Intensification des attaques turques au Kurdistan et nouveaux actes de répression en Europe

Avr 26, 2024A la une, Actualités

Nouvelle invasion du Kurdistan du sud par l’armée turque & manoeuvres géopolitiques, perquisitions des télévisions kurdes en Belgique & arrestations de militants en France : les attaques contre le peuple kurde et son mouvement de libération pleuvent sans discontinuer ces dernières semaines. Ce décryptage permet de comprendre les tenants et les aboutissants de celles-ci.

Un article original du Collectif Internationaliste Marseille-Kurdistan (CIMK), membre du réseau Serhildan, édité par Serhildan.org.

Dimanche 21 avril 2024 au matin, les forces turques ont commencé une opération dans la région de Mêtîna dans les montagnes du Kurdistan au nord de l’Irak. Celle-ci vise à terme à préparer l’occupation de ce territoire. Des combats ont lieu entre l’armée et la guérilla du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). La région est déjà la cible de bombardements massifs depuis le 16 avril dernier, suite aux déclarations d’une opération d’envergure contre la guérilla dans l’objectif notamment d’occuper la montagne de Garê.

Une intensification des combats est à prévoir dans les prochaines semaines, alors que les forces du KDP irakien (Parti Démocratique Kurde irakien) collaborent avec la Turquie en leur permettant un accès logistique par le sud et qu’Erdogan vient de signer 26 accords de partenariats énergétiques, commerciaux et autres avec le gouvernement central irakien. Récemment, pour la 1ère fois de son histoire, ce dernier a accepté de qualifier le PKK d’ « organisation terroriste ». Erdogan a annoncé lors de cette visite avoir partagé [sa] conviction que la présence du PKK en Irak prendra fin, tandis que la construction de la « Route du développement » – axe commercial reliant le port de Faw au Sud de l’Irak à la Turquie – a aussi été actée, en présence de ministres émiratis et qataris. En Europe, le KCDK-E (Congrès des Communautés Démocratique Kurdes en Europe) appelle à la mobilisation à travers toute l’Europe. Plusieurs rassemblements ont déjà eu lieu à Marseille, un autre à Genève, notamment.

Pourtant, au Kurdistan du sud, les montagnes, le soutien des populations locales mais surtout l’expérience et l’inventivité militaire permettent à la guérilla de lutter depuis des années avec bravoure et succès contre la seconde armée de l’OTAN. Ce malgré un soutien matériel quasi inconditionnel à la Turquie de la part de ses alliés occidentaux et les moyens multiples utilisés par l’armée turque : armes chimiques, avions de chasse, drones et hélicoptères en plus de tentatives d’invasion terrestre. Lors de la nouvelle phase d’invasion de l’Ukraine par la Russie à l’hiver 2022, la Turquie s’est faite remarquée sur la scène internationale par diverse manière et particulièrement par les livraisons de drones Bayraktar-TB2 à l’Ukraine. Nous savons depuis le 21 mars dernier que les forces de la guérilla sont en capacité de détruire ces drones, qui représentent l’un des outils militaires phare de l’État turc.

 

Ce revers militaire s’accompagne d’une lourde défaite politique et électorale pour le gouvernement fasciste de l’AKP-MHP lors des élections municipales du 31 mars dernier. Celles-ci ont de nouveau été le théâtre de fraudes, d’attaques et de menaces sur l’auto-détermination de la population locale dans les régions kurdes.

 

En parallèle de cette nouvelle opération d’invasion au Kurdistan du sud ont eu lieu trois nouvelles manœuvres simultanées en Belgique (Denderleeuw, banlieue de Bruxelles), en Île-de-France et dans les Bouches-du-Rhône, ainsi qu’en Turquie (Ankara et Istanbul), visant des médias, des journalistes et des militant·e·s.

Les travailleurs et travailleuses des chaines de télévision appellent à manifester contre « une attaque qui vise à faire taire la voix du peuple kurde. »

Ainsi, mardi 23 avril 2024, 8 militants kurdes ont été arrêtés en France. Au même moment, à Istanbul et Ankara en Turquie, 7 journalistes de la presse kurde, la plupart travaillant à Mezopotamya Ajansi, on été arrêté·e·s lors de perquisitions de la police turque.

De plus, dans la nuit de lundi à mardi, la police a pris d’assaut les studios de Stêrk TV et Medya Haber TV à Denderleeuw, près de Bruxelles. Les studios ont été encerclés et il a été interdit aux travailleurs et travailleuses d’entrer dans le bâtiment. La police a fouillé les locaux entre 2 heures et 6 heures du matin, saisi des ordinateurs et du matériel technique et détruit de nombreuses installations. Des câbles ont manifestement été coupés pour essayer d’empêcher les diffusions.

La porte de la salle de liaison, à partir de laquelle les émissions sont diffusées, a été enfoncée et l’équipement à l’intérieur détruit. Les agents de sécurité de la chaine de télévision ont été menottés et forcés de s’allonger sur le sol. Selon les informations, des violences policières se sont produites à plusieurs reprises. Les travailleurs et travailleuses des chaines de télévision appellent à manifester contre une “attaque qui vise à faire taire la voix du peuple kurde”.

Le congrès national du Kurdistan (KNK), dans son communiqué, a replacé le raid dans le contexte d’une vaste opération anti-kurde : “Les visites des représentants du gouvernement turc aux Etats-Unis, en Irak et en Iran, les accords passés avec le KDP [parti du clan Barzanî au pouvoir au Sud-Kurdistan] et la visite du président turc Erdoğan en Irak et chez les Barzanî sont les dernières tentatives pour mettre en œuvre ce concept d’extermination. L’attaque d’invasion de Mêtîna représente la dimension militaire de cette action d’extermination.” Et d’ajouter : “Il est clair qu’il s’agit d’un concept d’attaque international. L’attaque des studios de Medya Haber et de Stêrk TV en Belgique le 23 avril vers 2 heures du matin en est une preuve concrète. […] Il n’est pas possible pour nous de rester silencieux face à cette attaque. Elle vise à faire taire la voix du peuple kurde.”

A noter que ces perquisitions arrivent le jour de la journée internationale du journalisme kurde qui commémore la création du 1er journal kurde, Kurdistan, au Caire, il y a 126 ans. Le timing est on ne peut plus révélateur : la Turquie a diffusé publiquement des plans qui, s’ils aboutissaient, étoufferaient la culture et l’existence des Kurdes, et mettraient fin aux expériences d’une société plus solidaire qui ont inspiré des gens dans le monde entier.

Face à l’évident silence des médias bourgeois, la grande majorité de la société, mais aussi ses forces progressistes restent désinformées sur ce qui se joue au Kurdistan. Pourtant, les problèmes apparemment locaux ne sont pas isolés. Ils sont le produit de forces interdépendantes et des changements internationaux et mondiaux. Ce qui se passe à un endroit en affecte d’autres, et la façon dont le monde réagit à un problème en affecte d’autres aussi. La lutte du mouvement de libération kurde s’inscrit dans une lutte plus générale contre les forces du capitalisme et de l’impérialisme qui déchirent également la Palestine, sapent les services sociaux et finissent par détruire notre planète.