YPJ : sur la transformation de la société et le progrès révolutionnaire

Fév 1, 2024Expériences et analyses, Femmes

Entretien réalisé par Dr. Hawzhin Azeez, le 12 décembre 2023. Interview exclusive du Kurdish Center for Studies avec Berivan Amuda, du bureau d’information et de documentation des YPJ (Unités de protection des femmes), qui a été réalisée le 8 décembre 2023.

Hawzhin Azeez est titulaire d’un doctorat en sciences politiques et en relations internationales de l’université de Newcastle, en Australie. Elle est actuellement codirectrice du Centre d’études kurdes (branche anglaise) et créatrice de The Middle Eastern Feminist. Auparavant, elle a enseigné à l’Université américaine d’Irak, Sulaimani (AUIS), et a été chercheuse invitée au CGDS (Centre pour le genre et le développement). Elle a travaillé en étroite collaboration avec les réfugié·e·s et les personnes déplacées du Rojava en tant que membre du Conseil de reconstruction de Kobanê après sa libération de Daech. Ses domaines d’expertise comprennent la dynamique du genre, la reconstruction post-conflit et la construction de la nation, le confédéralisme démocratique et les études kurdes.

Traduction Serhildan. Photos Loez.

Les YPJ ont été créées en 2012, à l’issue de la sanglante guerre civile syrienne. Depuis lors, les YPJ ont acquis une renommée mondiale en tant que force d’autodéfense des femmes, en particulier grâce à leur lutte révolutionnaire contre l’État Islamique (EI) pendant le siège de Kobanê. Pouvez-vous définir les circonstances qui ont contribué à la création de ce mouvement révolutionnaire féminin ?

La Syrie, comme beaucoup d’autres pays de la région, a été submergée par le Printemps arabe. Cependant, au lieu de répondre au cri du peuple qui réclamait une vie digne, le système oppressif au pouvoir n’a fait qu’accroître le niveau de violence, et une guerre civile a éclaté en Syrie, fragmentant le pays jusqu’à aujourd’hui. Outre le régime syrien, un certain nombre de puissances internationales sont intervenues en Syrie et ont établi leurs forces par procuration (proxy) et leurs mercenaires dans la région. Aucune de ces puissances n’apporte le moindre espoir d’une solution pour le peuple, elles ne font qu’accroître la misère et approfondir l’état de guerre.

La révolution du Rojava se présente comme une troisième voie alternative, différente de l’opposition syrienne ou de l’État. Cependant, elle n’a pas émergé de nulle part. Les Kurdes et de nombreux autres groupes, comme les chrétiens et les Arabes n’appartenant pas au cercle de l’élite du régime syrien, ont été historiquement soumis à la torture, à l’assimilation et à l’oppression. Le régime syrien a mis en œuvre des plans d’arabisation concrets pour les régions à majorité kurde, comme la « ceinture arabe » de villages proches de la frontière turque. La langue kurde était interdite en public et les enfants étaient punis par des violences physiques s’ils parlaient kurde dans la cour de l’école. Des milliers de civil·e·s ont disparu dans les terribles prisons du régime syrien.

Une petite partie de la population du Rojava a commencé à s’organiser en secret contre cette oppression. L’arrivée d’Abdullah Öcalan en Syrie en 1979 a permis de catalyser la mobilisation. Cette organisation de la population est devenue la base de la fondation d’un système d’auto-administration, même si personne ne savait à l’époque qu’une telle opportunité se présenterait un jour. Si qu’au début de la révolution, Abdullah Öcalan avait déjà développé un paradigme politique et l’avait enseigné à des milliers de personnes, d’abord dans les académies, puis après son enlèvement et son emprisonnement, en rédigeant ses écrits de prison. Ce paradigme pour la libération des femmes s’est largement répandu dans la société du Rojava et a certainement permis l’émergence des YPJ.

Les premières guérillas féminines ont vu le jour dans les montagnes du Kurdistan. Avec la création de l’armée féminine en 1993 et l’accroissement du nombre de femmes rejoignant les guérillas, les femmes avaient déjà développé une force de combat assurée et influente dès le milieu des années 1990. Leur expérience leur a permis d’apprendre qu’elles étaient capables de surmonter toutes les difficultés et que, même si elles étaient peu nombreuses, elles réussiraient si elles agissaient de la bonne manière. Les femmes du Rojava ont également vu les expériences menées dans les montagnes et ont bénéficié du savoir accumulé par les femmes kurdes de la guérilla.

« Les YPJ ne sont pas une armée traditionnelle, mais une force révolutionnaire dont la tâche décisive est de transformer la mentalité de l’oppression et de la domination. »

Chaque femme a d’abord brisé ses propres chaînes, brisant ainsi le retard de la société et portant un coup à la mentalité oppressive du régime de Damas et à la tyrannie de Daech. Au début de la révolution, tant de femmes ont rejoint les unités d’autodéfense que deux bataillons autonomes ont d’abord vu le jour. Par la suite, les YPJ ont officiellement été fondées en 2013. Bien sûr, il y avait de nombreuses contestations au sein de la société, certains ne croyaient pas que les femmes pouvaient effectivement prendre part à leur propre autodéfense.

En réalité, grâce à leurs convictions et à leur volonté ferme, les femmes ont joué un rôle fondamental dans la guerre pour défendre Kobanê face à Daech. Ainsi, les YPJ sont devenues une force reconnue mondialement. Elles ont été considérées comme des héroïnes défendant l’humanité. Dès le début, les YPJ ont dû résister à la fois au régime syrien et à des forces telles que le Front al-Nosra, Daech et la Turquie.

La révolution du Rojava se distingue de toute autre dans l’histoire parce qu’en son sein la posture habituelle consistant à dire qu’il fait « résoudre la guerre d’abord et à libérer les femmes ensuite » ou « établir le système et changer la société ensuite » n’a tout simplement jamais existé. Il s’agit d’une révolution qui, dès le premier jour, s’est véritablement fondée sur une lutte centrée sur la libération des femmes et la transformation de la société vers une société éthique et politique. C’est pourquoi il était tout à fait naturel de former une armée de femmes dans le cadre de cette transformation.

Les femmes du Rojava ont toujours été la cible de diverses formes de violence patriarcale, notamment de la part d’États comme la Turquie ou le régime syrien et d’organisations comme Daech et d’autres groupes terroristes. Comment parvenez-vous à résister à cette oppression et quels sont les défis auxquels vous continuez de faire face ?

La Turquie fasciste, le régime syrien et L’État Islamique. Bien que chacune de ces forces ait utilisé des politiques différentes à l’encontre des femmes, elles sont toutes fondées sur les mêmes mentalités patriarcales et étatiques. L’horreur et la violence ont atteint de nouvelles dimensions ces dernières années, en particulier en ce qui concerne la dictature turque. Nous parlons généralement d’une troisième guerre mondiale qui s’est développée ces dernières années et dont le centre se trouve au Kurdistan et dans le nord et l’est de la Syrie. Les femmes de la région ont donc subi beaucoup de violences et de souffrances. Dans sa guerre d’agression, la Turquie a notamment utilisé des armes chimiques au phosphore à Serê Kaniyê, elle a enlevé et violé de femmes avec ses mercenaires dans les zones occupées. Cela inclut aussi l’horreur quotidienne de Daech, qui torture, réduit en esclavage, viole et tue les femmes. Les femmes ont été et continuent d’être confrontées à un niveau de violence épouvantable. Ce qui est crucial, cependant, c’est qu’elles résistent et qu’elles ont trouvé une solution dans le paradigme d’Abdullah Öcalan.

Pour la révolution dans le nord et l’est de la Syrie, il s’agit du paradigme du confédéralisme démocratique, centré sur la libération des femmes et l’écologie. Avec cette mentalité, un changement a été initié dans chaque cellule de la société. S’il s’agit de se défendre, il s’agit aussi de construire une nouvelle voie. Le système étatique et le règne de la terreur sous Daech ont vu leur mentalité vaincue. Il est certain que ce changement de mentalité doit devenir une organisation collective. Sinon, il ne peut y avoir de véritable changement à la base de la société.

La création d’unités d’autodéfense de femmes, ainsi que l’organisation de la société, jouent un rôle important dans cette résistance. La situation dans le nord et l’est de la Syrie a totalement changé. Il est certain que ce processus n’est pas achevé, car l’oppression patriarcale, ayant évolué lentement depuis cinq mille ans, ne peut être effacée de l’esprit de chacun·e en un jour. Le principal défi est le changement de cette mentalité elle-même. Il s’agit donc d’une lutte permanente, qui implique d’organiser toutes les femmes en fonction de leur force et de leur possibilité de contribuer à la défense de leur patrie et au développement de la révolution des femmes. La question la plus difficile est celle de changer notre mentalité en tant que femmes, car ce n’est que si nous surmontons nos croyances patriarcales intériorisées et que nous luttons ensemble de la bonne manière que nous pourrons réussir, changer notre société et résister.

Les YPJ sont un symbole puissant de la résistance, du courage et de l’action des femmes. Pouvez-vous identifier une mesure clé que les femmes d’autres sociétés peuvent prendre pour obtenir plus de pouvoir et de visibilité au sein de leur société ?

Pour que les femmes puissent changer radicalement, elles doivent d’abord remettre fondamentalement en question une modernité qui les vend, les exploite, les viole, les dégrade, leur manque de respect et les transforme en marchandises. Si nous comprenons cela, nous pouvons comprendre qu’il est nécessaire que les femmes s’organisent ensemble et prennent en charge les principaux aspects de leur vie. Cela doit se faire de manière autonome [1], y compris en matière d’autodéfense. Sans autonomie, la libération ne peut être atteinte car il n’y a tout simplement pas d’espace où les femmes peuvent remettre en question et surmonter les influences patriarcales. Il est certain qu’il n’existe pas de programme spécifique que l’on puisse mettre en place dans n’importe quelle société. Il faut plutôt comprendre les véritables besoins et réalités de toutes les femmes dans cette société et développer une approche adaptée. Si nous parlons aujourd’hui de l’autodéfense des femmes, cela ne signifie pas nécessairement qu’il faille développer une armée de femmes ; cela peut prendre différentes formes.

« Les femmes du monde entier peuvent se réunir et développer un système d’organisation confédéral qui leur permette d’échanger des expériences, de partager des solutions et de développer une perspective commune pour la libération des femmes .»

Donc, si nous devions proposer une mesure concrète à prendre, ce serait celle-ci : que les femmes du monde entier développent leurs organisations confédérales communes, en se concentrant sur la question centrale de l’autodéfense au sens large.

Entre votre courageuse lutte contre l’État islamique et la résistance continue contre les politiques oppressives du régime turc, quel a été le plus grand défi ?

La lutte contre Daech a nécessité de mener de grands sacrifices et a coûté la vie de milliers de martyr·e·s, mais la menace militaire de la Turquie est plus grande parce qu’elle est soutenue par l’OTAN. Après tout, Daech n’était qu’une force par procuration, utilisée par des puissances étatiques. Mais les puissances qui soutenaient Daech, comme la Turquie, ne sont pas découragées par sa défaite. Ainsi, les YPJ et les YPG ont été capables de vaincre Daech tout en étant largement abandonnés par le reste du monde. Cela montre également que l’on peut tout obtenir si l’on est déterminé et si l’on dispose d’une base idéologique solide.

Sur le plan technologique, la Turquie est bien mieux équipée que ne l’était Daech. La guerre incessante des drones et l’utilisation de l’aviation nuisent beaucoup aux populations du nord et de l’est de la Syrie et coûtent la vie à de nombreux civils, membres des forces d’autodéfense et politiciens. Mais l’atout principal de la Turquie, c’est la crédibilité politique que les puissances internationales lui accordent. C’est sous les yeux du monde entier que la Turquie a occupé Afrîn et Serê Kaniyê, par le biais de guerres brutales et de politiques continues de nettoyage ethnique et d’assimilation à l’égard des différents groupes de population de la région, en particulier le peuple kurde.

La Turquie tente d’occuper et d’annexer des parties importantes du nord de la Syrie, principalement le Rojava et des parties du Kurdistan du sud (Bashur, nord de l’Irak). Le soutien international que la Turquie reçoit pour cette guerre et pour sa tentative de détruire l’alternative que représente la révolution du Rojava est ce qui la rend plus dangereuse que les attaques de Daech. En ce sens, il sera toujours plus difficile de résister à la Turquie. Cependant, l’État fasciste turc est en état de crise, ce qui permet de lui résister et de le vaincre. Mais cela continuera à exiger des sacrifices importants.

Dans une citation puissante, Audre Lorde, femme noire et universitaire américaine, a déclaré : « Je ne suis pas libre tant que n’importe quelle autre femme est privée de sa liberté, même si ses chaînes sont très différentes des miennes ». Les YPJ ne sont pas seulement une organisation militaire de femmes kurdes. Elles sont bien plus que cela en termes de portée, d’aspirations et d’objectifs. Quels sont les points communs entre les femmes disons de Kobanê et celles d’Afghanistan, d’Amérique latine, de Suède ou du Canada ?

Audre Lorde souhaitait certainement comprendre et lutter contre l’oppression des femmes sans oublier qu’il existe d’autres problèmes à affronter, tels que le racisme. Une grande partie de ce qu’elle a analysé est également abordée dans les écrits d’Abdullah Öcalan. Il a construit son paradigme autour du concept de nation démocratique, qui permet à différents groupes religieux ou ethniques de vivre selon leur propre culture et de conserver leur autonomie, tout en créant un terrain d’entente et le cadre d’une vie sociale éthique et politique. Dans ce cadre, les YPJ sont également une force qui comprend différents groupes sociaux, tels que des Yézidies, des Chrétiennes, des Arabes, des Turkmènes, etc. Certaines créent leurs propres forces de défense, comme le bataillon arménien ou les forces de protection des femmes de Bethnahrain – une unité de défense exclusivement féminine assyrienne qui fait partie des FDS. D’autres ont pris part aux YPJ, et toutes se sont unies pour défendre leur pays du nord et l’est de la Syrie.

Notre approche de la libération des femmes est unique : nous tentons d’analyser le cœur de l’asservissement des femmes dès les racines de leur oppression, qui s’est développée après l’âge néolithique. Cela nous amène à développer des perspectives différentes de celles de nombreuses féministes et penseuses critiques, dans le sens où nous considérons qu’il est nécessaire d’analyser encore plus en profondeur la nature de la question et ses racines historiques. Si nous ne le faisons pas, nous risquons de retomber dans le piège qui nous maintient dans le cadre du libéralisme, ou tout simplement de ne pas réussir à développer de solutions pour la société.

Nous sommes très conscientes, depuis le début de notre lutte, qu’elle concerne toutes les femmes. Aujourd’hui, une femme dans le monde occidental peut se considérer comme privilégiée à certains égards, mais fondamentalement, les moyens de la violence patriarcale, qu’il s’agisse de la guerre, de la violence domestique, de l’exploitation en tant que marchandise ou de la culture du viol, ciblent toutes les femmes d’une manière ou d’une autre. Il est également vrai que même une femme qui n’est pas elle-même confrontée au féminicide sera consciemment ou inconsciemment affectée par d’autres femmes confrontées à ce type de violence. Nous ne devrions jamais tomber dans le piège de voir les choses d’un point de vue uniquement individuel. Le meurtre de femmes envoie un message clair à toutes les femmes en ce sens : il diffuse le message d’éviter de faire entendre sa voix et de se conformer à un système patriarcal et fasciste. Les visages de Daesh attaquant Kobanê ou des talibans en Afghanistan ne sont que les manifestations les plus évidentes et les plus violentes de cette mentalité.

« Pour nous, notre résistance et nos efforts pour prouver que la révolution est possible relèvent de notre responsabilité à l’égard de toutes les femmes du monde. »

Mais les femmes du monde entier devraient également développer le même sens des responsabilités que beaucoup d’entre nous ont déjà. Celles qui ne se considèrent pas comme opprimées ou qui veulent seulement jouer un rôle plus important dans le système du patriarcat, des monopoles et de l’exploitation pourraient même être celles qui sont le plus asservies par la modernité, incapables de se dissocier de son cadre. Nous avons toutes besoin de liberté et nous avons toutes besoin de développer notre organisation pour l’autodéfense. Nous devons faire entendre notre voix en tant que femmes, lorsque des forces comme les Talibans ou la Turquie s’en prennent systématiquement aux femmes.

En tant que mouvement de femmes qui a émergé dans le contexte du mouvement de libération kurde au Rojava, de la guerre contre Daech, des invasions continues et du terrorisme imposé par la Turquie, les défis auxquels votre mouvement a été confronté ont été immenses. Comment les YPJ ont évoluées en réponse à ces obstacles ?

L’histoire de la révolution est pleine d’avant-gardes et de pionnières. Dans les situations les plus difficiles, il y a toujours eu des femmes dans notre lutte qui se sont levées et ont trouvé de nouvelles étapes à franchir. L’éducation joue un rôle majeur à cet égard. Chaque fois que nous avons été confrontés à des défis majeurs, nous nous sommes demandé : « Quel est l’aspect de notre propre approche stratégique que nous n’avons pas suffisamment saisi ou dont nous n’avons pas suffisamment discuté ? », puis nous adaptons et renforçons nos programmes et méthodes d’éducation en fonction de cela ; nous faisons notre autocritique. Certaines méthodes utilisées contre Daech ne peuvent pas être utilisées contre la Turquie parce que c’est une force très différente à laquelle nous sommes confrontées, donc il est certain que nous avons procédé à des changements tactiques.

Il est également possible que d’autres puissances internationales interviennent et nous attaquent. Nous sommes donc fières de toujours tirer les leçons de nos expériences et de nous préparer à tout changement possible. En outre, nous suivons toujours de près la phase historique que nous traversons et nous nous mettons au défi d’y répondre de manière adéquate. Pour l’autodéfense contre les grandes forces étatiques, cela signifie la professionnalisation et, surtout, une plus grande cohésion avec la société. Sans le pouvoir de la société, il n’est pas possible de vaincre de tels attaquants. C’est pourquoi notre base stratégique est aujourd’hui la guerre populaire révolutionnaire. Cela signifie qu’il faut organiser chaque élément de la société éthique et politique et de la vie quotidienne en fonction des besoins de l’autodéfense légitime.

Quelles ont été les principales réussites des YPJ depuis leur création en 2013 ?

Si nous parlons des principales réussites des YPJ, nous devons d’abord parler du changement que la création des YPJ a apporté aux femmes du Rojava. Les femmes sont devenues une force autonome, depuis les premiers bataillons jusqu’à la fondation des YPG lors de la conférence du 4 avril 2013. Dès le début, les YPJ ont décidé d’être une force pour toutes les femmes et notre lutte a eu un impact majeur sur la société. C’est la première et la seule armée de femmes établie avec succès dans la région. Elle a apporté une contribution majeure non seulement à la libération des femmes kurdes, mais aussi à celle des femmes arabes, turkmènes et chrétiennes. C’est grâce à l’exemple et à l’assistance pratique des YPJ qu’il a été possible de créer des forces telles que la force d’autodéfense assyrienne. Les femmes du Moyen-Orient disposent ainsi d’un modèle clair de solution, ce qui constitue en soi un succès majeur. Les YPJ ont contribué de manière significative à l’éducation des femmes dans un nouvel état d’esprit libéré. Nous avons développé des systèmes d’académies vastes et diverses, allant de l’éducation militaire aux compétences pratiques, mais surtout à l’éducation idéologique. Nombre de ces cours sont dispensés en kurde et en arabe. Les YPJ ont changé la société de fond en comble, ce qui constitue un succès majeur.

Il y a aussi de nombreux succès militaires que nous pourrions mentionner. Le plus important a été la participation, en 2015, à la libération de Shengal, foyer du peuple Yêzidî, après le génocide brutal perpétré par Daech en 2014. Même si Shengal se trouve au Bashur (Kurdistan du sud, Irak), les YPJ ont considéré qu’il était de leur responsabilité morale de venir en aide aux Yézidi·e·s lorsque le monde les abandonnait. Les YPJ ont notamment joué un rôle important dans l’ouverture d’un couloir de sécurité pour la population yézidie fuyant Daech, sauvant ainsi des milliers de civil·e·s du sort que dix mille Yézidi·e·s ont subi lors du génocide perpétré par Daech. Il y a également eu plusieurs offensives dans lesquelles les YPJ ont joué un rôle pionnier pour la défense du peuple.

L’exemple le plus marquant est la libération de Kobanê en 2015, achevée le 26 janvier. Pour la première fois, les yeux du monde étaient rivés sur la révolution du Rojava. Les YPJ ont vaincu les attaquants de Daech bien mieux équipés, par leur seule volonté. Ensuite, la libération de Manbij de Daech en 2016 a été une étape majeure, car elle a montré que les YPJ défendaient également une région majoritairement arabe, gagnant la confiance de toutes les femmes du nord et de l’est de la Syrie et montrant ce que la nation démocratique et l’unité des femmes peuvent réellement exister.
Un autre exemple, peut-être le plus connu, est la libération de Raqqa en octobre 2017, lorsque la ville a été complètement libérée de Daech. Les YPJ ont joué un rôle d’avant-garde décisif dans cette offensive. Il s’agit assurément d’une défaite majeure pour Daech, qui considérait Raqqa comme son épicentre politique. Les YPJ ont véritablement brisé la colonne vertébrale de Daech. C’est un succès qui a changé l’histoire de l’humanité.

En tant que mouvement de femmes qui a émergé dans le contexte du mouvement de libération kurde au Rojava, de la guerre contre Daech, des invasions continues et du terrorisme imposé par la Turquie, les défis auxquels votre mouvement a été confronté ont été immenses. Comment les YPJ ont évoluées en réponse à ces obstacles ?

Nous sommes confronté·e·s à une situation que nous pouvons appeler la troisième guerre mondiale, dont le Moyen-Orient est l’un des principaux centres. Il est certain que partout dans le monde, des crises ou des guerres apparaissent, et c’est la preuve de ce dont nous sommes déjà sûr·e·s : une modernité alternative doit advenir et nous ne pouvons vivre dans ce statu quo. Qu’il s’agisse d’exploitation ou de guerre, l’oppression ne fera que s’intensifier si nous ne nous organisons pas. Lutter ne signifie pas simplement attendre les opportunités ou continuer avec des approches limitées qui ne résolvent pas la racine des problèmes. Il est essentiel de développer des approches qui suivent de nouvelles méthodes et qui renforcent la modernité démocratique.

Nous devons savoir que ce n’est pas un chemin facile et qu’il ne peut être résolu par une seule question ou une seule méthode de lutte. Si nous parlons de la crise environnementale, par exemple, nous devons reconnaître que c’est un signe que l’humanité en général doit comprendre.La vie ne peut continuer au rythme actuel de la modernité capitaliste, et la pandémie est liée à cela. Nous ne devrions donc pas tomber dans le piège de chercher les solutions aux problèmes aux mêmes endroits et avec les mêmes méthodes qui les ont créés.

Nous devons analyser l’essence de ces problèmes, et nous, en tant que YPJ, sommes convaincus qu’Abdullah Öcalan offre une perspective primordiale à ce sujet. Nous voyons clairement la douleur et le désespoir que le monde traverse. Partout dans le monde, l’horrible oppression des femmes, l’exploitation et les génocides se poursuivent. Nous encourageons chaque individu à considérer tout cela comme une preuve supplémentaire que la modernité démocratique – la libération de cette oppression – peut être atteinte et le sera si nous luttons. Nous espérons vivement que toutes les forces de résistance du monde pourront continuer à renforcer leurs liens et voir notre terrain de lutte commun, afin de faire face à cette situation avec espoir.