur soutien politique et financier. Si nous voulons porter un coup au fascisme, c’est par là qu’il faut commencer !
Quatrièmement, nous devons ici aussi lutter activement contre la politique de division des fascistes et des impérialistes, organiser les jeunes internationalistes, Arabes et Kurdes ensemble, pour la lutte révolutionnaire : défendre les luttes pour la liberté de la Palestine et du Kurdistan contre la politique hypocrite des impérialistes. Offrir une perspective concrète aux nombreux jeunes qui sont arrivés en Europe ces dernières années en provenance du Kurdistan et en particulier du Rojava, afin qu’ils ne perdent pas espoir et qu’ils s’organisent ensemble ici aussi pour la libération du Kurdistan.
Si quelqu’un demande aujourd’hui ce qui peut encore nous donner de l’espoir pour notre avenir, à nous les jeunes d’une génération marquée par la destruction de l’environnement, la guerre, la dépression, la réponse est claire : la révolution du Rojava, qui nous montre chaque jour qu’une nouvelle société n’est pas un rêve creux, mais peut être conquise concrètement. Les habitants du Rojava nous ont donné un modèle, un espoir, une perspective pour notre avenir. Des camarades comme Özgür et Ivana ont défendu cet espoir au prix de leur vie. Nous leur devons et nous nous devons de faire notre part pour défendre cet avenir. Hier, c’était « un, deux, beaucoup de Vietnam », aujourd’hui cela doit devenir « un, deux, beaucoup de Rojava ».